Trump et Téhéran : nous ne sommes pas en 2003 et l’Iran n’est pas l’Irak
La construction d’un récit est tout un art et l’ancien président américain, Barack Obama, était en la matière, un maître charmeur. Par conséquent, entretenir l’image des États-Unis – nation exceptionnelle et indispensable, promouvant liberté et égalité – surtout après les huit longues années sous George W. Bush (réhabilité depuis par les médias libéraux), fut plutôt simple.
Les médias privés occidentaux – et les médias étatiques – avaient reçu la mission peu compliquée de « redonner le moral à l’Amérique » (Making America Feel Good Again). Finies les affaires autour de Bush, Dick Cheney, Abu Ghraib et John Bolton, celles des « prisons secrètes » de la CIA, de Paul Wolfowitz surnommé « le prince des ténèbres », des extraditions extraordinaires, des faux dossiers et de Guantánamo Bay, pour ne citer qu’elles.
C’était l’époque bénie de l’Amérique post-raciale, où la vie d’un Noir comptait autant qu’une autre, et où son président se voyait décerner un prix Nobel de la paix – en droite ligne d’autres sommités exceptionnelles, comme Yitzhak Rabin, Frederik de Klerk, Jimmy Carter, Al Gore, Aung San Suu Kyi, Shimon Peres, etc. – alors même qu’il venait à peine de prendre ses fonctions dans le Bureau ovale.
L'ère Obama
Certes, le camp de Guantánamo n’avait pas été fermé, les frappes de drones faisaient fureur, la Libye était mise en pièces, tandis qu’en Syrie, Obama finançait les « modérés » (selon M. Biden, ils n’existaient même pas). Il « gérait » la progression du groupe État islamique (EI) sur Damas, aidait l’Arabie saoudite à affamer le Yémen, facilitait le siège de Gaza, infligeait des sanctions « dévastatrices » aux Iraniens ordinaires et justifiait l’occupation saoudienne de Bahreïn, entre autres actions répréhensibles.
Malgré tout, les passages d’Obama à la télévision valaient de l’or. Il était passé maître dans l’art du téléprompteur, avait le don de séduire les publics des talk-shows d’un bout à l’autre du pays, avait fait sensation à la fin d’un discours en faisant tomber son micro, et était même tombé d’accord avec l’Iran sur le nucléaire. Il était comme Tony Blair, surnommé « Teflon Tony », avant sa chute.
Les sanctions ayant été maintenues, du fait d'importantes violations de l'accord, les pertes de l’Iran causées par un potentiel retrait américain de l’accord seraient donc limitées
Pour beaucoup, la bonne vieille Amérique n’avait pas changé, mais sous Obama, le soft power des États-Unis atteignait de nouveaux sommets. La création d’une coalition ne se faisait plus avec des partenaires franchement consentants : alors que l’Union européenne se conformait à sa volonté, une Chine montante et une Russie réémergente s’appliquaient à éviter toute confrontation sérieuse.
Capitalisant sur des allégations non fondées de fraude électorale en 2009, Obama a furtivement attisé l’Iranophobie, titrisé l’Iran, et fabriqué un sentiment de crise et d’urgence – malgré l’adhésion de l’Iran aux dispositions de l’Agence internationale à l’énergie atomique (AIEA). Pendant que les sanctions pesant toujours plus sur un peuple iranien non préparé s’accumulaient, ces stratèges iraniens et décideurs politiques étrangers n’avaient pas la vie facile.
Secousses sismiques
C’est alors que Trump arriva. Il s’aligna sur le prince héritier Mohammed ben Salmane et le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou – et, quand il s’agit de géopolitique moyen-orientale, ces trois comparses s’entendent comme les doigts d’une main. L’un d’entre eux, Premier ministre peu recommandable, appliquait chez lui l’apartheid, n’était guère apprécié par ses alliés et devait répondre devant ses électeurs d’accusations de corruption.
L’autre fut proclamé véritable réformateur – alors même qu’il se permet de kidnapper un Premier ministre libanais, soutient des coups d’État, impose des sièges à d’anciens alliés, affame des enfants, finance les extrémistes wahhabites, emprisonne et torture des membres de sa propre famille et dépense des milliards en yachts et portraits, sans parler de ses châteaux et palaces à l’étranger.
Trump s’en est pris aux minorités, aux Africains, aux Latinos, à la Chine, aux musulmans, à l’Union européenne, à ses pays voisins, et s’est retiré de l’accords de Paris sur le climat – et tout cela pendant que ses opposants politiques ne ménageaient pas leur peine pour saboter les relations américano-russes.
