À la rencontre de la Palestinienne qui consacre sa vie à sauver des chiens errants
BETHLÉEM, Cisjordanie occupée – Les centaines de chiens qui errent partout en Cisjordanie passent généralement inaperçus. Le quotidien est déjà écrasant pour de nombreux Palestiniens, qui doivent faire face, selon les organisations de défense des droits de l’homme, au harcèlement et aux abus commis dans le cadre de l’occupation militaire israélienne vieille d’un demi-siècle.
Mais la Palestinienne Diana Babish a fait de ces chiens le travail de toute une vie. Après avoir occupé pendant vingt ans un poste à responsabilités dans une banque, elle a décidé de quitter son emploi et de consacrer tout son temps à sauver des chiens.
Elle salue les chiens d’un habibi (mon amour) et n’hésite jamais à les couvrir de câlins et de baisers.
« De toute ma vie, je n’ai jamais eu peur des animaux. Ce sont les gens qui m’effraient »
- Diana Babish, fondatrice de l’Association des animaux et de l’environnement
« J’ai vu beaucoup de chiens être maltraités et torturés », explique Diana à Middle East Eye. « De nombreuses personnes ici ont été éduquées de manière à ne pas avoir de compassion pour les animaux. C’est comme si elles croyaient que [les animaux] ne sont pas capables de ressentir ce qui leur arrive. »
Babish était déterminée à remettre en cause cet état d’esprit. « Je voulais changer la mentalité des gens et sensibiliser différents secteurs de la population », explique-t-elle. « Je veux que les gens sachent que les animaux font partie de notre famille. Ils sont une création de Dieu. Ils devraient être respectés. »
Il y a un peu plus d’un an, elle a ouvert le seul refuge pour chiens de Cisjordanie et elle a, depuis, sauvé des centaines de chiens de rue.
Les habitants l’avisent chaque fois qu’ils voient un chien qui a besoin d’aide. Son téléphone sonne et vibre constamment au rythme des notifications de la messagerie Facebook.
« Les gens pensent que les êtres humains sont les seules et les plus importantes choses à vivre dans l’univers »
- Diana Babish, fondatrice de l’Association des animaux et de l’environnement
Diana s’aventure dans les rues de jour comme de nuit – seule en général – à la recherche de chiens blessés ou malades. Au cours d’une récente mission de sauvetage nocturne à laquelle MEE a participé, Diana s’est faufilée entre les ruelles et s’est aventurée dans des zones non éclairées où le sol est jonché de déchets. Vadrouiller seule la nuit ne l’inquiète pas.
« De toute ma vie, je n’ai jamais eu peur des animaux. Ce sont les gens qui m’effraient », affirme-t-elle.
Avocate infatigable
Selon Diana, les municipalités de Cisjordanie abattent les chiens par balles et placeraient du poison Rodenticida mélangé à de la viande dans les rues et dans les zones fréquentées par les chiens errants afin de les tuer.
« J’ai initié ce projet pour montrer aux gens comment traiter les animaux de rue d’une manière humaine, pas en les empoisonnant ou en leur tirant dessus, mais en leur fournissant un abri où l’on peut prendre soin d’eux et leur trouver un foyer. »
Elle a débuté son projet en enregistrant une organisation à but non lucratif, l’Association des animaux et de l’environnement, puis s’est mise en quête d’un espace où loger et abriter les chiens. Elle a d’abord sauvé trois chiens et loué deux bâtiments, qui abritaient auparavant des moutons, près de chez elle à Beit Sahour, une municipalité du district de Bethléem.
« Mais le nombre de chiens ne cessait de croître », explique Diana.
Elle a ensuite réaménagé le deuxième étage de la maison de son frère, qui est encore en construction, pour y abriter quarante chiens.
Diana a fait campagne sans relâche en faveur de la construction d’un refuge à Bethléem. Elle a contacté l’Église grecque orthodoxe, le Waqf – l’organisation de dotation islamique – et les membres des municipalités locales afin d’obtenir leur soutien en faveur d’un refuge canin, en vain. Cependant, il y a un an et demi, la chance a tourné en sa faveur lorsque Hani Hayek, l’ancien maire de Beit Sahour, lui a offert un terrain pour y construire un refuge temporaire.
Grâce à des amis, à de petites boutiques et à des entreprises, Diana Babish a pu recueillir les fonds nécessaires pour la construction du refuge et des niches, tandis que d’autres ont fait don de matériel. Cela n’était toutefois toujours pas suffisant pour accueillir la totalité des chiens.
Babish, qui n’est apparemment jamais découragée de mener à bien le travail de sa vie, a convaincu la municipalité de lui faire don de grandes bennes à ordure qu’elle a rapidement transformées en niches capables de fournir un abri supplémentaire aux chiens.
