Une Miss voilée, imaginable en France ?
Mardi 4 septembre, Sara Iftekhar, jeune étudiante de Huddersfield, accède à la finale du concours de beauté Miss Angleterre. Ce serait un fait divers, excepté que Sara Iftekhar est une participante qui porte le voile, une première pour le concours. D’aucuns diront que cela demeure un fait divers et, à en juger par le peu de remous que cette nouvelle suscite outre-Manche, on ne pourrait les démentir.
L’accession d’Iftekhar à la finale de Miss Angleterre, bien que largement relayée par les médias britanniques, ne semble pas émouvoir les Anglais. La porte-parole du concours de beauté s’est contentée d’affirmer que celui-ci « représente l’Angleterre d’aujourd’hui » pour clore ce qui s’est avéré être en fin de compte un non-événement.
On ne peut s’empêcher toutefois de s’imaginer le tollé médiatique que le passage d’une candidate voilée en finale de Miss France aurait créé. Bien qu’à cet égard, nul besoin de faire preuve d’une grande imagination : il suffit d’examiner pour cela les différentes hystéries collectives, alimentées par certains médias et politiques, dès qu’une Française voilée apparaît au grand public.
Le contraste est en effet marquant entre le traitement médiatique banal reçu par Sara Iftekhar et le tapage médiatique et l’émoi du public, suite à l’apparition de Mennel au télé-crochet « The Voice ». On pense aussi au passage inusité, sur les écrans d’un JT, de Maryam Pougetoux, représentante voilée du syndicat étudiant UNEF, qui a eu le malheur de répondre aux questions d’un journaliste, faisant réagir jusqu’aux plus hautes sphères du pouvoir.
Tandis que de l’autre côté de la Manche, les femmes musulmanes voilées évoluent dans toutes les sphères de la société, même dans les positions les plus visibles […], en France, une femme voilée qui apparaît à la télévision suscite un débat national
Tandis que de l’autre côté de la Manche, les femmes musulmanes voilées évoluent dans toutes les sphères de la société, même dans les positions les plus visibles comme c’est le cas pour la journaliste et présentatrice Fatima Manji, en France, une femme voilée qui apparaît à la télévision suscite un débat national, comme ce fut le cas d’ailleurs de manière beaucoup plus anecdotique pour la jeune femme qui est apparue le temps de quelques minutes lors de l’émission à forte audience « Touche pas à mon poste » et qui a suffi pour faire polémique, allant jusqu’à voir l’animateur de l’émission accusé de « banaliser l’islamisation de la France ».
Pour autant, le Royaume-Uni fait aussi fait face à de réels problèmes de discrimination, de racisme et d’islamophobie. Les femmes britanniques de confession musulmane, et plus particulièrement celles qui choisissent de porter le voile, sont confrontées aux diverses formes que peut prendre l’islamophobie, notamment aux crimes haineux dans l’espace public qui sont en hausse dernièrement.
Seulement, la situation en France est bien plus exacerbée alors même qu’on assiste à l’exclusion systématique et intentionnelle de l’espace public des femmes musulmanes voilées. Comment expliquer alors ce phénomène dans un pays qui se targue d’être assimilationniste, dont les élites politiques et intellectuelles s’insurgent contre le communautarisme, mais qui, dès lors qu’une femme musulmane portant le voile ose vaquer à des occupations normales et sortir du cadre qu’on voudrait lui imposer, crient à l’infamie ?
Les Anglais, sûrement, ne seraient pas plus tolérants ou ouverts d’esprit que les Français, la France, à beaucoup d’égards, fut bien plus socialement avant-gardiste que le Royaume-Uni. Comment s’explique alors la différence de traitement de la question du voile des deux côtés de la Manche ?
Fonds de commerce
Si ce n’est d’abord que la question du voile en Angleterre, contrairement à la France, n’est pas traitée par le gratin politique comme un enjeu central qui serait l’alpha et l’oméga des questions d’identité nationale.
Hormis les quelques partis populistes d’extrême droite […], les politiciens du Royaume-Uni tendent à éviter de s’ingérer dans la garde-robe et les choix vestimentaires et religieux de leurs concitoyennes
Hormis les quelques partis populistes d’extrême droite qui adoptent un discours stigmatisant sur les femmes voilées, tels l’UKIP ou Britain First, les politiciens du Royaume-Uni tendent à éviter de s’ingérer dans la garde-robe et les choix vestimentaires et religieux de leurs concitoyennes.
Ceux qui, dans les partis traditionnels, s’immiscent dans ce débat le font à reculons et sont souvent décriés par le reste de la classe politique, à l’image des récentes déclarations de Boris Johnson sur la burqa qui ont été condamnées de toute part et au sein même de son parti.
En France, les commentaires sexistes et stigmatisants envers les femmes musulmanes voilées fusent de l’ensemble des tendances politiques. Les politiciens ont en fait un fonds de commerce et attendent la moindre opportunité pour éduquer les femmes musulmanes sur leur réel libre arbitre dès lors qu’il s’agit de choix religieux et vestimentaires.
