De retour au Liban, Hariri est accueilli en héros et suspend sa démission
BEYROUTH – Le timing était parfait : après deux semaines de péripéties dramatiques incluant une démission surprise dans laquelle beaucoup ont vu la main de l’Arabie saoudite, le Premier ministre libanais Saad Hariri est rentré au Liban mardi soir, juste à temps pour les célébrations de l’indépendance de son pays.
Il avait promis de revenir pour le 74e anniversaire de l’indépendance du Liban vis-à-vis de la France. C’est chose faite : son avion privé a atterri à Beyrouth dans la nuit de mardi à mercredi, après trois jours à Paris, une visite en Égypte et une escale à Chypre.
« Notre pays bien-aimé a besoin d’efforts exceptionnels, de la part de tous, pour le protéger des risques et des défis »
- Saad Hariri, Premier ministre libanais
À son arrivée, son premier geste a été de se rendre sur la tombe de son père dans le centre de Beyrouth. Rafiq Hariri – également Premier ministre – a perdu la vie dans un attentat à la voiture piégée en 2005. Le Tribunal spécial pour le Liban, créé en 2009 à La Haye, a accusé du meurtre quatre membres du Hezbollah. Le parti nie toutes les accusations.
Mercredi, les célébrations de l’indépendance ont commencé vers 8 h 30 dans le centre-ville de Beyrouth. Les invités officiels sont arrivés en suivant le protocole – d’abord le chef de l’armée, suivi peu après par le ministre de la Défense puis par le grand trio libanais : le Premier ministre Saad Hariri, le président du parlement Nabih Berri et le président de la République, Michel Aoun.
Aoun et Berri ont salué Hariri chaleureusement, indiquant leur désir de maintenir l’unité nationale à un moment où le Liban fait face à une agitation exceptionnelle.
Des milliers de Libanais sont venus assister au défilé militaire de l’indépendance.
« Je suis très heureux que le Premier ministre soit venu à la cérémonie. Il est très important de réunir à nouveau nos trois principaux dirigeants », a déclaré Bassam, 26 ans, fils d’un responsable de l’armée.
« J’ai vu Saad Hariri se diriger vers la scène, il semblait triste, on aurait dit que quelque chose n’allait pas, peut-être à cause de toutes les rumeurs qui ont circulé sur son compte », a-t-il ajouté.
Saad Hariri a annoncé sa démission soudaine depuis l’Arabie saoudite le 4 novembre dernier.
Dans son discours de démission, il a fustigé l’influence grandissante de l’Iran et du Hezbollah sur le Liban. Cependant, le président Aoun, entre autres, a rapidement accusé Riyad de l’avoir forcé à démissionner et de l’avoir détenu dans le royaume.
L’affaire du Premier ministre disparu
De nombreux Libanais se sont demandé si sa décision de démissionner lui avait été imposée par l’Arabie saoudite – pays avec lequel les Hariri ont toujours entretenu des relations étroites – dans le but d’accroître la pression sur l’Iran, et s’il reviendrait un jour.
« La guerre est tout autour de nous mais aujourd’hui, l’armée libanaise nous a montré qu’elle devenait de plus en plus forte », a déclaré Hadi, un soldat venu voir le défilé.
« Je suis ici aujourd’hui parce que j’aime Saad Hariri. C’est le seul politicien libanais pacifique, le seul à ne pas avoir de sang sur les mains »
- Mirna
« Il est important également que Saad Hariri soit revenu – il est notre Premier ministre et nous le respectons en tant que tel », a-t-il ajouté.
Ni Hariri, ni Aoun n’ont pris la parole pendant la cérémonie, mais à la veille de la fête de l’indépendance, Aoun a prononcé un discours télévisé dans lequel il a appelé la communauté internationale et les pays arabes à respecter la souveraineté et l’indépendance du Liban.
Toutefois, pour certains Libanais, une telle demande arrive trop tard.
« Malheureusement, le Liban n’est pas indépendant, de nombreux pays mettent les mains dans notre politique », a déclaré Oussama, un travailleur social venu de la ville de Tripoli, dans le nord du pays, pour participer aux célébrations.
