Macron « sauve le soldat Hariri » et remet la France dans le jeu proche-oriental
Emmanuel Macron a réussi à « sauver le soldat Hariri ». Pour les Libanais, toujours sous le choc de la démission-surprise, le 4 novembre en direct de Ryad, de leur Premier ministre, suivie d’une incroyable période de confusion et d’incertitude, l’« exfiltration » vers la France de Saad Hariri est une bonne nouvelle : elle permettra peut-être d’en savoir plus sur ce qui s’est réellement passé à Ryad, et, surtout, de commencer à écrire la suite de l’histoire, quelle qu’elle soit.
Pour le président français, c’est incontestablement un « coup » diplomatique qui remet la France dans un jeu proche-oriental dont elle était largement exclue depuis des années, et qui place le jeune chef d’État parmi les acteurs de la gigantesque partie d’échecs qui se joue dans la région.
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Emmanuel Macron n’a pas été long à réaliser l’importance de la crise déclenchée par la démission de Saad Hariri, et il s’est inscrit dans la tradition française de « protection » du Liban en montant personnellement en première ligne. Son escale surprise à Ryad, le 11 novembre, pour rencontrer le prince héritier Mohammed ben Salmane, après avoir inauguré le Louvre Abou Dhabi, a joué un rôle décisif dans le dénouement partiel de l’« affaire Hariri ».
Parallèlement, le président français a multiplié les contacts téléphoniques, et les envois d’émissaires, y compris l’un de ses conseillers, Aurélien Lechevallier, un ancien diplomate à l’ambassade de France à Beyrouth, parti discrètement au Liban sonder les dirigeants de tous bords, et le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, qui a rencontré Saad Hariri à Ryad.
« Sauver le soldat Hariri » était nécessaire pour plusieurs raisons : d’abord pour faire baisser la tension à Beyrouth où, à commencer par le président Michel Aoun lui-même, tout le monde considérait le Premier ministre démissionnaire comme l’« otage » des Saoudiens.
« #BringHaririBack » était le mot d’ordre du marathon de Beyrouth, le 12 novembre… La venue de Saad Hariri et de sa famille à Paris ne règle pas la crise ouverte par sa démission, mais lève au moins l’hypothèque de son sort qui énervait les Libanais au plus haut point, qu’ils soient ou non partisans de l’ex-Premier ministre.
Mais c’est aussi en raison des liens particuliers entre la famille Hariri et la France, initiés sous le règne de Jacques Chirac, tellement proche de Rafiq Hariri, l’ancien Premier ministre assassiné en 2005 et père de Saad, que c’est dans un appartement parisien sur les quais de la Seine « prêté » par les Hariri, que le président français a habité en quittant l’Élysée en 2007. Jacques Chirac avait été ulcéré par le meurtre de son ami, dont il tenait la Syrie de Bachar Al-Assad pour responsable.
La voie étroite de la médiation
Dans une volonté de rupture, son successeur, Nicolas Sarkozy, avait voulu inverser le cours de la diplomatie française en invitant à Paris Bachar al-Assad en 2010. Mais ce geste spectaculaire a vite tourné court avec le soulèvement contre le régime syrien en 2011. François Hollande, lui, n’a pas dérogé à l’amitié avec les Hariri en remettant à Saad Hariri l’an dernier les insignes de Commandeur de la Légion d’honneur…
Nouveau venu sur la scène levantine, Emmanuel Macron avait certes effectué une visite à Beyrouth pendant la campagne électorale, puis successivement accueilli à Paris, une fois élu président, Michel Aoun et Saad Hariri, il est néanmoins resté largement en marge des affaires de la région au cours de ses six premiers mois au palais de l’Élysée.
Le dossier libanais était le plus logique et le plus légitime pour ce retour diplomatique français
C’est terminé : en faisant irruption, et avec succès, dans la crise libano-saoudienne, il tente d’occuper un vide diplomatique retentissant alors que le Moyen-Orient connaît une brusque montée de tension. Alors que le président Donald Trump est fermement engagé derrière « MBS », le prince héritier saoudien, et que la Russie de Vladimir Poutine est l’alliée de facto de l’Iran dans la guerre de Syrie, la France est la seule à tenter la voie étroite de la médiation.
Le dossier libanais était le plus logique et le plus légitime pour ce retour diplomatique français, bien plus que les autres volets régionaux.
