Au Liban, la musique sort des enfants syriens de l’isolement
Bar Elias, LIBAN – À l’est de Beyrouth, là où de nombreux camps de réfugiés syriens ont vu le jour depuis le début du conflit en 2011, l’organisation Action for Hope dispense des cours de musique aux enfants réfugiés pour les aider à panser leurs plaies et à rompre l’isolement.
Ils sont une vingtaine en ce dimanche matin à s’amasser dans la petite école de musique qui a ouvert ses portes en 2015 à Bar Elias, dans la plaine de la Bekaa, où vivent de nombreuses familles syriennes qui ont fui les atrocités de la guerre.
Saxophone, oud (luth arabe), percussions... à peine arrivés, certains enfants s’emparent de leur instrument et entonnent quelques notes, heureux de participer à cet atelier musical dominical. D’autres s’installent discrètement, découvrant les lieux pour la première fois.
« La musique fait désormais partie de ma vie quotidienne. Elle apporte quelque chose de plus dans ma vie. Je me suis fait beaucoup d’amis ici. Je m’y sens plus heureux »
- Taym, 11 ans, élève de l'école de musique d'Action for Hope
Ceux qui ont rejoint l’école de musique l’année dernière montent immédiatement sur la petite scène noire où sont disposés tous les instruments. Les élèves, qui intègrent l’école à l’issue d’auditions, ont entre 10 et 22 ans. Ils vivent tous dans les camps de réfugiés non loin de l’école, sauf quelques-uns originaires des camps de réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila, en banlieue de Beyrouth.
L’ambiance chaleureuse et bienveillante contraste avec la grisaille et la monotonie du paysage extérieur. Les enfants s’échauffent, rient, discutent en attendant que l’atelier commence, tandis que les professeurs fument en prenant leur café.
Un père vient présenter son fils à l’équipe d’enseignants. L’enfant a 8 ans, trop jeune pour intégrer l’école. La déception se lit dans ses yeux. Alors qu’il rebrousse chemin en tenant la main de son père, les premières notes de musique s’échappent de la pièce.
Taym, 11 ans, déambule dans la pièce avec son saxophone. Originaire de Damas, il a fui la Syrie avec sa famille en 2012. Il n’avait alors que 5 ans. Son visage joufflu et joyeux ne laisse transparaître aucune trace du traumatisme que peuvent engendrer la guerre et l’exil. « Avant, je jouais de la trompette. Mon père m’a dit que je devais apprendre un instrument plus difficile », dit-il tout sourire avant d’expliquer qu’il « n’a plus aucun souvenir de la Syrie ».
Amener la musique dans les camps
Alors qu’actuellement, la Ghouta, en banlieue de Damas, est en proie à de violents bombardements du régime syrien et de ses alliés, causant la mort de centaines de civils, ici, à Bar Elias, le son de la musique a remplacé celui des bombes.
Quatre professeurs sont présents ce matin. Parmi eux, Fawaz Baker, originaire d’Alep, où il était directeur du conservatoire de musique. Pour lui, la transmission de la musique est quelque chose de « sacré ». C’est dans le cadre d’un colloque sur le patrimoine immatériel de la Syrie organisé par l’UNESCO qu’il a rencontré Basma al-Husseini, 60 ans, fondatrice de l’organisation.
Originaire du Caire, cette dernière a travaillé de longues années aux côtés d’artistes et e musiciens. Ce jour-là, elle lui fait part de son projet : créer une école de musique dans les camps de réfugiés au Liban. Baker, qui a étudié la musique en France et est installé à Paris depuis 2012, accepte et se lance dans l’aventure en 2013. Action for Hope sera lancé en 2015.
« Yallah ! », lance-t-il à ses élèves, filles et garçons, rassemblés en cercle sur la scène, chacun avec son instrument. Accompagné de Georges Abdallah à l’oud, il va passer plus de trois heures avec eux. Trois heures à les guider, à scruter chaque note, à faire répéter les élèves.
L’oreille attentive, Fawaz est exigeant. La moindre fausse note le fait sursauter. Son perfectionnisme couplé d’un humour pince-sans-rire amusent les élèves. Pendant de longues heures, il restera concentré, il va tout donner jusqu’à l’épuisement.
« Ils sont démunis de tout pouvoir, je leur donne le pouvoir de la musique. Avec la musique, ils sont plus forts dans leur vie de tous les jours. La musique peut améliorer la vie. Elle m’a sauvé, alors je répète le même schéma »
- Fawaz Baker, professeur de musique au sein d’Action for Hope
« Ils sont démunis de tout pouvoir, je leur donne le pouvoir de la musique », affirme-t-il, convaincu de l’apport positif de la musique dans la vie de ces enfants. « Avec la musique, ils sont plus forts dans leur vie de tous les jours. La musique peut améliorer la vie. Elle m’a sauvé, alors je répète le même schéma ».
Fawaz est franc : parler des atrocités de la guerre, des tensions communautaires, de tout ce qui fait l’actualité de la Syrie depuis maintenant sept ans ne l’intéressent pas. S’il a conscience qu’enseigner dans cette structure peut être vu comme un acte politique, il préfère lui parler « d’acte éthique » et ne souhaite pas voir ces enfants comme des réfugiés.
Sur scène, les enfants semblent eux aussi oublier qu’ils viennent d’ailleurs. Pendant de longues minutes, l’un d’entre eux, Khaled, se tient au milieu de la scène pour chanter. Accompagné de ses camarades musiciens, ce petit blond aux yeux bleus semble transporté et totalement à l’aise dans ce rôle. Le regard vif, il chantera inlassablement jusqu’à la fin de l’atelier.
