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Le meilleur ami des Gazaouis : les chiens font désormais fureur dans la bande de Gaza

Au sein d’une communauté qui, traditionnellement, n’a jamais considéré le chien comme le meilleur ami de l’homme, les choses sont en train de changer et les chiens de toutes races sont désormais très recherchés
Des Gazaouis se retrouvent près de la plage avec leurs chiens, surtout des bergers allemands (MEE/Mohammed Asad)

En cette paisible matinée de printemps sur la côte de Gaza, le soleil se reflète sur les eaux de la Méditerranée ; mais soudain le calme est interrompu par des douzaines de chiens se ruant sur la plage pour leur promenade matinale, projetant des nuages de sable sur leur passage.

C’est une scène inhabituelle pour une communauté musulmane qui, traditionnellement, n’a jamais considéré le chien comme le meilleur ami de l’homme.

L’aversion pour les chiens que l’on rencontre généralement se fonde sur l’enseignement islamique que ces animaux sont nijs (sales, impurs), conformément à certains hadiths (enseignements du Prophète) qui recommandent de ne pas garder de chiens dans sa demeure.

Par exemple, d’après Abu Hurayrah, le prophète Mohammed aurait déclaré dans un hadith : « Quiconque héberge un chien, à moins qu’il ne s’agisse d’un chien de berger, de chasse ou de ferme, on soustraira chaque jour un qiraat (mesure) de sa récompense. »

Cependant, il s’agit depuis longtemps d’un sujet qui a fait l’objet d’un bon nombre de déclarations religieuses et en ce moment, une attitude plus décontractée semble se propager à Gaza.

Un berger allemand montre quelques-uns de ses tours (MEE/Mohammed Asad)

C’est une journée ensoleillée et des jeunes gens sont descendus à la plage pour parler de leurs animaux. Ils admirent les différentes races et croisements et discutent des difficultés d’élever des chiens quand on vit en état de siège. Certains, quand ils étaient étudiants, ont voyagé en Europe où l’on aime beaucoup les chiens qui sont considérés comme des membres de la famille. Ils ont rapporté cet intérêt et cet attachement chez eux à Gaza.

Une famille de Gaza joue avec son golden retriever (MEE/Mohammed Asad)

Plus de 40 jeunes gens se tiennent sur la plage, chacun flanqué d’au moins un chien. Étant donné que très peu d’entre eux disposent d’un travail régulier et bien payé, ils trouvent d’autres façons de passer le temps et de partager leurs intérêts, tout en vivant sous un blocus omniprésent.

Comme tout le monde, les Gazaouis ont des animaux de compagnie – des chats, des oiseaux et des poissons – mais ce nouvel intérêt pour les chiens ne s’est diffusé que récemment par les réseaux sociaux. Grâce au taggage de photos, les habitants du nord au sud ont pu partager leur intérêt commun pour les animaux.

Une file de jeunes gens accompagnés de leurs bergers allemands hybrides (MEE/Mohammed Asad)

Mohammed Abulkhair est un ingénieur agricole à Gaza, et il s’y connaît en chiens. « Je suppose que c’est ma façon d’échapper aux pressions quotidiennes et à la sinistre réalité politique que nous n’avons pas la capacité de changer », a-t-il commenté en promenant ses chiens le long de la plage ensoleillée.

Mohammed avait peur des chiens, mais il a changé d’avis quand sa fille s’est pris d’affection pour un chien et que la famille a commencé à s’occuper de l’affectueux cabot.

« Ma fille aime le chien, donc ma famille a gagné un nouveau membre. En fait, il semble que nous ayons maintenant adopté sept chiens, et leur nombre ne fait qu’augmenter », a-t-il raconté en souriant.

Mohammed Abulkhair, 50 ans, chez lui avec ses jeunes chiots. Cet éleveur de chiens est l’un des principaux organisateurs des grands rassemblements canins à Gaza (MEE/Mohammed Asad)

Ces dernières années, il est devenu plus difficile de s’en occuper, a-t-il constaté, parce qu’il est désormais plus compliqué de faire venir des médicaments et des vaccins pour chiens.

