Le plan Pompeo : casser l’accord avec l’Iran et aller à la rupture avec Téhéran
La nomination de Mike Pompeo au poste de nouveau secrétaire d’État est le choix idéal pour le président américain Donald Trump. Pompeo satisfera les positions idéologiques de Trump et lui donnera le courage de réaliser un rêve dont il ne cesse de parler depuis sa campagne électorale : l’annulation de l’accord nucléaire iranien.
La question centrale
À n’en pas douter, bien sûr, Trump et Tillerson étaient très mal assortis dès le début. La destitution de Tillerson s’expliquerait aussi par les réserves de ce dernier quant à la décision de Trump de rencontrer Kim Jong-un, le dirigeant nord-coréen. Cependant, les observateurs maintiennent presque unanimement que la question de l’Iran était au cœur du désaccord entre le président et son ancien secrétaire d’État.
Lors de l’annonce de ce spectaculaire bouleversement, Trump a expliqué que Tillerson et lui « s’entendaient plutôt bien », mais qu’ils « n’étaient pas d’accord sur plusieurs points ».
Lesquels ? « Quand j’ai vu l’accord avec l’Iran, je me suis dit que c’était une catastrophe. [Tillerson], lui, le trouvait très bon », raconte Trump. « Je voulais soit l’abroger, soit au moins y changer quelque chose. Il était un peu d’un autre avis. ... Alors qu’avec Mike Pompeo, ça n’a rien à voir : notre esprit fonctionne de la même façon ».
À en juger par ce qui s’est passé pendant la tumultueuse décennie 2003-2013, il ne fait aucun doute qu’une fois que les Iraniens feront l’objet de sanctions plus sévères, ils réagiront en renforçant leur programme nucléaire
Pompeo a, l’automne dernier, taxé l’Iran d’« État policier voyou » et de « théocratie despotique ». Peu de temps après la victoire de Trump, il a tweeté : « J’ai hâte de faire machine arrière sur notre accord désastreux avec cet État qui est le plus gros parrain mondial du terrorisme ». Conformément à la politique de la CIA, le compte Twitter de Pompeo a été supprimé après sa prise de contrôle de l’agence.
Il est également vrai que l’Iran est au cœur des visions que Trump et Pompeo ont du monde. Mais quand on regarde le « muslim ban » décidé par Trump et ce que pense Pompeo des musulmans, on constate qu’ils peuvent s’entendre sur bien plus que l’Iran.
En 2015, Pompeo, alors membre du Congrès, avait attaqué Barack Obama qui, selon lui, prenait le parti de l’« Orient islamique » en guerre contre l’« Occident chrétien ». « À chaque occasion d’un conflit entre l’Occident chrétien et l’Orient islamique, les données pointent toutes dans la même direction », avait-t-il déclaré.
« Il est très clair que cette administration – et j’entends par là une tranche très étroite au sein de l’équipe dirigeante ici à Washington – a décidé que l’Amérique serait certainement mieux lotie si l’Iran jouit d’une plus grande influence au Moyen-Orient. »
Scénarios pour l’avenir
L’escalade avec l’Iran pourrait commencer par la non-certification par Trump de la conformité de l’Iran à l’accord nucléaire, suivie d’une réimposition probable de sanctions contre l’Iran, le 12 mai où à une date voisine, où Trump devra décider s’il y a lieu de prolonger l’exemption de sanctions.
À en juger par les péripéties de la tumultueuse décennie entre 2003 et 2013, on peut être sûr d’une chose : dès que les Iraniens feront l’objet de sanctions plus sévères, ils réagiront en renforçant leur programme nucléaire.
Les partisans américains de la ligne dure savent-ils comment tout cela va finir ? La réponse est oui. Leur véritable objectif n’est pas le simple sabordage de l’accord nucléaire. En 2015, lorsque le sénateur Tom Cotton en a appelé à de « nouvelles sanctions paralysantes » contre l’Iran, il a révélé qu’il savait quel en serait le résultat.
« Premièrement, l’objectif de notre politique doit être clair : un changement de régime en Iran… Cependant, la rupture de ces négociations n’est pas une conséquence involontaire de l’action du Congrès, c’est une conséquence voulue. Elle fait partie du programme, ce n’est pas une erreur de parcours ».
