Écris correctement ou tu iras en prison : une loi égyptienne sur la langue arabe fait débat
Le parlement égyptien étudie actuellement une proposition de loi visant à préserver la langue arabe qui a provoqué un tollé sur les réseaux sociaux et au parlement, ses détracteurs dénonçant une violation des libertés fondamentales.
Le projet de loi, proposé par l’Académie de la langue arabe du Caire, pourrait exposer les journalistes à une amende de 200 000 livres égyptiennes (environ 9 500 euros) ou à une peine pouvant aller jusqu’à six mois d’emprisonnement s’ils emploient un langage familier à la place de l’arabe soutenu dans leurs publications.
La proposition exige d’employer l’arabe soutenu dans pratiquement tous les aspects de la vie égyptienne, notamment dans les affaires gouvernementales, dans l’enseignement et sur les panneaux de signalisation et les installations artistiques, ainsi que d’éviter le recours à des mots familiers et étrangers.
La motion, qui doit faire l’objet de discussions au parlement prochainement, oblige en outre les dirigeants politiques, les responsables politiques, les enseignants, les prédicateurs et les animateurs de télévision à parler en arabe soutenu. Elle stipule également que si l’emploi d’une langue étrangère dans des documents officiels est inévitable, une traduction en arabe doit être fournie.
La liberté de la presse en question
Le projet de loi stipule que les médias égyptiens devront engager un éditeur linguistique approuvé par l’État et supprimer les publications en arabe vernaculaire. Les contrevenants seront passibles d’amendes et de peines de prison.
Les détracteurs craignent que cette loi ne puisse être utilisée pour étouffer la liberté d’expression.
Cette motion pourrait en outre constituer une violation de la Constitution égyptienne, qui garantit la liberté d’expression tant qu’elle n’incite pas à la violence ou à la haine et tant qu’elle ne forme pas une discrimination à l’encontre de certaines personnes.
« Cette proposition viole les droits fondamentaux en demandant que des journalistes soient condamnés à une amende ou emprisonnés s’ils emploient un arabe familier », a écrit Ahmed Sherif, journaliste égyptien pour Al-Youm al-Sabi.
« Cette proposition viole les droits fondamentaux en demandant que des journalistes soient condamnés à une amende ou emprisonnés s’ils emploient un arabe familier »
– Ahmed Sherif, journaliste égyptien
Mohamed Fouad, député du parti al-Wafd, a partagé cet avis ; il a évoqué une manœuvre de la « police de la pensée » et souligné que les sanctions n’étaient pas une solution.
« Des priorités doivent être fixées pour protéger la langue arabe, principalement en enseignant et en parlant aux élèves en arabe soutenu », a-t-il déclaré à Al-Monitor.
D’autres estiment que si l’ensemble de la population ne participe pas à ces changements, ces derniers auront peu de chances de porter leurs fruits.
« Ces efforts se poursuivent depuis très longtemps, mais ils ont échoué et ils continueront d’échouer parce que les gens n’y croient pas », a déclaré à MEE Ahmed Samir, journaliste pour Al-Masry al-Youm.
Bien qu’il convienne qu’il est très important de préserver l’arabe standard, Samir estime que le dialecte familier est plus adapté à la communication d’idées dans des domaines divers tels que le théâtre et certains types de journalisme.
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« Il est très important de préserver l’arabe classique pour l’identité culturelle et littéraire. Il permet également à tous les Arabes de pouvoir continuer de communiquer malgré les différences entre les dialectes », a affirmé Samir.
« Toutefois, le rôle d’une langue est de transmettre des idées. Imposer une telle loi est inutile et cette mesure pourrait certainement être employée pour les mauvaises raisons. »
« Les personnes qui vont discuter de cette loi au parlement ne savent même pas parler en arabe soutenu »
– Mohamed Taha, Membre du Syndicat égyptien des journalistes
Mahmoud Kamel, membre du conseil de direction du Syndicat des journalistes et rapporteur de sa commission culturelle et technique, a jugé la proposition « catastrophique » dans des propos relayés par Al-Monitor.
Kamel a noté que l’emploi du dialecte local n’était pas un fait nouveau en journalisme et que si le projet de loi avait été appliqué auparavant, des personnalités importantes du journalisme et de la littérature auraient été emprisonnées et le monde n’aurait pas eu connaissance de leur œuvre.