« Les stocks de vaccins que les chiots doivent normalement commencer à prendre quand ils sont âgés d’environ 45 jours ne sont souvent pas disponibles quand ils restent bloqués à la frontière. »

 « Même quand les stocks nous parviennent, cela prend beaucoup de temps et les vaccins sont souvent périmés », a-t-il ajouté.

Omaima Mohammed, 10 ans, avec ses golden retrievers, une race que l’on ne rencontre pas souvent à Gaza (MEE/Mohammed Asad)

Maher Jaber, 39 ans et passionné de chiens, a créé une page Facebook en arabe qui peut se traduire : « bergers allemands de Gaza ». Il a été surpris par l’énorme l’intérêt et les nombreux échanges, à la fois en ligne et en personne, qu’elle a suscités.

« Nous sommes devenus le premier rassemblement “canin” de jeunes à Gaza », a –t-il remarqué avec un large sourire, en enlevant la laisse de son chien pour le laisser courir sur la plage.

Ramos et Stella, ses chiens marron et noir, semblent bien dressés et amicaux – ce dont les Gazaouis n’ont pas l’habitude, puisque leurs contacts avec des chiens se limite d’ordinaire aux molosses agressifs utilisés au cours des opérations militaires israéliennes contre la population assiégée de Gaza.

Majd, 21 ans, est assis sur la corniche du front de mer à la nuit tombée avec son berger allemand à poils longs âgé de trois ans (MEE/Mohammed Asad)

Ramos s’amuse sur la plage et saute en l’air, entouré par d’autres chiens qui profitent du soleil matinal et vont chercher les balles lancées par leurs maîtres.

« Au début je pensais que les gens d’ici ne feraient pas bon accueil aux chiens – étant donné qu’ils ont toujours été considérés comme impurs, mais maintenant je suis heureux de constater que la communauté les accepte », a constaté Maher en regardant ses amis qui l’entourent avec leurs animaux de compagnie, tandis que les enfants jouent avec les chiots.

Un jeune garçon accompagné de son chiot griffon âgé de 14 mois (MEE/Mohammed Asad)

Les rassemblements réguliers entre propriétaires de chiens sont devenus populaires, et les gens aiment exhiber leurs chiens et échanger des informations sur leur race et leur caractère.

Maher affirme qu’« à Gaza, environ 60 % de toutes les races existantes sont représentées », mais il explique que le blocus d’Israël limite les importations de chiens. À cause des coûts de transport élevés, importer un chien à Gaza revient entre 450 et 900 euros.

Un pitbull âgé de trois ans attire une foule car on en rencontre extrêmement rarement à Gaza (MEE/Mohammed Asad)

Après la création de la page Facebook, de plus en plus de commerçants de Gaza se sont montrés disposés à faire venir de l’extérieur différents types d’aliments pour animaux et autres articles pour chiens.

Le secteur des animaux de compagnie et les produits qui s’y rattachent est très important en Occident, et à Gaza les dresseurs de chiens sont maintenant très demandés alors que de nombreuses familles en adoptent. « Les entreprises ont aussi besoin de chiens de garde pour leurs propriétés », a affirmé Hussain al-Akhras, qui dresse des chiens de garde à des fins de sécurité.

Un labrador noir semble plus intéressé par l’appareil photo que les autres chiens (MEE/Mohammed Asad)

« Nous avons aussi des difficultés pour dresser les chiens, car nous n’avons pas les meilleurs outils ni les installations de dressage – même le matériel de dressage le plus basique peut coûter dans les 700 euros à cause du siège », a-t-il ajouté, mais la culture du “meilleur ami de l’homme” est désormais florissante à Gaza ».

Ahmed Laham, un propriétaire de chien âgé de 28 ans, a affirmé que la publicité qui entoure ces nouveaux animaux familiers sur les réseaux sociaux a amorcé une nouvelle culture à Gaza.

Certains Gazaouis – comme partout dans le monde – ne peuvent pas résister à la tentation d’habiller leurs chiens pour s’amuser. Ce berger allemand appartient à Mohammed Hellis (MEE/Mohammed Asad)

« Les gens sont mieux renseignés sur la façon de s’occuper correctement des chiens et ils contribuent à atténuer les images négatives assimilant les chiens à des animaux impurs », a-t-il dit en caressant affectueusement son berger allemand.

