Une maille d’espoir pour les réfugiées syriennes
HALIFAX, Canada – Jouhayna Fadel et sa famille sont restées tant qu’elles l’ont pu dans leur ville de Deraa, berceau de la révolution syrienne.
Mais après avoir échappé de peu à une frappe aérienne qui a détruit leur modeste logement de deux chambres en 2013, Jouhayna, mère de cinq enfants, a compris qu’il était temps de partir. La maison a été réduite en cendres, avec tout ce qu’ils possédaient.
« Je me demandais sans cesse comment nous avions survécu à cela et comment nous allions repartir à zéro ? », a-t-elle rapporté.
« Je me demandais sans cesse comment nous avions survécu à cela et comment nous allions repartir à zéro ? »
- Jouhayna Fadel, artisane de Tight-Knit Syria
Près de cinq ans plus tard, alors que se prolonge la guerre en Syrie, sa famille et elle vivent en tant que réfugiés dans ce dédale dense qu’est le camp de Chatila, au Liban. Le loyer est élevé, leur moral au plus bas.
Pour compléter les revenus que son mari tire de travaux de construction ponctuels et imprévisibles, Jouhayna s’est tournée vers le crochet et la broderie, rejoignant Tight-Knit Syria, une plate-forme de vente en ligne basée à Toronto.
En plus de ce complément de revenus – environ 100 dollars par mois qui contribuent à payer le loyer de ce petit appartement de quatre chambres qu’ils partagent avec une autre famille – ce travail a rendu Jouhayna « plus confiante en elle et sociable », selon ses propres mots. « Cela m’a également rappelé la vie sans la guerre. »
« Une histoire que nous n’entendions pas »
Depuis que la guerre civile en Syrie a débuté il y a sept ans, déclenchée par une révolte contre le régime du président Bachar al-Assad, plus d’un demi-million de personnes ont été tuées et des millions d’autres se sont réfugiées en Turquie, en Jordanie et au Liban, où elles sont confrontées à un chômage de masse et à la stigmatisation sociale.
L’agence des Nations unies pour les réfugiés qualifie la Syrie de « plus grande crise humanitaire et des réfugiés de notre époque ».
« Nous avons entendu des femmes suggérer qu’elles entrent en quelque sorte dans un état méditatif, où elles peuvent réfléchir à leur traumatisme et y faire face, et prendre le temps de l’affronter »
- Dana Kandalaft, fondatrice de Tight-Knit Syria
Dana Kandalaft, la fondatrice de Tight-Knit Syria, une Canadienne d’origine syrienne âgée de 28 ans, ne s’était pas rendue dans le pays depuis des années lorsque la guerre a éclaté. Née et élevée à Mississauga, une banlieue tentaculaire en périphérie de Toronto, sa compréhension du conflit a été filtrée par les opinions de ses proches à Damas et des médias, la laissant confuse et déconnectée.
« J’ai compris, d’accord, il y a des rebelles et de l’extrémisme. Mais j’ai aussi eu l’impression qu’il y avait une histoire que nous n’entendions pas », a-t-elle rapporté.
La réalité a frappé à sa porte il y a cinq ans, quelques mois avant que la maison de Fadel ne parte en flammes.
Au printemps 2013, lors d’un cours universitaire en Turquie sur la résolution des conflits, Dana Kandalaft a rencontré un groupe de réfugiés syriens et son sentiment de déconnexion a disparu. Beaucoup d’entre eux étaient des jeunes – pas très différents de la personne qu’elle aurait été si elle avait grandi en Syrie – et « se battaient pour des valeurs universelles ».
Kandalaft a décidé de plonger encore plus loin, au cœur du conflit, se risquant à un voyage à travers la frontière turco-syrienne jusqu’au camp de déplacés de L’Olivier. C’est dans cette petite partie du nord du pays qu’est née l’idée de Tight-Knit Syria.
« Ces filles [et ces femmes] de tous âges grandissent dans les pires circonstances qui soient et ont néanmoins conservé leur soif de vie et leur créativité, ce à quoi chacun peut s’identifier »
- Dana Kandalaft, fondatrice de Tight-Knit Syria
« Je portais un sac à main tricoté et une petite fille l’a remarqué, ce qui l’a mise littéralement dans tous ses états », a déclaré Dana Kandalaft. « Elle m’a conduite à sa tente, où elle a ensuite révélé une robe tricotée qu’elle avait fabriquée elle-même. »
La fillette lui a alors expliqué qu’un donateur anonyme avait donné de la laine aux femmes du camp, mais qu’il n’y en avait plus.
Dana Kandalaft est rapidement revenue à Toronto et a commencé à collecter des fonds.
