L’islam passe à l’arrière-plan de la politique du Kosovo alors que le pays cherche à adhérer à l’UE
PRISTINA, Kosovo – Les anciens présidents américains sont rarement vénérés dans les rues du monde musulman, de Karachi au Caire en passant par Ramallah. En revanche, dans la petite région séparatiste à majorité musulmane du Kosovo, dans les Balkans, les anciens dirigeants américains sont adulés.
On peut ainsi voir dans sa capitale, Pristina, une statue de 3,5 mètres de haut rendant hommage à Bill Clinton, la main gauche tendue et le sourire étincelant, sur une place morne datant de l’ère soviétique.
Plus bizarre encore, l’effigie en bronze éclatant de l’ancien président américain se trouve à seulement 1 kilomètre de la rue George Bush. Et à travers le Kosovo, des drapeaux américains peuvent toujours être vus flottant dans la brise, dix-neuf ans après que les opérations militaires de l’OTAN ont mis un terme aux massacres serbes et à d’autres atrocités dans la région, et dix ans après que la province du Kosovo a déclaré son indépendance de la Serbie.
« Je suis albanais. Je ne suis pas musulman. La religion n’est pas ma première identité »
- Ramush Haradinaj, Premier ministre du Kosovo
S’adressant à Middle East Eye et à d’autres organes de presse dans son bureau de Pristina, le Premier ministre Ramush Haradinaj a déclaré que les Kosovars habitaient « un autre monde » que leurs frères musulmans du Moyen-Orient voisin.
« Nous sommes une nation euro-atlantique. Quand nous avions des ennuis, les États-Unis et l’OTAN [étaient] avec nous, alors nous appartenons à ce club », a affirmé Haradinaj, dont la démarche assurée rappelle qu’il a été un héros de l’Armée de libération du Kosovo (UÇK) lors de l’offensive des forces yougoslaves dirigées par les Serbes en 1998 et 1999.
« Je suis albanais. Je ne suis pas musulman. La religion n’est pas ma première identité. La vérité est que nous existons depuis plus de 2000 ans, avant même Mohammed ou Jésus. Nous avons une mémoire, nous savons qui nous sommes, nous avons été chrétiens pendant longtemps et nous avons adopté la religion musulmane par le biais de l’administration ottomane. »
De tels commentaires placent le Kosovo à contre-courant de nombreux pays à majorité musulmane.
Alors que plus de 90 % des 1,8 million d’habitants sont kosovars albanais et musulmans, les institutions laïques sont chéries, les mosquées sont moins ostentatoires que celles de certaines régions du Moyen-Orient et le goût pour la loi islamique y est moins prononcé.
Aspirant à devenir membres de l’OTAN et de l’Union européenne (UE), les Kosovars pourraient du reste être en train de minimiser leur identité islamique afin de faciliter leur entrée dans un club de pays aux racines chrétiennes.
L’expérience de la Turquie peut s’avérer instructive. Ankara et l’UE ont entamé des pourparlers d’adhésion en 2005 mais les négociations se sont arrêtées et, dans un récent rapport, l’UE écrit que ce pays de 81 millions d’habitants majoritairement musulmans « s’éloigne » du bloc.
Pour certains défenseurs des droits des musulmans, cela renforce l’idée selon laquelle l’UE et certains de ses membres sont hostiles à l’islam et ne veulent pas que des millions de musulmans de Turquie, du Kosovo et d’autres régions balkaniques ne rejoignent l’union.
Ils citent notamment un câble WikiLeaks de 2004 dans lequel le cardinal Ratzinger, peu avant de devenir le pape Benoît XVI, se prononce contre l’adhésion d’un État musulman à l’UE et insiste pour que la Constitution de cette dernière fasse référence aux « racines chrétiennes » de l’Europe.