Les vues que partagent Trump et Pompeo – haine envers le gouvernement iranien et soutien à l’extrême droite israélienne – sont la recette infaillible d’une confrontation militaire entre États-Unis et Iran
Pompeo partage ce point de vue. « Le Congrès doit agir pour changer le comportement iranien et, en fin de compte, le régime iranien lui-même », a fait remarquer Mike Pompeo à l’occasion du premier anniversaire de l’accord nucléaire.
En se répondant du tac au tac – renforcement de sanctions par les États-Unis et élargissement, en réaction, du programme nucléaire iranien – on risque inévitablement d’aboutir à une confrontation militaire. En 2014, Pompeo, en farouche opposition aux pourparlers nucléaires, a déclaré lors d’une table ronde : « Dans un cadre non classifié, il suffira de moins de 2 000 sorties pour détruire la capacité nucléaire iranienne. Rien d’insurmontable pour les forces de la coalition ».
En 2015, Barack Obama s’est opposé à ce point de vue simpliste et dangereux en déclarant : « Certains affirment que les frappes chirurgicales contre les installations iraniennes seront rapides et indolores… Or, cette dernière décennie nous aura enseigné au moins ceci : les guerres en général, et les guerres au Moyen-Orient en particulier, sont tout ce qu’on voudra, sauf simples ».
Pas de programme nucléaire caricatural
La principale revendication de Trump par rapport à l’accord nucléaire est la prolongation indéfinie des restrictions sur l’enrichissement de l’uranium par l’Iran ainsi que sur d’autres activités nucléaires, pour lesquelles sont prévues des dates d'expiration en vertu des « dispositions de temporisation » contenues dans l’accord sur le nucléaire. « Si l’Iran ne s’y conforme pas.... les sanctions nucléaires américaines reprendront automatiquement », a-t-il fait remarquer en janvier dernier.
Les Iraniens n’accepteront pas un programme nucléaire caricatural après avoir, sagement ou stupidement, payé un lourd tribut pour protéger leur programme. En raison des sanctions, l’Iran a perdu 185 milliards de dollars depuis 2011, rien qu’en revenus pétroliers, selon les estimations du FMI. Selon certains experts, le manque à gagner total pourrait même se monter à 500 milliards de dollars.
Si les Iraniens ont accepté de réduire considérablement leur programme nucléaire, c’est parce qu’on leur avait donné l’assurance qu’après dix à quinze ans, ils pourraient étendre leur programme au niveau industriel. L’Iran n’acceptera jamais de céder à la demande de Trump.
Abbas Araghchi, député au ministère des Affaires étrangères de l’Iran et négociateur nucléaire en chef du pays, aurait déclaré : « Les États-Unis envisagent tout à fait sérieusement d’abandonner l’accord nucléaire, et certains changements ont été apportés dans ce but au Département d’État – ou du moins était-ce l’une des raisons. »
« Nous avons averti les Européens [Royaume-Uni, France et Allemagne] : s’ils ne parviennent pas à convaincre les Américains de rester dans l’accord, et que les États-Unis s’en retirent, l’Iran fera de même », a-t-il ajouté.
Quelles options pour l’Iran ?
Il ne faudrait pas prendre les déclarations d’Araghchi pour du bluff. Si les États-Unis abandonnaient l’accord – et réactivaient en conséquence les sanctions paralysantes contre l’Iran, surtout contre ses secteurs pétrolier et bancaire – l’Iran n’aurait aucune raison de subir d’énormes pressions économiques tout en respectant les restrictions qui en découlent par ailleurs pour son programme nucléaire.
Deux événements majeurs se produiront probablement en Iran
Premièrement, les partisans de la ligne dure pousseront modérés et réformistes sur la touche, et le radicalisme dominera très probablement la politique étrangère de l’Iran.
Tandis que les hostilités avec les États-Unis prendront des proportions épiques, le dirigeant iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, dénigrera publiquement les modérés en disant, en substance, « J’ai toujours dit que les Américains ne sont pas dignes de confiance, mais certains naïfs ont insisté pour leur accorder une nouvelle chance et ont concluent cet accord avec eux ».