En France, les commentaires sexistes et stigmatisants envers les femmes musulmanes voilées fusent de l’ensemble des tendances politiques. Les politiciens ont en fait un fonds de commerce et attendent la moindre opportunité pour éduquer les femmes musulmanes sur leur réel libre arbitre dès lors qu’il s’agit de choix religieux et vestimentaires
Notons qu’un des épisodes les plus tristement anecdotiques est le fait d’une ancienne ministre des Droits des femmes, qui a comparé les musulmanes qui choisissent de porter le voile aux « nègres » qui étaient pour l’esclavage. La déclaration fit polémique, mais contrairement à ce qu’on aurait supposé, c’est le choix du mot « nègre » qui a choqué plutôt que le fond même du propos, stigmatisant de façon réductrice et infantilisant ces femmes.
Le fait même que ces questions de voiles soient traitées de manière différente par les hommes et femmes politiques dans les deux pays explique en partie l’intégration au sein des sphères sociales des unes, et l’exclusion et la volonté d’invisibilisation des autres. Les sentiments politiques se répercutent en effet dans la rue, et les discours stigmatisants des politiques français ont fini par entraîner un changement dans l’opinion publique qui se crispe dès qu’une femme musulmane portant le voile est visible.
« Mission civilisatrice » vs. pragmatisme
Une autre piste de réflexion qui expliquerait cette différence entre l’Hexagone et le Royaume-Uni se trouve peut-être à travers une lecture postcoloniale des deux pays.
La France, en « mission civilisatrice » dans ses colonies, a voulu imposer un modèle assimilationniste français alors même que les principes d’égalité, de liberté et de fraternité ne pouvaient être assurés à tous ses citoyens. Comment comprendre que l’on veuille « émanciper » les femmes algériennes en les « dé-voilant » alors même qu’elles n’avaient pas accès aux mêmes droits, services et traitements que les femmes pieds-noirs ?
Ces rituels coloniaux de dévoilement comportent bien sûr beaucoup d’autres sens, mais ils mettent en exergue le contraste avec le modèle colonial britannique, beaucoup plus pragmatique, qui s’assura d’abord à préserver les intérêts économiques de l’Empire.
Cette différence d’approche entre les deux pays se maintint même pendant le processus de décolonisation : le Royaume-Uni, prévoyant l’inévitabilité de l’indépendance de ses colonies, s’assura de garder des relations économiques favorables, tandis que la France s’embourbait dans des guerres en Indochine et en Algérie qui finirent par faire tomber la IVe République.
Comme à l’époque coloniale, cette obstination nuit à la France. Son refus d’accepter les femmes voilées dans l’espace public fait non seulement défaut à ses principes de liberté et d’égalité, […] mais il nuit aussi à la cohésion sociale et au vivre-ensemble
Cette rigidité obstinée de la France se traduit maintenant par l’obsession du voile, alors même que les journaux du monde entier et l’opinion publique internationale tournent cette obsession du foulard au ridicule. La France, portée par une certaine classe politique médiatique et intellectuelle, refuse d’accepter le choix que peuvent faire certaines femmes musulmanes de se voiler et persiste à vouloir imposer un modèle unique d’intégration.
Seulement, et comme à l’époque coloniale, cette obstination nuit à la France. Son refus d’accepter les femmes voilées dans l’espace public fait non seulement défaut à ses principes de liberté et d’égalité, violant même dans certains cas des conventions internationales de droits civils et politiques, mais il nuit aussi à la cohésion sociale et au vivre-ensemble dans le pays. Les polémiques à répétition sur la question du voile exacerbent en effet les tensions au sein de la population et perpétuent le sentiment d’exclusion des femmes musulmanes.
Cela représente assurément aussi une perte économique pour l’Hexagone. Alors que la France fait face à une fuite des cerveaux, beaucoup de femmes musulmanes françaises voilées choisissent également de quitter le pays : à défaut de pouvoir pleinement s’émanciper socialement et professionnellement en France, elles tentent leur chance vers d’autres horizons.
Nombre d’entre elles partent d’ailleurs en Angleterre, où, munies de leurs diplômes, parlant plusieurs langues, elles peuvent aspirer à une carrière professionnelle dans différents domaines sans que leur voile ne pose problème.
Favorisant l’intégration économique et la cohésion sociale, le Royaume-Uni fait preuve en effet de pragmatisme, ce même pragmatisme colonial qui lui aura évité beaucoup de pertes. Ainsi est-il normal en Angleterre qu’une femme voilée participe à un concours de pâtisserie à la télévision, qu’elle soit journaliste télé ou comédienne et, pourquoi pas, un jour Miss Angleterre.
- Hajar El Jahidi est responsable du plaidoyer auprès des institutions européennes pour l’European Forum of Muslim Women. Vous pouvez la suivre sur Twitter : @HJahidi
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Photo : Sara Iftekhar est la première candidate voilée à participer à la finale du concours de beauté Miss Angleterre (site officiel de Miss Angleterre).
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