Parfois, même les diplomates iraniens les plus sceptiques à l’égard de Trump ont dû secrètement se sentir déconcertés par l’abondance des cadeaux que le président américain leur présentait sur un plateau.
À peine en fonction, Obama, le Trésor et le Congrès américains violaient à plusieurs reprises les termes de l’accord. Qu’importe : l’ancien président n’avait de cesse d’affirmer publiquement et verbalement l’attachement de l’Amérique à l’accord de Vienne. Il parvint ainsi à bercer de cette illusion une grande partie de la communauté internationale, et, sous ses belles promesses, à étouffer les protestations des Iraniens : à leurs yeux, le respect de leurs engagements n’avait pas été payé en retour.
Trump a renforcé la croyance répandue selon laquelle les États-Unis penchent de plus en plus vers les extrêmes et l’irrationnel, et prennent des postures toujours plus antagonistes envers le reste du monde
Presque immédiatement après son investiture, Trump a intensifié les violations – et s’est mis à brandir la menace de se retirer complètement de l’accord nucléaire.
Mais soudain, le vent a tourné : même de proches alliés des États-Unis se sont sentis rabaissés voire insultés, parce qu’en faisant fi des engagements internationaux des États-Unis, Trump, dans la foulée, faisait passer l’Allemagne, la Grande-Bretagne et la France pour des nains géopolitiques, sans grande influence sur les accords internationaux qui comptent.
La Russie et la Chine considèrent de plus en plus les États-Unis comme un partenaire peu fiable, accentuant ainsi l’importance de leur intérêt stratégique à soigner leurs relations avec la République islamique. Manque de fiabilité et imprévisibilité s’ajoutent à une foule de nouvelles taxes contre les importations, à de multiples sanctions, à des alliances douteuses et des menaces militaires, et provoquent des secousses sismiques qui enfoncent Washington dans un isolement toujours plus profond.
Extrême et irrationnel
Faute d’avoir la boule de cristal de Saroumane ou le globe du roi Salmane, on se garde bien de prédire l’avenir. Il semble clair, cependant, qu’en congédiant le secrétaire d’État Tillerson et en faisant de John Bolton son conseiller en matière de sécurité nationale, Trump a renforcé l’impression généralisée que les États-Unis penchent de plus en plus vers les extrêmes et prennent des postures toujours plus antagonistes envers le reste du monde.
Le spectacle des dissensions politiques qu’offrent les dirigeants américains, combiné à l’émergence de l’équipe de politique étrangère fanatique formée par Trump, a anéanti les capacités américaines de soft power et donné des airs d’utopie à l’Amérique gouvernée par George W. Bush.
Néanmoins, le gouvernement américain doit comprendre que l’Iran n’est pas l’Irak et que nous ne sommes pas en 2003. Les alliances stratégiques de l’Iran sont nombreuses et profondes, et les alliés régionaux des États-Unis s’avèrent aujourd’hui de plus en plus fragiles et imprévisibles.
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De plus, les intérêts de l’Iran convergent toujours plus avec ceux de puissances mondiales comme la Russie et la Chine, tandis que la nomination de Bolton inquiète même les alliés les plus indéfectibles de l’Amérique. Les sanctions ayant été maintenues, du fait d'importantes violations de l'accord, les pertes de l’Iran causées par un potentiel retrait américain de l’accord seraient donc limitées.
Dans leur pays comme à l’étranger, les dirigeants iraniens verront leur scepticisme légitimé quant aux intentions américaines, et l’opinion publique iranienne sera mûre pour accueillir favorablement la normalisation immédiate de son programme nucléaire pacifique.
Malgré le bien-fondé de son scepticisme, l’ayatollah Khamenei a déclaré un jour que si les États-Unis modifiaient leur comportement sur le dossier nucléaire, les deux parties pourraient être en mesure de négocier d’autres sujets.
Dès lors qu’on ne peut pas faire confiance aux États-Unis quant aux accords existants, toute négociation ultérieure ne serait qu’un marché de dupes.
Samuel Johnson a dit un jour : « Celui qui laisse deviner qu’il est ivre ne maîtrise pas l’art de se soûler ». Le roi est nu et il trahit son ignorance crasse de L’Art de la Négociation.
- Seyed Mohammad Marandi est professeur de littérature anglaise et d’orientalisme à l’Université de Téhéran.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : Une Iranienne passe devant une fresque murale réalisée en mosaïque, pour célébrer le deuxième anniversaire de l’accord sur le nucléaire, le 14 janvier 2017, dans une rue de Téhéran (AFP)
Traduit de l’anglais (original) par Dominique Macabies.
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