Le champ de bataille syrien commence à ressembler à celui de la guerre civile libanaise
L’épisode du F16 israélien abattu le week-end dernier a réveillé les souvenirs de la guerre civile libanaise, qui a été le théâtre d’un affrontement entre des conseillers soviétiques intégrés aux forces aériennes de l’Armée arabe syrienne et l’Armée de l’air israélienne et ses intermédiaires dans le sud du Liban.
Il s’agit en effet de la première fois que l’armée de l’air israélienne perd un avion depuis 1982, lorsque des batteries de missiles sol-air syriennes avaient abattu deux avions israéliens au-dessus de la plaine de la Bekaa.
Dans la foulée, la réponse israélienne a été immédiate et féroce, à travers ce que les Israéliens ont décrit comme leur plus grande attaque contre les systèmes de défense aérienne syriens depuis les années 1980.
Des rivalités entre moyennes puissances
La myriade d’alliances dans la guerre civile syrienne commence aujourd’hui à se démarquer d’une opposition entre acteurs non étatiques pour ressembler davantage à des rivalités entre moyennes puissances qui opposeront directement Israël, l’Iran et la Russie.
L’administration Trump et les dirigeants occidentaux comme le président français Emmanuel Macron reconnaissent également que Damas n’a jamais été aussi enhardi depuis le début de la guerre et qu’avec l’aide de la Russie, l’armée syrienne revient lentement à sa position prééminente. On peut affirmer sans risquer de se tromper que le gouvernement syrien contrôle au moins 65 % du territoire.
Cependant, l’ombre de l’Iran plane toujours, comme la République islamique l’a littéralement prouvé lorsque l’un de ses drones est entré dans l’espace aérien israélien, ce qui a donné lieu à la récente escalade entre l’armée syrienne et l’Armée de l’air israélienne. Une différence claire a été établie dans la manière dont les Russes et les Iraniens voient le champ de bataille en ce qui concerne leur stratégie par ailleurs commune de soutien au gouvernement syrien.
Les Iraniens se sont appuyés sur des milices nationales et étrangères en plus de leurs propres troupes, tandis que l’objectif principal des Russes est de soutenir les forces du gouvernement, à savoir l’Armée arabe syrienne.
L’épisode de l’avion israélien abattu survenu dernièrement est une victoire mineure mais symbolique pour l’armée syrienne, qui cherche à retrouver une partie de sa gloire d’avant-guerre au détriment des autres acteurs non étatiques.
Il est presque inconcevable que les Russes n’aient pas été préalablement au courant de l’attaque israélienne, dans la mesure où une ligne directe a été établie entre les deux parties pour s’assurer que les armées russe et israélienne n’entrent en contact direct ni dans les airs, ni au sol.
Pendant la majeure partie des six dernières années, les Syriens, en mode survie, n’avaient pas osé attaquer les Israéliens compte tenu de leurs capacités restreintes et de leur armée en retraite
De fait, le champ de bataille syrien commence à ressembler à celui de la guerre civile libanaise qui, après le retrait américain en 1983, vit un échange de tirs direct entre la Syrie, l’Iran et Israël, alors que la Russie se rangeait fermement du côté de Damas.
Encore une fois, il est question aujourd’hui de la réticence des États-Unis à se laisser entraîner au-delà d’un certain point, alors que le président Donald Trump copie la politique syrienne employée par Ronald Reagan dans les années 1980. Après les attentats à la bombe perpétrés contre des casernes de Marines américains à Beyrouth, la politique de Reagan consista à laisser aux Syriens le rôle principal au Liban, malgré les inquiétudes israéliennes. Reagan se servit de Philip Habib, son haut diplomate, pour établir une liaison hebdomadaire avec le président syrien de l’époque, Hafez al-Assad.
De même, Trump n’est pas trop intéressé par l’idée d’être un acteur majeur en Syrie.
À l’insu de nombreux observateurs militaires, les Soviétiques étaient pleinement impliqués dans le soutien apporté aux actions militaires syriennes au Liban dans les années 1980, principalement à partir du territoire syrien. À l’époque, l’armée soviétique avait procédé à des examens approfondis des performances israéliennes dans les airs dans ce qui était – pendant la majeure partie de la guerre – un conflit unilatéral contre l’armée syrienne.
L’unique succès des Syriens, obtenu avec l’aide de leurs conseillers soviétiques, relevait des missiles sol-air et des incursions terrestres contre les forces terrestres israéliennes.
Une victoire de facto
Un scénario quelque peu similaire se reconstitue aujourd’hui, cette fois-ci en Syrie plutôt qu’au Liban.
Alors que les analystes pensaient que la Syrie serait un nouvel Afghanistan pour les Russes, il s’est plutôt avéré qu’il s’agissait pour eux d’un nouveau Liban, où ils se sont servis des groupes sur lesquels Damas s’appuyait habituellement pour assurer son hégémonie depuis les années 1970, avec le soutien d’une puissance aérienne stratégique pour dissuader les attaques à grande échelle telles que la récente incursion d’Israël qui a entraîné la destruction de son avion.