L’académie qui a rédigé la motion a été fondée dans les années 1930 pour surveiller la langue arabe et publie depuis un rapport annuel qui rend compte des violations. En 2008, il a reçu le pouvoir d’imposer des sanctions aux contrevenants et depuis 2016, ses rapports sont considérés comme contraignants.
L’académie tente depuis de s’occuper de la « tendance des médias à utiliser l’argot et des mots étrangers », déclarant toutefois qu’elle ne souhaite pas « brandir l’épée de la loi face à cette insouciance dans l’emploi de l’arabe classique ».
Pourtant, selon le projet de loi, les contrevenants s’exposent à une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à six mois et encourent une lourde amende.
Hassan al-Shafei, qui a dirigé la proposition au sein de l’académie, a déclaré que le but était d’encourager les journalistes à travailler avec le gouvernement pour relancer l’emploi de l’arabe soutenu, et non de les pénaliser.
« Nous ne criminalisons aucunement les journalistes. Nous espérons œuvrer ensemble à préserver la langue et encourager son emploi approprié », a déclaré Shafei à MEE.
« Les pénalités sont là pour aider les gens à prendre conscience de la gravité du problème. Sans pénalités – qui ne devraient être que d’ordre financier ou disciplinaire –, la loi ne serait pas prise au sérieux. »
Le fusha est-il en voie de disparition en Égypte ?
Le débat sur la langue arabe remonte au siècle dernier, lorsque les Arabes ont commencé à discuter des moyens de protéger l’arabe classique, appelé fusha [prononcer « fous-ha »], d’un sort similaire à celui du latin.
Nombreux sont ceux qui ont défendu la préservation de la langue arabe, y voyant un symbole des identités religieuses et nationales.
D’autres se sont prononcés en faveur de l’évolution de dialectes distincts propres à chaque région géographique.
Si le projet de loi a suscité un débat houleux en Égypte, une loi similaire a néanmoins été adoptée en Jordanie en 2015, après avoir rencontré une faible résistance.
« Les sanctions sont là pour aider les gens à prendre conscience de la gravité du problème. Sans pénalités, la loi ne serait pas prise au sérieux »
– Hassan al-Shafei, membre de l’Académie de la langue arabe du Caire
La loi jordanienne de 2015, qui visait à préserver la langue arabe dans le pays, énonçait que l’arabe devait être « la langue des discussions, des négociations, des mémorandums et de la correspondance avec les autres gouvernements et les institutions, organisations et organismes internationaux ». La loi, qui sera pleinement appliquée à partir de 2018, stipule qu’aucun enseignant ou instructeur ne peut être employé par un établissement d’enseignement sans avoir réussi un test de compétence en arabe.
Selon le journaliste panarabe Mohammad Ayesh, la raison de cette divergence est la nature différente de la langue arabe et du journalisme en Égypte.
« Il existe une école de pensée distincte parmi les journalistes égyptiens qui n’existe pas dans les autres pays arabes », a déclaré Ayesh à MEE.
« Beaucoup de journalistes égyptiens croient en l’emploi d’un langage simple pour transmettre des idées et acceptent le recours à l’arabe familier, tandis que dans des pays comme la Jordanie, l’Irak et la Syrie, les journalistes sont préoccupés par la préservation de l’arabe soutenu et l’emploi d’un langage approprié dans leur travail », a-t-il ajouté.
Selon Ayesh, de nombreux journalistes égyptiens ont ainsi développé une compréhension insuffisante de l’arabe soutenu, ce qui représente un écart important par rapport à l’époque où Le Caire était considéré comme une plaque tournante du patrimoine et des traditions linguistiques.
En outre, d’autres estiment que la faiblesse de la langue arabe en Égypte compromettra l’adoption de cette proposition.
« Je ne pense pas que ce projet de loi sera adopté, car personne ne sera en mesure de le respecter réellement », a déclaré à MEE Mohamed Taha, membre du Syndicat des journalistes.
Selon lui, la qualité de l’arabe soutenu doit tout d’abord être améliorée dans les écoles et dans l’ensemble du système éducatif. Il a ajouté que l’arabe de la rue était même employé au parlement.
« Les personnes qui vont discuter de cette loi au parlement ne savent même pas parler en arabe soutenu », a-t-il ajouté.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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