Deuxièmement, le pays penchera fortement vers l’Est. Alaeddin Boroujerdi, président de la commission de politique étrangère et de sécurité nationale au parlement iranien, a ainsi réagi à l’évolution de la situation aux États-Unis : « Un rapprochement avec l’Est devrait devenir une pièce substantielle de la politique étrangère [du pays] ».
En 2005, John Sawers – à l’époque l’un des négociateurs britanniques, puis chef des services secrets britanniques (MI6) jusqu’en 2014 – a signifié à Hossein Mousavian, membre de l’équipe de négociation iranienne, que Washington ne tolèrerait même pas que tourne une seule centrifugeuse en Iran.
Les partisans de la ligne dure pousseront modérés et réformistes à l’écart, et le radicalisme dominera très probablement la politique étrangère de l’Iran
M. Sawers a déclaré que la proposition de l’Iran de maintenir une usine pilote opérationnelle à Natanz n’aurait pas d'impact sur cette position. En réponse, Mousavian a affirmé : « Écoute, John. Nezam [l’establishment] a pris sa décision. L’Iran reprendra l’enrichissement d’uranium même au prix d’une guerre ».
Les pourparlers ont échoué en 2005, et l’Iran a non seulement commencé l’enrichissement de l’uranium, mais il a également élargi son programme, passant de 164 centrifugeuses à 19 000, alors même qu’il avait précédemment accepté de maintenir le nombre total de centrifugeuses à 164 pour une période convenue destinée à renforcé la confiance.
Le favori d’Israël
Pompeo est un fervent partisan d’Israël. En 2015, tout en critiquant constamment Obama dans son obstination à trouver une solution diplomatique à la crise nucléaire avec l’Iran, il a déclaré : « Exiger la fin des appels à la destruction d’Israël aurait dû faire partie des conditions de l’accord avec l’Iran ».
Après avoir rencontré Netanyahou en 2015, Pompeo l’a salué comme « authentique partenaire du peuple américain ». Et d’ajouter : « Notre conversation a été incroyablement éclairante quant aux véritables menaces auxquelles sont confrontés Israël et les États-Unis. Les efforts déployés par Netanyahou pour empêcher l’Iran d’obtenir des armes nucléaires sont incroyablement admirables et profondément appréciés ».
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Cela ne fait aucun doute : Pompeo sera le favori d’Israël. En octobre dernier, il était l’invité d’honneur à la Fondation pour la défense des démocraties (FDD), l’un des piliers du lobby israélien à Washington, qui se consacre au changement de régime en Iran.
Il a été accueilli par Juan Zarate, président et conseiller principal du FDD, avec ces mots : « Je ne m’en cache pas : je ne suis pas un journaliste objectif. Je suis fan de ce directeur. J’ai travaillé sur son transfert et, franchement, j’aime cet homme. C’est pourquoi je suis adepte du concept wébérien : indiquez quels sont vos partis-pris avant de formuler vos questions ».
Les vues que partagent Trump et Pompeo – haine envers le gouvernement iranien et soutien à l’extrême droite israélienne – sont la recette infaillible d’une confrontation militaire entre les États-Unis et l’Iran. La seule façon, peut-être, d’éviter une telle confrontation c’est une intervention européenne visant à empêcher Trump de faire le premier pas en ce sens, c’est-à-dire, réimposer des sanctions paralysantes à l’Iran.
- Shahir Shahidsaless est un analyste politique et journaliste indépendant irano-canadien qui écrit sur les affaires intérieures et étrangères de l’Iran, le Moyen-Orient et la politique étrangère américaine dans la région. Il est coauteur de l’ouvrage Iran and the United States: An Insider’s View on the Failed Past and the Road to Peace. Il contribue à plusieurs sites consacrés au Moyen-Orient ainsi qu’au Huffington Post. Il écrit également de façon régulière pour BBC Persian. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @SShahidsaless.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : Le président iranien Hassan Rohani (Reuters)
Traduit de l’anglais (original) par Dominique Macabies.
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