Une réponse au racisme anti-Syriens
Dans l’autre salle, le chant est également à l’honneur. Depuis le couloir, des voix d’enfants s’élèvent. Assis les uns à côté des autres, ils sont disciplinés et attentifs. Pas d’instrument pour ces débutants, mais des mots. Certains trébuchent, d’autres ont l’air sûrs d’eux. C’est la première fois qu’ils assistent à un cours de musique au sein de l’organisation.
« L’art est le seul langage universel grâce auquel on peut dépasser toutes les frontières et toutes les différences »
- Georges Abdallah, professeur de musique au sein d’Action for Hope
Ils répètent chaque couplet de « Ahwa Qamaran » (« J’aime une lune »), un « muwashah » (poème arabe) soufflé par Farah Kaddour, musicienne et professeure de musique originaire du nord du Liban. Âgée de 24 ans, Farah voit son travail au sein d’Action for Hope comme « un moyen de refuser le racisme envers quelconque nationalité, et en particulier envers la population syrienne ».
Selon elle, « d’un point de vue historique, nous, Libanais, faisons partie du ‘’Bilad al-Sham’’ [Grande Syrie], je me vois comme faisant partie de cette identité. Il n’y a donc aucune raison d’être raciste. Nous avons la même culture, la même musique ! », s’exclame-t-elle.
Un discours fraternel que partage son collègue Georges Abdallah, 26 ans, originaire d’Akkar. « Je suis du nord du Liban, où on vit en fusion avec les syriens. L’art est le seul langage universel grâce auquel on peut dépasser toutes les frontières et toutes les différences. Au sein d’Action for Hope, on donne aux enfants le potentiel de devenir de bons musiciens. »
Leur discours rompt avec le sentiment anti-syrien palpable dans le pays, qui depuis sept ans accueille un nombre important de réfugiés. Selon les chiffres officiels, ils seraient entre 1 et 1,5 million. En décembre dernier, le Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés annonçait que leur nombre était passé sous la barre des 1 million.
Leur présence provoque animosité et tensions dans ce petit pays de 6 millions d’habitants. Ce que regrette Basma al-Husseini. « Dans le monde entier, les réfugiés sont de manière générale très mal accueillis. Certains oublient que ce sont des gens normaux. Certains d’entre eux sont très talentueux, le fait qu’ils soient réfugiés ne signifie pas qu’ils n’aient aucun talent. »
L’art, rempart contre la fatalité
Avec insistance, elle rappelle le rôle indispensable de l’art en général et de la musique en particulier chez ces populations déplacées. « L’art est un formidable moyen d’expression qui permet de rompre avec l’isolement et de ne plus se sentir victime. Les gens créatifs sont des gens qui ont un pouvoir entre les mains. » Un discours qui fait écho à celui de Fawaz Baker, pour qui la création de l’école s’est imposée comme « la seule solution, la meilleure chose à faire ».
La fin de l’atelier approche, Fawaz Baker et Farah Kaddour, à présent sur scène, continuent tour à tour à faire chanter les enfants qui sont désormais dans le public. Fatigués mais toujours volontaires, ils ont conscience du rôle important qu’ils jouent auprès de ces enfants qui, dans deux ans, seront sans doute diplômés de cette école née dans un contexte social et géographique particulier.
« Deux ans, c’est court, le conservatoire, c’est cinq ans ! En deux ans, ils doivent assimiler un maximum », s’exclame Fawaz Baker pour justifier le rythme intensif de la session.
« Dans le monde entier, les réfugiés sont de manière générale très mal accueillis. Certains oublient que ce sont des gens normaux. Certains d’entre eux sont très talentueux »
- Basma al-Husseini, fondatrice d'Action for Hope
Taym fait partie de ceux qui seront diplômés en septembre prochain. Il en sourit avec fierté. « La musique fait désormais partie de ma vie quotidienne. Elle apporte quelque chose de plus dans ma vie. Je me suis fait beaucoup d’amis ici. Je m’y sens plus heureux », confie-t-il avant d’évoquer la possibilité du retour au pays une fois la guerre terminée, lui qui n’a pourtant plus aucun souvenir de ce pays dont la frontière est à seulement quelques kilomètres. « Le but de mon père est de changer quelque chose en moi grâce à la musique, de m’apporter un plus pour ensuite retourner en Syrie. »
Comme de nombreux élèves aujourd’hui, Taym sort heureux de cet atelier. « On a hâte que l’année scolaire commence », lancent tout sourire ses camarades, Khaled, 12 ans, et Mortaz, 11 ans, qui ne cessent de répéter qu’ils sont « heureux » et « excités » à l’idée de débuter en mars cette nouvelle année à l'école de musique.
Taym, Khaled, Mortaz et les autres deviendront peut être musiciens un jour. Basma al-Husseini est confiante quant à l’avenir des élèves : « Il y a un marché ici au Liban pour les musiciens ».
Pour ceux qui ne deviendront pas musiciens professionnels, leur passage au sein d’Action for Hope leur permettra d’appréhender la vie de manière plus positive et leur donnera peut-être les armes pour affronter le quotidien souvent difficile dans et à l’extérieur des camps. Ils sont nombreux à « avoir retrouvé l’école, la lecture, grâce à la musique », affirme Fawaz Bakker.
Le silence des alentours et le bruit du moteur du bus qui les attend remplacent désormais les notes de musique. Comme un rappel à la réalité. Comme la fin d’une trêve musicale. Chaque enfant part retrouver la vie dans les camps en attendant la rentrée scolaire qui doit débuter courant mars. Une rentrée attendue par ces enfants qui, grâce à la musique, retrouvent l’innocence enfantine, le goût d’étudier et, sans doute, l’espoir d’une vie meilleure. Loin des camps.
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