La démission de Hariri ? La plus récente des tentatives saoudiennes de défier l’Iran
La démission du Premier ministre libanais Saad Hariri, samedi, a provoqué des ondes de choc dans tout le Liban. Elle est intervenue après plusieurs déclarations de M. Hariri aux dirigeants politiques libanais quant à son engagement envers le gouvernement d’unité nationale, grâce auquel il était arrivé au pouvoir il y a un peu plus d’un an, suite à une période de vide politique dans le pays.
Hariri annonça sa démission lors de sa visite en Arabie saoudite, la deuxième en une semaine, suscitant de nombreuses spéculations sur ses relations avec l’Arabie saoudite et sur les intentions du royaume au Liban en particulier, et plus globalement vis-à-vis de l’Iran.
Alors qu’un grand nombre de ces spéculations n’étaient fondées que sur des rumeurs, l’évolution de la situation au Liban s’inscrit dans le cadre d’un plus large processus de changement de la politique saoudienne à l’égard de l’Iran, dans lequel Riyad se montre de plus en plus agressive.
Le Liban a toujours été un terrain de jeu où s’expriment les rivalités entre acteurs étrangers.
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La rivalité entre Saoudiens et Iraniens s’est parfois manifestée au Liban par le biais des urnes – par une confrontation indirecte entre leurs alliés libanais respectifs, et parfois par une surenchère dans les positions, comme l’affrontement entre la « coalition politique du 8 mars », dominée par le Hezbollah (et donc pro-iranienne), et le « camp du 14 mars », dirigé par Courant du futur, le parti politique de Saad Hariri (et donc pro-saoudien).
À cause de cette confrontation, les alliés respectifs de l’Iran et de l’Arabie saoudite au Liban ont refusé à plusieurs reprises de participer au même gouvernement ou n’ont pas pu se mettre d’accord sur quelle loi électorale utiliser lors des prochaines élections.
Ces désaccords ont débouché sur une impasse politique qui a laissé le Liban en proie à une série de reports des élections législatives.
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La rivalité entre Saoudiens et Iraniens se joue également dans la Syrie voisine, où le Hezbollah soutient activement le régime de Bachar al-Assad, tandis que l’Arabie saoudite tente par divers moyens de renverser le régime. Les Saoudiens, notamment, ont cherché à unifier l’opposition syrienne, par la création du Haut Comité des négociations, initialement annoncé à Riyad en 2015, afin d’ouvrir la voie à une transition politique négociée en Syrie, dans le cadre du processus de Genève.
La situation en Syrie a accru la pression exercée sur le camp pro-saoudien au Liban, qui avait explicitement rejeté l’intervention du Hezbollah en Syrie, au motif que cette intervention n’avait rien à voir avec les intérêts libanais.
La remise en question, en 2013, du rôle du Hezbollah en Syrie a empêché pendant plus de dix mois Tammam Salam, Premier ministre de l’époque, de former un cabinet.
Ingérence iranienne
C’est dans le contexte de ces deux évolutions interdépendantes que la création d’un gouvernement d’unité nationale a finalement été annoncée au Liban l’année dernière. Il s’agissait de mettre fin au vide politique, ce qui entraîna le retour de Saad Hariri au poste de Premier ministre, tandis que le général Michel Aoun (coalition du 8 mars) était déclaré président.
La rue libanaise a poussé un soupir de soulagement devant ce qui ressemblait à un compromis national, avec la bénédiction de l’Arabie saoudite et de l’Iran. Or, les évolutions ultérieures, tant au Liban qu’en Syrie, n’ont en aucune façon démontré que ce compromis favorisait l’Arabie saoudite.
Profitant de l’inaction des États-Unis en Syrie, l’Iran, en partenariat avec la Russie, a élargi le champ de ses opérations en Syrie. Le Hezbollah a profité de ce processus et renforcé sa capacité militaire à l’intérieur du Liban.
L’ingérence de l’Iran en Syrie et la stature accrue du Hezbollah sont devenues une source de préoccupations pour l’Arabie saoudite, surtout après l’accession du prince Mohammed ben Salmane au rang de prince héritier.
Après avoir affronté militairement les alliés houthis de l’Iran au Yémen, l’Arabie saoudite adopte désormais une attitude de plus en plus dure envers l’Iran. La voie du compromis n’est plus à l’ordre du jour, comme en témoigne la démission de Hariri du gouvernement d’unité nationale libanais, avec la bénédiction de l’Arabie saoudite.
Vide politique
Si la démission de Hariri signifie que le Liban se trouve à nouveau dans un vide politique, elle joue également en faveur de l’Arabie saoudite, car la loi électorale qui a finalement été adoptée par le gouvernement d’unité nationale dirigé par Hariri aurait ouvert la voie à des élections législatives en mai 2018, et le parti de Hariri aurait souffert d’un déficit électoral.
Voir Hariri exclu du pouvoir vaut mieux que d’assister à sa chute brutale dans les urnes.
De nombreux Libanais craignent que ce vide politique ne prépare la voie à une guerre « chaude » entre le Hezbollah et Israël, parce que ce dernier partage le rejet par l’Arabie saoudite des intérêts iraniens. Cependant, voici le scénario le plus probable : l’Arabie saoudite travaillera avec les États-Unis et ses alliés pour accroître la pression sur l’Iran, à l’intérieur et à l’extérieur de la Syrie.
La vague d’arrestations de personnalités de haut rang menée par le gouvernement saoudien a envoyé un signal fort : personne n’est à l’abri. Si les dirigeants du royaume peuvent être aussi impitoyables avec leurs propres citoyens, que peut-on attendre de la façon dont ils aborderont leurs rivaux ?
En fin de compte, toute solution à la situation au Liban aurait été inenvisageable avant le règlement de la conjoncture en Syrie. Le Liban a toujours été davantage un témoin des effets secondaires des évolutions de la conjoncture internationale qu’un acteur déterminant de la politique régionale.
Avec la fin du gouvernement d’unité nationale au Liban, l’Arabie saoudite a quitté la table des négociations et se prépare à monter sur le ring
Si le vide politique au Liban est préoccupant, il donne à l’Arabie saoudite la possibilité de réorganiser ses affaires dans le pays. En effet, tant que l’Iran restera l’acteur international le plus en vue au Liban, l’Arabie saoudite ne sera pas pressée d’y installer l’un de ses fidèles pour remplir le poste laissé vacant par Hariri, car cela signifie que, d’une façon ou d’une autre, il faudra bien travailler avec le Hezbollah.
Avec la démission de M. Hariri, l’Arabie saoudite est donc en train de revoir les conditions de son engagement avec l’Iran. Après tout, le Liban était le seul pays où pro-saoudiens et pro-iraniens étaient liés par un mariage politique inconfortable.
Avec la fin du gouvernement d’unité nationale au Liban, l’Arabie saoudite a quitté la table des négociations et se prépare à monter sur le ring.
Les relations entre Saoudiens et Iraniens risquent donc de s’avérer houleuses à l’avenir.
- Lina Khatib est responsable du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord à Chatham House. Vous pouvez la suivre sur Twitter h@LinaKhatibUK.
Les vues exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo. Le Premier ministre libanais Saad Hariri assiste à un débat général au parlement au centre de Beyrouth, le 18 octobre 2017 (Reuters).
Traduit de l'original (anglais) par Dominique Macabies.
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