En coordination avec un travailleur humanitaire syrien sur le terrain, qui a utilisé les fonds collectés pour acheter de nouveaux fils et pelotes pour ces femmes, elle a créé un portail pour vendre leurs foulards et sacs à main en ligne, les bénéfices étant redistribués aux créatrices. Aujourd’hui, son entreprise emploie plus de 50 femmes dans le nord de la Syrie et au Liban, avec de nouveaux lots de produits mis en vente deux fois par an. Les prix pour la collection actuelle vont de 35 à 60 dollars et, en moyenne, les femmes gagnent une centaine de dollars par mois.
« Nous avons entendu une femme dire : “Quand je tricote quelque chose, je peux sentir toute mon énergie aller dans cet ouvrage” », a-t-elle rapporté. « Nous avons entendu des femmes suggérer qu’elles entrent en quelque sorte dans un état méditatif, où elles peuvent réfléchir à leur traumatisme et y faire face, et prendre le temps de l’affronter. »
Une soif de vivre
Cependant, il peut être difficile de maintenir ces compétences tout en vivant dans un camp de réfugiés, où on se concentre souvent sur la recherche du prochain repas.
« La plupart de ces réfugiés ou personnes déplacées échappent à un haut niveau de violence et de conflit… ou au risque d’être persécutés soit par des groupes anti-gouvernementaux, soit par le gouvernement lui-même », a déclaré Sara Kayyali, une chercheuse sur la Syrie auprès de Human Rights Watch. « Beaucoup d’entre eux ont été arrêtés, maltraités, torturés… et quand ils arrivent dans les camps, la situation humanitaire est si mauvaise que la plupart des travailleurs humanitaires s’attacheront d’abord à la fourniture de services – s’assurant qu’ils disposent d’un abri, d’eau et de nourriture. Ils se concentrent très rarement sur les services psychosociaux de manière durable. »
Exercer un métier peut aider les réfugiés à mettre plus de distance mentale entre eux et leur traumatisme, a expliqué Kayyali, tout en allégeant la charge économique – un facteur important dans un contexte où les problèmes financiers peuvent déstabiliser encore plus.
« Un grand nombre des réfugiés que nous rencontrons dans ces camps sont au chômage, frustrés et n’ont aucune perspective. C’est la majorité », a-t-elle poursuivi. « [Un homme m’a dit :] “je ne peux pas ouvrir mon propre salon de coiffure. Je ne serai jamais mon propre patron.” Et il a décidé de retourner en Syrie à cause de cela. »
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À ce jour, Tight-Knit Syria a vendu près de 10 000 écharpes, gilets, sacs à main et portefeuilles, rapportant des milliers de dollars pour leurs créatrices syriennes. L’entreprise expédie ses produits au Canada et aux États-Unis, et Dana Kandalaft espère poursuivre son expansion. Ce mois-ci, elle est en compétition pour obtenir un financement par le biais de Shared Nation, un réseau mondial de partage de ressources.
La force de ce projet, selon elle, réside dans sa simplicité. « Ces filles [et ces femmes] de tous âges grandissent dans les pires circonstances qui soient et ont néanmoins conservé leur soif de vie et leur créativité, ce à quoi chacun peut s’identifier. »
La vie dans les limbes
De retour au camp de Chatila, Malak Bakkour se souvient de sa propre fuite de Syrie. Avec ses trois fils et ses trois filles, elle a quitté sa maison dans la campagne fertile d’Alep en 2014 et s’est rendue au Liban, où son mari avait trouvé du travail.
« Quand je travaille, je ne pense pas à la guerre et à la crise syrienne et j’oublie certains de mes problèmes »
- Malak Bakkour, artisane de Tight-Knit Syria
Quand elle est partie, la maison familiale de trois chambres, complétée par le jardin qu’elle aimait tant, était toujours debout. Mais plus tard, « nous avons appris que des groupes terroristes avaient occupé la maison et pris tout ce qui restait à l’intérieur ». Alors que les combats faisaient rage entre les factions syriennes rivales, leur domicile a finalement été détruit par des bombes.
« Plus personne de notre famille n’habite dans le village », a-t-elle précisé. « Nous sommes tous venus au Liban. »
Son mari, qui gagne sa vie en posant des sols, a réussi à trouver des emplois temporaires et peu rémunérés au Liban. Cependant, « la vie à Chatila est très difficile, car le camp n’est pas sûr », a déclaré Malak. « Il y a beaucoup de hors-la-loi, et il n’y a ni police ni sécurité. »
Comme Jouhayna, Malak estime que travailler avec Tight-Knit Syria l’a aidée – du moins dans une certaine mesure – à faire face au désespoir insidieux d’une vie dans les limbes.
« Quand je travaille », a-t-elle conclu, « je ne pense pas à la guerre et à la crise syrienne et j’oublie certains de mes problèmes. »
Traduit de l’anglais (original).
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