« Déprimés et effrayés », les Iraniens craignent le retour à la vie sous sanctions américaines
La promesse non tenue de l’avènement d’une ère plus prospère ronge les Iraniens depuis la levée, en 2015, des sanctions internationales dont ils souffraient depuis plusieurs décennies. Ce mécontentement s’est transformé en peur.
Les Iraniens qui espéraient l’arrêt des restrictions sur la nourriture et les médicaments, la fin des envolées des prix et du chômage sont maintenant inquiets de l’éventualité d’une crise économique, suite au retrait du président américain Donald Trump de l’accord sur le nucléaire iranien et la récente signature des ordonnances visant à relancer les sanctions.
« Tous les Iraniens auxquels j’ai parlé sont déprimés et redoutent ce qui va se passer. Et puis il y a aussi la peur de la guerre, le pire des scénarios », explique le commentateur irano-américain, Negar Mortazavi, à Middle East Eye.
Il rappelle que si les frustrations se sont accumulées ces dernières années face aux progrès économiques limités dans le pays, « les gens gardaient au moins espoir ». Cet espoir est désormais anéanti, car ils sont hantés par le souvenir de la vie sous sanctions.
« Les voyageurs iraniens étaient devenus des pharmacies pour leurs familles et leurs amis, parce qu’ils ramenaient dans leurs bagages des médicaments achetés à l’étranger »
- Negar Mortazavi, commentateur irano-américain
« Fondamentalement, les Iraniens ordinaires étaient les grands perdants. Aujourd'hui, ils redoutent que cela se reproduise », déplore Mortazavi.
Bien qu’en théorie, produits alimentaires et médicaments étaient exemptés de sanctions, en pratique, les restrictions sur d’autres secteurs rendaient difficile d’obtenir quoi que ce soit en provenance de l’étranger, en grande partie du fait des restrictions imposées sur les banques et les importations de produits chimiques « à double usage ».
« Jusqu’à ce jour, certains Iraniens disent que les voyageurs iraniens étaient devenus des pharmacies pour leurs familles et leurs amis, parce qu’ils ramenaient dans leurs bagages des médicaments achetés à l’étranger. »
Les signes d’instabilité économique sont devenus de plus en plus évidents à mesure que se rapprochait la décision de Trump de se retirer de l’accord nucléaire signé avec les puissances mondiales en 2015 et destiné à limiter les capacités nucléaires de l’Iran.
Au cours des derniers mois, plus de 30 milliards de dollars de capitaux ont été sortis du pays, la monnaie a brutalement fluctué et les banques ont fait état d'une ruée de clients aux guichets pour retirer les économies qu’ils craignaient de perdre.
« Un de mes parents a dit qu’il pourrait envisager de retirer son argent de sa banque de peur d’une faillite bancaire généralisée », témoigne l’analyste iranienne Holly Dagres, également responsable de The Iranist newsletter.
« J’ai parlé à des amis et des membres de ma famille en Iran. La plupart sont inquiets pour l’économie. Certains mettent tous leurs espoirs dans ce que l'Europe prévoit de faire dans les semaines à venir ».
Traduction : « Quelques réflexions sur la décision de @realDonaldTrump de mettre les États-Unis en non-conformité avec leurs engagements dans le cadre du #IranDeal » - « 1. La réaction des autres signataires de l’accord a été plus forte et plus unanime qu’on n’escomptait à Washington. Des rumeurs ont même circulé selon lesquelles les Européens avaient cédé à la dernière minute aux exigences maximalistes de Trump. C’est faux, comme le prouve cet article »
L'Europe à la rescousse ?
Pour l’Iran, le rôle de l’Europe pourrait s’avérer essentiel : contrairement aux États-Unis, elle est restée attachée à l’accord sur le nucléaire et a refusé de réimposer des sanctions. Voilà qui pourrait bien affaiblir l’impact de la décision de Trump.
Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a suscité de grands espoirs en déclarant qu’il incombait à l’Europe de maintenir son indépendance vis-à-vis de la politique américaine, notamment en raison de l’impact que les sanctions américaines pourraient avoir sur les entreprises européennes en affaires avec l’Iran.
« Nous rappelons aux Américains qu’ils ont le droit d’imposer toutes les sanctions qu’ils souhaitent, mais nous jugeons inacceptable l’extraterritorialité de ces mesures », a déclaré Jean-Yves Le Drian. « Les Européens n’ont pas à faire les frais de la sortie d’un accord par les États-Unis ».
Reuters a rapporté que l’analyse de certaines données douanières démontre que les exportations françaises vers l’Iran ont doublé, pour atteindre 1,8 milliard de dollars l’an dernier, grâce à l’exportation d’avions de combat et de composants d’avion, ainsi que de pièces automobiles.
Dans un rapport publié début mai, le think tank International Crisis Group, a fait valoir que l’Europe pourrait, en développant le commerce avec ce pays, sauver l’accord nucléaire destiné à empêcher l’Iran de développer des armes nucléaires.
« Cet objectif pourrait être atteint grâce à un ensemble de mesures incitatives visant à persuader les dirigeants iraniens que les avantages de se conformer au JCPOA [l’accord nucléaire] l’emportent sur les coûts potentiels de non-conformité et donc de représailles », explique le rapport, suggérant la création de partenariats énergétiques, la protection de certaines industries liées à des sanctions et la délivrance de davantage de visas aux étudiants et hommes d'affaires iraniens.
À LIRE ► L’Iran ripostera, soyez-en sûrs
Bien que l’Iran ait signé des contrats d’aviation de plusieurs milliards de dollars et ait accueilli des constructeurs automobiles qui ont fourni à la population des emplois et des véhicules moins chers, reste cette lancinante question : dans quelle mesure ces avantages économiques bénéficieront-ils aux citoyens lambda.
« Maintenant que les sanctions sont remises en vigueur, les partisans de la ligne dure auront beau jeu de faire porter toute les responsabilités à l’étranger et les Iraniens se mettront à attribuer aux seules sanctions les faiblesses de l’économie – ou au moins certaines d’entre elles », estime Holly Dagres.
Traduit de l’anglais (original) par Dominique Macabies.
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].