L’Arabie saoudite n’a atteint aucun de ses objectifs au Liban
Le Liban a réussi à absorber l’onde de choc provoquée par la démission surprise de son Premier ministre Saad Hariri à Riyad le 4 novembre, suivie d’un séjour de dix-huit jours dans le royaume, qualifié de « détention » par le président de la République Michel Aoun. Les dirigeants libanais s’emploient actuellement à résorber progressivement les effets de cette secousse, qui a failli plonger le pays dans le chaos, sinon plus.
L’analyse des événements, vingt-sept jours après le début de cette crise inédite dans les annales des relations entre États, permet d’établir un premier bilan : dans ce bras de fer, le Liban, petit pays divisé et sans ressources, dont plus du tiers de la population est composé de réfugiés syriens, a tenu tête à l’Arabie saoudite, l’un des pays les plus riches et les plus puissants de la région.
« La démission devait être accompagnée d’un vaste plan de déstabilisation sécuritaire exécuté par des partis libanais, qui projetaient de manifester et de fermer des routes »
- Amin Hoteit, professeur de droit à l’Université libanaise
Quels étaient les objectifs de Riyad en contraignant Saad Hariri à la démission ? Pourquoi les autorités saoudiennes ont-elles restreint ses déplacements, avant que sa liberté ne lui soit rendue, à l’issue de fortes pressions internationales initiées par la France ?
La réponse à la première question est venue de la bouche même des responsables saoudiens, notamment le ministre chargé des Affaires du Golfe, Thamer al-Sabhan, qui a exigé, sur un ton péremptoire, que le Hezbollah, qu’il appelle « le parti du diable », soit exclu du gouvernement et du parlement libanais. Au cours d’une intervention au ton extrêmement menaçant sur la chaîne à capitaux saoudiens basée à Dubaï Al-Arabiya TV, M. al-Sabhan a accusé le gouvernement libanais d’avoir « déclaré la guerre à l’Arabie saoudite ».
Les restrictions imposées à M. Hariri pour ses déplacements visaient quant à elles, selon les dirigeants libanais et la famille du Premier ministre, à mettre un terme à sa carrière politique et à le remplacer par son frère aîné Bahaa Hariri, plus enclin à accepter l’agenda de Riyad. En effet, les responsables saoudiens sont arrivés à la conclusion – aidés en cela par un lobbying actif menés par quelques hommes politiques libanais – que M. Hariri, lié au président Aoun par un « compromis », n’est pas prêt à s’opposer au Hezbollah, qui dispose d’ailleurs de deux ministres dans son gouvernement.
La déstabilisation sécuritaire
La démission de Saad Hariri aurait dû normalement provoquer la chute de son gouvernement et plonger le pays dans une vaste déstabilisation, croit savoir Amin Hoteit, professeur de droit à l’Université libanaise. Ce général à la retraite, ancien commandant en chef de l’École d’état-major de l’armée libanaise, nous déclare que « la démission devait être accompagnée d’un vaste plan de déstabilisation sécuritaire exécuté par des partis libanais, qui projetaient de manifester et de fermer des routes ».
L’armée et les services de sécurité ont étouffé dans l’œuf toutes ces tentatives en prenant des mesures préventives comprenant le déploiement de plusieurs milliers de militaires
Cependant, l’armée et les services de sécurité ont étouffé dans l’œuf toutes ces tentatives en prenant des mesures préventives comprenant le déploiement de plusieurs milliers de militaires et des centaines d’agents en civils dans les régions les plus sensibles, notamment dans le nord du Liban.
Selon Amin Hoteit, des groupes palestiniens du camp d’Aïn al-Hilweh, à 40 kilomètres au sud de Beyrouth, avaient pour mission de fermer la route côtière menant à la partie méridionale du pays, le fief du Hezbollah.
Conscient de ces dangers, le président Aoun a dépêché d’urgence, au tout début de la crise, le directeur de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim, à Amman en Jordanie pour évoquer avec le président palestinien Mahmoud Abbas la situation dans les camps du Liban. Ce dernier a chargé son ambassadeur à Beyrouth, Achraf Dabbour, de prendre les mesures nécessaires pour colmater toute brèche sécuritaire à ce niveau.