Juste après le défilé, Aoun et Hariri ont tenu une réunion privée au palais présidentiel à Baabda, aux portes de la capitale.
À sa sortie de la réunion, Hariri a prononcé un discours inattendu, et dit exactement ce que ses partisans attendaient.
« Aujourd’hui, j’ai présenté ma démission au président. Il m’a demandé de la différer afin de permettre de nouvelles consultations […] J’ai accepté sa demande, espérant que cela offrirait une opportunité sérieuse de dialogue », a-t-il dit.
« Il nous a donné de l’espoir. Il nous a montré ce que signifie l’indépendance. Il est le seul à pouvoir sauver notre pays et à le protéger des groupes nuisibles tels que le Hezbollah et ses armes »
- Kamal
« Notre pays bien-aimé a besoin d’efforts exceptionnels, de la part de tous, pour le protéger des risques et des défis. Au premier rang de ces efforts se trouve la nécessité de s’investir dans la politique de dissociation vis-à-vis des guerres et des luttes extérieures […] qui peuvent nuire à la stabilité interne et aux relations fraternelles avec les frères arabes », a-t-il ajouté.
De retour dans le centre de Beyrouth, des milliers de ses partisans l’attendaient pour l’accueillir chez lui.
« Il nous a donné de l’espoir. Il nous a montré ce que signifie l’indépendance. Il est le seul à pouvoir sauver notre pays et à le protéger des groupes nuisibles tels que le Hezbollah et ses armes », a déclaré Kamal, un employé de banque venu offrir son soutien.
Les partisans de Hariri étaient venus avec des drapeaux libanais mais aussi les drapeaux bleus de son parti politique, le Courant du futur. Ils ont chanté des chansons patriotiques et scandé le nom de Hariri en arborant des bannières faisant l’éloge du Premier ministre.
Le voyage continue
À 14 heures, Hariri est arrivé chez lui dans le centre de Beyrouth et s’est adressé à la foule en liesse.
« Nous allons continuer le voyage ensemble », a-t-il dit en souriant, puis, avec un charisme tout nouveau, est allé dans la rue saluer ses partisans.
« Je suis ici aujourd’hui parce que j’aime Saad Hariri. C’est le seul politicien libanais pacifique, le seul à ne pas avoir de sang sur les mains », a déclaré Mirna, un comptable de Beyrouth portant un T-shirt à l’effigie de Hariri.
« Aujourd’hui est un jour unique parce que les Libanais de toutes origines, chrétiens comme musulmans, sont unis », a déclaré Issam, un ingénieur civil qui avait fait un trajet de quatre heures en voiture pour venir voir Hariri à Beyrouth.
« Je suis très confiant aujourd’hui – Hariri est à ce jour la seule personne capable de protéger le Liban », a-t-il ajouté.
« Nous voulons juste vivre en paix et avoir de bonnes relations avec tous les pays arabes. Si le Hezbollah accepte de faire des compromis sur son programme iranien, Hariri restera Premier ministre », a déclaré Nader, un autre partisan de Hariri.
Mais loin des célébrations, certains Libanais étaient encore sceptiques.
« Ce n’est que de la poudre aux yeux. Hariri – comme tous les autres politiciens – n’a jamais rien fait pour ces gens. L’économie s’effondre et malgré ça, les masses chantent – c’est très triste »
- Maria
« Les sunnites avaient probablement besoin d’un moment comme celui-ci pour se rassembler et se sentir puissants, mais au final, les foules sont manipulées », a déclaré Maria, une commerçante.
« Ce n’est que de la poudre aux yeux. Hariri – comme tous les autres politiciens – n’a jamais rien fait pour ces gens. L’économie s’effondre et malgré ça, les masses chantent – c’est très triste. »
« Nous ne savons toujours pas ce qu’il va se passer. Combien de temps va-t-il vraiment rester ? Et que se passera-t-il s’ils n’arrivent pas à trouver un compromis ? », s’est interrogé Toufic, qui travaille dans le conseil.
Saad Hariri rencontrera différentes factions libanaises dans les prochains jours, à la recherche d’un nouveau compromis politique.
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