La France a, en particulier, été progressivement marginalisée dans le conflit syrien, après s’être pleinement engagée contre le régime Assad, mais faute de stratégie de rechange une fois le président syrien remis en selle par l’intervention russe et iranienne. Paris n’est pas autour de la table des négociations encore incertaines sur un règlement du conflit : pour cette raison, Emmanuel Macron, selon de bonnes sources, a refusé une proposition de son état-major de mettre fin à l’opération Chammal, le nom de code donné à la participation des forces armées françaises au sein de la coalition contre l'État islamique en Irak et en Syrie. Le président français estime que le maintien de cet engagement, même largement symbolique, permettra à la France de revendiquer un jour une place dans l’« après-Daech ».
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La partie diplomatique engagée par Emmanuel Macron est délicate, car en tentant de désamorcer la crise libanaise, il se place sur le chemin du nouvel homme fort de Ryad, le prince héritier Mohammed ben Salmane. Le président français a visiblement su surmonter les premiers obstacles en obtenant du dirigeant saoudien le départ de Saad Hariri vers Paris, mais ça ne garantit pas la suite.
En particulier, un retour à la normale à Beyrouth passe par une désescalade entre l’Arabie saoudite et l’Iran, le Liban n’étant concerné que par la place qu’y occupe le Hezbollah chiite et son engagement dans les conflits de la région, en Syrie, mais aussi, selon Ryad, au Yémen, d’où est parti le missile contre la capitale saoudienne la semaine dernière.
Emmanuel Macron a un atout : la France a développé une relation de relative confiance avec l’Iran depuis la signature de l’accord nucléaire en 2015. Le président iranien Hassan Rohani est venu en visite officielle en France l’an dernier, et il a rencontré Emmanuel Macron en marge de l’Assemblée générale des Nations unies en septembre.
Les relations économiques entre les deux pays se développent, dans les limites des incertitudes que font peser les Américains, avec le retour de Total, PSA, Renault et quelques autres groupes français sur le marché iranien.
L’Iran, menacé de voir surgir de nouvelles sanctions américaines, a clairement besoin de l’Europe pour contrebalancer les « faucons » américains, et Emmanuel Macron doit en principe se rendre en Iran l’an prochain, une première pour un chef d’État français depuis la Révolution islamique de 1979.
Une posture finalement très gaullienne
Mais dans la période de tension et de polarisation actuelle, peut-on être l’« ami » des deux pôles opposés ? C’est toute la question, et dans son jeu d’équilibriste diplomatique, Emmanuel Macron court le risque de se mettre à dos tout le monde…
Une première alerte est ainsi venue lorsque le chef de la diplomatie française, dont le tropisme saoudien remonte à son passage au ministère de la Défense et à sa casquette de « vendeur » des armements français, a évoqué jeudi la « tentation hégémonique » de l’Iran lors d’une conférence de presse à Ryad. Téhéran a aussitôt exprimé sa surprise et sa colère.
Emmanuel Macron a déjà atteint un premier objectif : celui d’afficher un leadership européen incontesté sur les affaires internationales
Néanmoins, avec son premier succès au Liban, Emmanuel Macron a déjà atteint un premier objectif : celui d’afficher un leadership européen incontesté sur les affaires internationales, que personne d’autre ne lui conteste, ni les Britanniques empêtrés dans les négociations du Brexit, ni les Allemands en pleine tractation de coalition et toujours plus prudents dans le vaste monde.
Ce leadership, revendiqué haut et fort dès ses premiers pas de président, fait partie intégrante de son plan de relance de l’Europe ; une posture finalement très gaullienne qui passe, naturellement, par le Moyen-Orient.
- Pierre Haski est journaliste. Il a été correspondant à Johannesburg, Jérusalem et Pékin, successivement pour l’Agence France-Presse puis pour Libération où il a également dirigé le service étranger, avant de cofonder, en 2007, le site d’informations Rue89. Il est aujourd’hui chroniqueur international à L’Obs. En juin 2017, il a été élu président de l’association Reporters sans frontières (RSF). Son dernier livre, Le droit au bonheur – la France à l’épreuve du monde, est paru aux éditions du Stock en 2017. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @pierrehaski.
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Photo : Le président français Emmanuel Macron accueille le Premier ministre Saad Hariri à l’Élysée le 1er septembre 2017 (AFP).
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