Selon elle, malgré son soutien initial pour un refuge canin, la municipalité a continué ses campagnes d’abattage et d’empoisonnement.
« J’ai initié ce projet pour montrer aux gens comment traiter les animaux de rue d’une manière humaine, pas en les empoisonnant ou en leur tirant dessus »
- Diana Babish
Elle a jusqu’à présent réussi à sauver 300 chiens de rue et accueille actuellement dans son refuge une quarantaine de chiens, qui ont tous été vaccinés et remis sur pattes. Babish a récemment établi un partenariat avec le Dr Mamoun Mahmoud, un vétérinaire palestinien, qui offre des services de vaccination gratuits.
En raison du manque d’espace à disposition, le refuge ne peut accueillir tous les chiens errants de Cisjordanie. Babish donne donc la priorité aux chiens malades et blessés.
« Elle a toujours adoré les animaux »
Lorsque les chiens sont amenés au refuge pour la première fois, beaucoup d’entre eux sont infestés de tiques et de puces. Certains ont des maladies, comme la rage, et d’autres sont affamés ou grièvement blessés après avoir été torturés.
Diana sépare les nouveaux rescapés des autres jusqu’à ce qu’ils soient vaccinés ou soignés. Elle nourrit les cas les plus graves chez elle à Beit Sahour jusqu’à ce qu’ils soient en assez bonne santé pour être transférés au refuge.
Elle donne un nom à chaque chien et tente de leur trouver un foyer. De nombreux chiens sont envoyés en Europe et en Israël. Diana Babish utilise sa page Facebook pour contacter les propriétaires potentiels et trouver un soutien supplémentaire pour son refuge.
« [Mon père] pense que les chiens devraient rester dans la rue »
- Diana Babish
Quand elle n’a plus de place au refuge, des Palestiniens et des Israéliens se portent volontaires pour accueillir les chiens temporairement. Les restaurants et les salles de mariage du coin donnent également des restes de nourriture.
Diana, qui ne s’est jamais mariée, affirme que « les animaux sont [ses] enfants ».
« Si je ne les aide pas, personne ne le fera », ajoute-t-elle.
La mère de Diana, Janet Hazboun, dit ne pas avoir été surprise lorsque sa fille a commencé le projet, notant que même lorsqu’elle était enfant, Diana prenait soin des chats qui traînaient autour de leur ancienne maison.
« C’est comme si [les gens] croyaient que [les animaux] ne sont pas capables de ressentir ce qui leur arrive »
- Diana Babish
« Elle a toujours adoré les animaux », lance-t-elle. « Je soutiens ce qu’elle fait. Elle donne de l’amour et de la compassion aux animaux, et c’est quelque chose que nous ne voyons pas toujours en Palestine. »
Ses proches ne sont pas tous d’accord. Diana et son père ne se parlent plus parce que ce dernier s’oppose à son travail.
« Il pense que les chiens devraient juste rester dans la rue et il n’approuve pas ce que je fais », confie-t-elle.
« Ce n’est pas juste »
En juillet dernier, Diana a rencontré plusieurs élus municipaux de Cisjordanie pour discuter de l’éradication des chiens errants par balle et empoisonnement.
« Cette façon qu’ils ont de traiter les animaux, ce n’est pas juste », s’insurge Babish. « Le poison contamine l’environnement. Il tue aussi des oiseaux, des chats, des animaux de compagnie, des renards et d’autres animaux. »
Makram Qumisyeh, maire adjoint de la municipalité de Beit Sahour, qui était présent à la réunion, affirme à MEE qu’il n’est « pas au courant » de l’usage de poison par la municipalité pour tuer les chiens de rue. « Nous sommes tous d’accord sur le fait que l’empoisonnement des chiens n’est pas la bonne méthode pour résoudre ce problème. »
« Nous ne pouvons pas donner la priorité aux animaux au détriment de la vie et de la sécurité des humains »
- Makram Qumisyeh, maire adjoint de la municipalité de Beit Sahour
Selon Qumisyeh, les municipalités ont convenu qu’abattre les chiens errants par balle constituait la tactique la plus efficace pour résoudre le problème à court terme.
« Ces chiens attaquent les gens. Nous ne pouvons pas donner la priorité aux animaux au détriment de la vie et de la sécurité des humains », affirme-t-il.
Les campagnes d’abattage sont qualifiées de « meurtres par compassion » par la municipalité. Cependant, les chiens ne meurent pas toujours après avoir été blessés par balle.
Tout récemment, Diana a sauvé un chien qui avait été blessé à la patte à Beit Sahour.
« Il était dans un état effroyable », raconte-t-elle. Le chien s’est vidé de son sang dans la rue pendant plus d’une semaine, au point où des asticots avaient infesté la plaie.