La tentative de remplacer Saad Hariri par son frère Bahaa n’aura pas non plus fait long feu. Les membres influents de la famille Hariri, dont la tante de Saad, la députée Bahia Hariri, ses deux demi-frères et sa demi-sœur, ainsi que sa belle-mère Nazek, auraient tous refusé, pour divers prétextes, de se rendre en Arabie saoudite pour consacrer le changement de leadership entre Saad et Bahaa.
Le ministre de l’Intérieur, Nouhad Machnouk, a été très explicite à ce sujet. « Nous ne sommes pas un troupeau qui change de propriétaire et le système politique libanais fonctionne selon le principe de l’élection et pas de l’allégeance », a dit ce membre d’une grande famille sunnite beyrouthine.
Aoun contre-attaque
La tentative de déstabilisation politique n’a pas mieux réussi que la subversion sécuritaire. Passé le moment de surprise, le président Michel Aoun a rapidement pris en main la gestion de la crise.
Le Liban doit sa stabilité à la fine gestion de la crise par le président Michel Aoun et le chef du parlement Nabih Berry, ainsi qu’au discours calme du leader du Hezbollah Hassan Nasrallah
Sa première décision a été de ne pas accepter la démission de Saad Hariri, la jugeant anticonstitutionnelle car ayant été présentée sur le sol d’un État étranger, précise Sarkis Abi Zeid, écrivain et historien. Cette mesure fondamentale a empêché la rupture du processus constitutionnelle, qui aurait pu plonger le pays dans une longue crise gouvernementale à cause de la difficulté de nommer un nouveau Premier ministre et de former un gouvernement.
Riyad a également essuyé un échec lorsqu’il a été contraint d’autoriser le départ d’Arabie saoudite de Saad Hariri sous la pression de la France, appuyée par l’ensemble de la communauté internationale. L’affaire a été prise en main en personne par le président Emmanuel Macron.
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Malgré toutes ces déconvenues, Mohammad Ben Salman n’a pas baissé les bras. Dans une interview accordée à Thomas Friedmann dans le New York Times le 23 novembre, le prince héritier saoudien a déclaré : « M. Hariri ne va pas continuer à fournir une couverture politique à un gouvernement qui est essentiellement contrôlé par la milice du Hezbollah ».
Le prince exprimait ainsi indirectement un souhait de voir le Premier ministre confirmer à Beyrouth la démission qu’il avait présentée à Riyad. Or, c’est tout le contraire qui s’est produit. M. Hariri a décidé de temporiser, et le pays se dirige vers le maintien et la réactivation du gouvernement qui a « déclaré la guerre » au royaume.
Le Premier ministre est plus populaire que jamais ; le gouvernement est toujours en place et comprend en son sein deux ministres du Hezbollah ; [...] l’unité nationale est sortie renforcée
Amine Hoteit affirme que le Liban doit sa stabilité à la fine gestion de la crise par le président Michel Aoun et le chef du parlement Nabih Berry, ainsi qu’au discours calme du leader du Hezbollah Hassan Nasrallah, qui a évité l’escalade et empêché la résurgence des tensions entre les sunnites et les chiites. « Ces trois hommes ont créé une sorte de Triangle des Bermudes qui a avalé la crise », a-t-il dit.
L’Arabie saoudite n’a atteint aucun des objectifs qu’elle s’était fixés à travers la démission de Saad Hariri : le Premier ministre, dont la carrière était vouée à une fin subite, est plus populaire que jamais ; le gouvernement qui devait s’effondrer est toujours en place et comprend en son sein deux ministres du Hezbollah ; la sécurité du pays est bien prise en main ; l’unité nationale est sortie renforcée et au lieu de tensions entre sunnites et chiites, nous assistons à une grande déception des sunnites après le mauvais traitement réservé à leur leader par le pays qui est censé les protéger.
- Paul Khalifeh est un journaliste libanais, correspondant de la presse étrangère et enseignant dans les universités de Beyrouth.
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Photo : des partisans du Premier ministre libanais Saad Hariri célèbrent son retour à Beyrouth en agitant des drapeaux de son parti, le Courant du futur (AFP).
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