Pendant la majeure partie des six dernières années, les Syriens, en mode survie, n’avaient pas osé attaquer les Israéliens compte tenu de leurs capacités restreintes et de leur armée en retraite.
Cependant, depuis l’intervention militaire russe, qui a apporté une supériorité aérienne aux forces syriennes, à laquelle s’est ajoutée la restructuration du commandement et du contrôle de l’Armée arabe syrienne, le résultat a été une victoire de facto du président Assad.
C’est le soutien militaire de Moscou qui a permis à la Syrie d’abattre un avion israélien, ce qu’elle n’avait même pas tenté au cours des dernières années malgré l’agression israélienne
Sur le plan diplomatique et militaire, Damas jouit d’une confiance renouvelée alors que la Chine, le Brésil et l’Inde, trois des puissances économiques majeures comptant parmi les BRICS, ont apporté au gouvernement syrien un soutien financier et diplomatique à l’ONU. La Chine est également venue en aide à l’armée syrienne dans la mesure où elle considère Damas comme la clé de sa lutte contre les combattants ouïghours, présents parmi les nombreux groupes militants qui combattent le gouvernement.
Le rôle de l’Inde dans la reconstruction et son soutien historique apporté à Assad ont pris une nouvelle importance compte tenu de l’influence croissante de l’Inde au Moyen-Orient, notamment avec les Israéliens. Le plus grand partenaire militaire de l’Inde, à savoir la Russie, a salué la participation financière indienne en Syrie.
On relève également le rôle supplémentaire joué par les armées égyptienne et algérienne dans le soutien apporté à la Syrie, bien qu’à une échelle bien moindre. L’Égypte, en particulier, a clairement exprimé non seulement son soutien à l’armée syrienne, mais aussi son souhait de ne pas céder à la pression saoudienne au sujet de son programme de changement de régime, en dépit d’une relation par ailleurs étroite entre Le Caire et Riyad.
Damas en confiance
L’Égypte et l’Algérie ont également pris la tête des appels lancés pour que la Syrie soit réintégrée à la Ligue arabe, tandis qu’Oman a signé des accords d’investissement avec Damas, des initiatives qui démontrent une solidarité croissante pour Assad, lequel réduit ainsi son isolement parmi les États arabes.
L’Égypte est également apparue sur le terrain dans le cadre du processus de cessez-le-feu et des accords de réconciliation, donnant ainsi du poids au soutien arabe en faveur de Damas.
Le principal quotidien turc pro-Erdoğan, Yeni Safak, a également réclamé un réexamen des relations avec Damas compte tenu de la position délicate dans laquelle la Turquie se trouve vis-à-vis du nord de la Syrie.
Le chef du CHP, parti d’opposition turc, a également demandé un dialogue immédiat avec Assad, faute d’alternative aux casse-tête constants de l’intervention turque en Syrie. Les Kurdes syriens ont aussi appelé Damas à l’aide, ce qui a renforcé la confiance du gouvernement syrien quant à son importance régionale retrouvée après cinq années de marasme.
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Si les autres acteurs sont de retour à Damas sur le plan politique et financier, c’est le soutien militaire de Moscou qui a permis à la Syrie d’abattre un avion israélien, ce qu’elle n’avait même pas tenté au cours des dernières années malgré les agressions israéliennes.
Un facteur clé est constitué par le fait que les Russes voient une grande différence entre une attaque d’Israël contre les forces iraniennes en Syrie et une attaque des Israéliens contre l’armée syrienne ou des cibles qui sont exclusivement sous le contrôle du président Assad.
Cette réponse était une réponse militaire à la fois russe et syrienne et non iranienne. Au cours des mois à venir pourrait être établi un précédent selon lequel la Russie et l’Iran prennent leurs distances en matière de stratégie militaire.
Pour Israël, le scénario idéal serait que les Russes et l’Armée arabe syrienne s’emparent du territoire au-dessus du plateau du Golan en vue d’un retour à la détente syro-israélienne qui était la norme depuis la fin de la guerre civile libanaise.
Damas devra pour sa part atténuer les provocations iraniennes contre Israël et plutôt faire en sorte que Téhéran se concentre sur les combats à d’autres endroits, tout en maintenant un équilibre entre les intérêts russes et iraniens. L’émergence de la Chine, de l’Inde et d’autres acteurs tels que l’Égypte dans le processus de réconciliation confère une marge de manœuvre à Damas et à l’Armée arabe syrienne.
- Kamal Alam est chercheur invité au Royal United Services Institute (RUSI). Il est spécialiste de l’histoire militaire contemporaine du monde arabe et du Pakistan. Il est également chercheur associé à l’Institute for Statecraft où il s’occupe de la politique syrienne. Il donne en outre régulièrement des conférences dans plusieurs universités militaires à travers le Moyen-Orient et au Royaume-Uni.
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Photo : un combattant des forces fidèles à Bachar al-Assad brandit un portrait du président syrien tandis que ses camarades se reposent près d’un drapeau national syrien après la prise de contrôle d’un secteur de Deir al-Adas, une ville située dans la campagne de Deraa, au sud de Damas, le 10 février 2015 (Reuters).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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