Diana l’a ramené chez elle, nettoyé sa blessure, puis l’a emmené dans une clinique en Israël. Elle dit avoir dépensé des milliers de dollars en traitement, mais la patte du chien a dû être amputée.
« Tirer sur les chiens n’est pas la bonne façon de gérer cette situation », insiste-t-elle. « Les gens doivent apprendre à leurs enfants à les respecter. C’est comme ça que nous résoudrons cela. »
« Les gens doivent réaliser que les animaux ont eux aussi des sentiments. Ils ont un esprit. Ils peuvent penser. Ils peuvent comprendre », ajoute-t-elle.
Babish admet que certains chiens errants peuvent être agressifs, mais elle attribue cela à l’environnement hostile dans lequel ils vivent dans la rue.
« Les gens doivent apprendre à leurs enfants à respecter les animaux »
- Diana Babish
Selon Qumisyeh, un comité a été formé lors de la réunion pour organiser l’objectif à long terme consistant à développer un refuge pouvant accueillir les chiens errants de toute la Cisjordanie. Mais le projet semble avoir stagné.
« Quelqu’un doit prendre les reines pour que le projet se concrétise », déclare Qumisyeh, notant que ce ne serait pas Beit Sahour car cette question n’est pas « uniquement notre responsabilité ».
« Les chiens ne sont pas politiques »
La partie la plus controversée du projet de Diana est son partenariat avec des cliniques israéliennes.
De nombreux Palestiniens de Cisjordanie étant des réfugiés, déplacés de leurs terres lors de la Nakba au moment de la création d’Israël en 1948, la méfiance est profonde envers les Israéliens.
« La question des animaux doit être séparée de la question politique », explique Diana. « Nous ne devrions pas mélanger la politique et le fait de sauver des vies... Ces animaux ont besoin d’aide. Ils ont besoin de médicaments. Ils ont besoin de soins. Ils ont besoin d’amour. C’est ce sur quoi je me concentre. »
« Nous ne devrions pas mélanger la politique et le fait de sauver des vies »
- Diana Babish
Diana raconte cependant qu’elle a ressenti une « grande compassion » de la part des Israéliens envers son projet. Environ six cliniques israéliennes et un hôpital lui font des réductions pour le traitement des chiens et prodiguent leurs services « à crédit » quand elle n’a pas les fonds nécessaires.
Selon elle, les cliniques palestiniennes manquent de la plupart des équipements et des installations nécessaires pour traiter de nombreux cas graves, elle n’a donc pas le choix.
Pour faire adopter quelques-uns de ses chiens et réduire le nombre de pensionnaires dans son refuge, Diana s’est récemment mise à coopérer avec un refuge et centre de sauvetage animalier en Israël.
Bien que son travail ne soit pas politique, cela ne signifie pas qu’il n’a pas été affecté par l’occupation israélienne.
Les politiques israéliennes rendent obligatoire pour tout Palestinien possédant une carte d’identité cisjordanienne l’obtention d’un permis israélien pour se rendre à Jérusalem ou en Israël.
Diana est généralement en mesure d’obtenir un permis israélien, mais à plusieurs reprises, sa demande d’accès a été refusée par les autorités israéliennes, l’empêchant de transférer les chiens à travers les check-points vers des cliniques en Israël pour y être soignés.
Malgré ces défis, la préoccupation la plus pressante de Diana est le manque de fonds pour soutenir le projet. Elle constate que les petits dons qu’elle reçoit aident, « mais ce n’est pas suffisant ».
En plus de cela, Qumisyeh indique que la municipalité lui retirera bientôt le terrain qu’elle lui a donné, les voisins s’étant plaints des aboiements sonores et d’une « odeur désagréable ». Il ajoute que la municipalité projette également de construire une rue à travers la zone.
Elle a demandé plus de temps pour trouver un autre emplacement pour son refuge, mais les fonds demeurent un obstacle.
« Les gens pensent que les êtres humains sont les seules et les plus importantes choses à vivre dans l’univers », observe Diana, qui ajoute, conformément à ses croyances chrétiennes : « Dieu créa les animaux avant de créer les êtres humains ».-
« Ces animaux sont sans voix. Nous devons parler en leur nom »
- Diana Babish
« Cela signifie que les animaux sont tout aussi importants que les humains, nous devons prendre soin des créations de Dieu, l’existence est à dessein, et nous n’avons pas le droit de les tuer », ajoute-t-elle.
Malgré la décision de la municipalité, Diana explique qu’elle a créé un modèle pour la Palestine et qu’elle a reçu un soutien local en vue d’étendre le projet à d’autres régions de la Cisjordanie.
« Ces animaux sont sans voix. Nous devons parler en leur nom et trouver un moyen de résoudre ces problèmes avec des politiques humaines qui respectent les animaux. »
Traduit de l'anglais (original) par Monique Gire.
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