Ahmed Laham, qui tient un salon de coiffure, a affirmé que Facebook lui avait permis d’accéder à plus d’informations pour lutter contre les maladies pouvant atteindre les chiens.

Mais il rêve de créer une tribune publique qui fasse reconnaître les droits des animaux en général. Il existe un lien spécial, un amour inconditionnel, entre un bon maître et son chien qui lui accorde sa confiance et sa loyauté – un lien qui peut durer toute la vie, d’une génération de la famille à l’autre. Selon Ahmed, la façon dont quelqu’un traite ses animaux familiers peut beaucoup vous apprendre sur sa personnalité.

Lors d’un récent rassemblement, certains propriétaires de chiens arborent des chemises blanches qui portent le nom de leur association, « Berger allemand de Gaza » (MEE/Mohammed Asad)

Mohammed Abulkhair a raconté que l’hiver dernier, les familles ont souffert à cause des coupures d’électricité, et beaucoup de jeunes chiots sont morts de froid – « mais maintenant grâce à cette nouvelle page Facebook, nous espérons que les conseils pour garder les chiens bien au chaud vont circuler plus facilement, et nous réclamons aussi que des stocks de vaccins pour chiens soient autorisés à franchir les points de passage. »

Adham, 17 ans, prend soin de sa chienne pitbull et de ses chiots âgés de 20 jours (MEE/Mohammed Asad)

Cela lui fait aussi plaisir de constater que l’opinion publique et les mentalités concernant les chiens deviennent plus positives et plus ouvertes. C’est un grand changement à Gaza, où les locaux considéraient autrefois les chiens comme des animaux de rue malpropres, plutôt que comme des membres appréciés de la famille et des compagnons fidèles.

« Quand j’ai fait venir des chiens pour la première fois, personne de ma famille ne m’a rendu visite, mais maintenant tout le monde vient », a-t-il noté, pendant que son chien gambade près de la plage, les oreilles couchées en arrière, visiblement en train de s’amuser.

« Le vieux tabou est en train de s’estomper, et les chiens apportent de la joie aux familles de Gaza », a-t-il conclu en souriant.

Une femme et ses enfants jouent avec des chiens dans un parc local (MEE/Mohammed Asad)

« Malgré les difficultés, je suis enchanté d’avoir pu aider à faire venir 21 nouveaux chiens de l’étranger pour des familles locales, grâce à ma page Facebook », a déclaré Maher Jaber, alors que les demandes de chiens pour des familles ne font que grandir.

Selon lui, malgré les difficultés financières, cela vaut le coup de payer 90 euros par mois environ par chien, pour couvrir le coût de leur nourriture et de leurs vaccinations. Il affirme que ses chiens le détendent, lui apprennent à être patient et l’aident à se concentrer sur les choses simples et bonnes de la vie quotidienne, plutôt que sur les difficultés politiques et les guerres dans les pays arabes.

Assis avec ses amis, il parle de la provenance de ses chiens et de la façon paradoxale dont ils ont pu traverser les frontières closes de Gaza il y a deux ans.

« Les parents de mes chiens sont Kisel, qui est originaire d’Allemagne, et Wenny, qui vient d’Israël », a-t-il expliqué en souriant, en montrant les certificats de naissance de ses chiens à ses deux enfants.

Étrangement, les chiens ont créé un certain rapprochement avec Israël et avec l’Occident, à travers l’affection que la famille ressent pour ses animaux. « Maintenant je sais que nous avons des parents en Allemagne et en Israël – et le rapport avec Gaza me fait toujours sourire », a-t-il conclu. Il fait monter ses chiens dans sa voiture et démarre tandis que les chiens regardent par la fenêtre, fatigués par une longue journée de jeux.

Un jeune garçon court derrière une voiture qui s’éloigne du parc, dans l’espoir de prendre une photo d’un berger du Caucase, un chien que l’on rencontre rarement à Gaza (MEE/Mohammed Asad)

Traduit de l’anglais (original) par Maït Foulkes.

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