« La religion n’a jamais été une caractéristique très forte là-bas ; ça a toujours été un État d’athées »
- Vessela Tcherneva, Conseil européen des relations étrangères
De fait, les politiciens populistes à travers l’Europe agitent fréquemment la menace de vagues d’immigrants musulmans dans l’éventualité où l’UE s’étendrait vers le sud-est. En 2016, Nigel Farage, homme politique britannique pro-Brexit, avait par exemple mis en garde contre l’arrivée de millions de migrants supplémentaires et une augmentation des attaques terroristes si la Turquie « islamiste et autoritaire » rejoignait l’union.
Vessela Tcherneva, une analyste du Conseil européen des relations étrangères basée en Bulgarie, a déclaré à MEE que cette rhétorique anti-immigrés ne faisait pas partie du courant politique dominant de l’UE.
Elle a cité en exemple la minorité musulmane pluriséculaire de la Bulgarie, un pays membre de l’UE, l’importante population musulmane de la France et la politique de portes ouvertes aux Syriens, Afghans et autres populations musulmanes de la chancelière allemande Angela Merkel pendant la crise des réfugiés en 2015.
« L’Europe peut faire face à cela », a estimé Tcherneva. Selon elle, la religion est secondaire dans les principes de l’UE, lesquels sont axés sur la promotion d’une « démocratie libérale où tout le monde est égal devant la loi » indépendamment de la foi.
C’est pourquoi le Kosovo pourrait bien convenir à l’Euro-club, a-t-elle ajouté. La petite république enclavée et montagneuse, partiellement reconnue par la communauté internationale, dispose d’institutions laïques solidement ancrées.
« La religion n’a jamais été une caractéristique très forte là-bas ; ça a toujours été un État d’athées. Il y a de nouvelles tentatives visant à ramener la religion au sein des communautés musulmanes des Balkans, mais ce n’est pas un facteur décisif », a soutenu Tcherneva.
Les obstacles du Kosovo à l’intégration européenne vont au-delà de la religion, observe l’experte. Alors que Pristina a été reconnue par 115 gouvernements, dont 23 membres de l’UE sur 28, son adhésion aux Nations unies est toujours bloquée par la Serbie et ses alliés, la Russie et la Chine.
L’Albanie, la Bosnie, le Kosovo, la Macédoine, le Monténégro et la Serbie espèrent tous rejoindre l’UE. Des pourparlers d’adhésion sont en cours avec le Monténégro et la Serbie, mais les autorités serbes doivent conclure un accord avec le Kosovo si elles veulent que leur pays rejoigne l’UE à la date butoir de 2025.
Alors que Bruxelles fait pression sur la Serbie afin qu’elle accepte l’indépendance de sa province séparatiste, elle pousse également Pristina à combattre la corruption et le copinage, à poursuivre les membres de l’UÇK suspectés de crimes de guerre et à protéger la minorité serbe, qui représente jusqu’à 4 % de la population du Kosovo.
À LIRE ► Pourquoi certains États européens ont déclaré la guerre à leur allié turc
Pour Miodrag Milićević, directeur exécutif d’Aktiv, une ONG qui milite pour les droits des Serbes dans la ville de Mitrovica, dans le nord du pays, ce sont les tensions entre Serbes et Albanais kosovars qui constituent la plus grande menace pour le pays.
Lors d’une récente enquête d’opinion menée dans les régions du nord du Kosovo où résident des populations serbes, 90 % des personnes interrogées ont déclaré que le pays allait dans la mauvaise direction et près de la moitié s’attendait à déménager à l’étranger dans les cinq prochaines années.
Si la religion peut renforcer les divisions, les populations se déchirent en réalité beaucoup plus autour des identités nationales, des atrocités commises pendant la guerre et des injustices perçues par les communautés, a expliqué Milićević.
« Dans ce genre d’environnement, à la fois fragile et instable, vous n’avez pas le sentiment de construire votre avenir. Alors que la situation ne s’améliore pas depuis tant d’années, vous avez plus envie d’émigrer que de rester au Kosovo », a-t-il ajouté. « Or, si vous perdez la moitié de vos citoyens du nord du Kosovo, c’est une quasi-catastrophe. »
Traduit de l’anglais (original).
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].