Tunisie : Nidaa Tounes lâche le Premier ministre
TUNIS – Un sourire et un simple « sans commentaire ». Interrogé samedi par les médias locaux alors qu’il visitait une école à l’occasion de la rentrée scolaire, le Premier ministre Youssef Chahed n’a pas souhaité évoquer le gel de son adhésion à Nidaa Tounes.
La veille au soir, le parti présidentiel annonçait cette décision couplée à la traduction du cas du Premier ministre devant le conseil de discipline de Nidaa Tounes. Youssef Chahed s’y attendait.
Mercredi 12 septembre, Nidaa Tounes, dirigé par Hafedh Caïd Essebsi – fils du président de la République Béji Caïd Essebsi (BCE) et fondateur du parti – avait adressé un questionnaire au Premier ministre, lui donnant un ultimatum de 24 heures pour y répondre.
Une lettre que Youssef Chahed a dédaignée, affirmant vendredi 14 septembre, en marge d’une conférence sur la loi de finances 2019 : « Aujourd’hui, c’est la loi de finances et demain, la rentrée scolaire... Je n’ai pas prêté attention au sujet ».
« Notre position est claire. Nous sommes pour la stabilité et nous considérons qu’un changement de gouvernement n’apportera pas de bien au pays »
- Naoufel Eljammali, député Ennahdha
Des réponses auraient éclairci la stratégie du Premier ministre et les derniers événements de la scène politique, marquée depuis des mois par une fracture interne à Nidaa Tounes au point qu’Hafedh Caïd Essebsi (HCE) et son entourage demandent la démission du Premier ministre.
Ils sont soutenus par l’UGTT, la puissante centrale syndicale, et par des partis de gauche qui pointent un mauvais bilan du gouvernement, notamment économique. Si le gouvernement se targue d’un raffermissement de la croissance, qui s’est élevée à 2,8 % au deuxième trimestre, les Tunisiens perçoivent eux davantage l’effritement de leur pouvoir d’achat, miné par une inflation flirtant avec les 8 % et une dépréciation continue du dinar. Le chômage reste lui supérieur 15 %.
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Youssef Chahed, lui, a reçu le soutien du parti islamiste conservateur Ennahdha. Ce point faisait d’ailleurs l’objet d’une question dans la correspondance de Nidaa Tounes au Premier ministre : « Quelle est la nature de votre relation avec le mouvement Ennahdha ? Est-elle durable ou conjoncturelle ? ».
« Notre position est claire », rappelle à Middle East Eye, Naoufel Eljammali, député nahdaoui. « Nous sommes pour la stabilité et nous considérons qu’un changement de gouvernement n’apportera pas de bien au pays. »
La Coalition nationale, un « beau jeu politique »
La seconde question s’inquiétait de la création d’un nouveau bloc parlementaire la « Coalition nationale » dont les rumeurs disent qu’elle aurait été accompagnée par Youssef Chahed lui-même.
La semaine dernière, neuf députés de Nidaa Tounes ont annoncé leur démission du bloc du parti pour rejoindre la Coalition nationale. Parmi ces démissionnaires, Zohra Driss a affirmé dans les médias locaux : « Nidaa Tounes, c’est fini. Nidaa Tounes n’est pas une affaire familiale [en référence à HCE à la tête du parti, fondé par son père], et même dans une famille on se doit de consulter sa femme et ses enfants. On ne commande pas depuis sa chambre à coucher. Hafedh Caïd Essebsi se croit tout permis en se targuant d’être le propriétaire de la patente ! ».
Il y a quelques semaines, la députée de Sousse expliquait à MEE : « Entre les élections législatives de 2014 et les municipales de 2018, Nidaa Tounes a perdu plus d’un million de voix. C’est plus qu’une sonnette d’alarme ».
Après cette nouvelle série de désistements – une trentaine députés avaient quitté le bloc après le congrès contesté de Sousse en 2016 qui a vu Hafedh Caïd Essebsi prendre les commandes – le parti présidentiel ne devrait comptait que 47 députés contre 86 élus aux élections législatives de 2014.
« Peut-être BCE souhaite-t-il se représenter ? Si ce n’est pas le cas, il devrait l’exprimer. Car la guerre des clans a déjà commencé »
- Chokri Bahria, directeur du département politique et géostratégique du think tank Joussour
Le nouveau bloc, favorable au Premier ministre, pourrait comporter quant à lui une quarantaine d’élus. « Youssef Chahed a réalisé un beau jeu politique. Avec la Coalition nationale et Ennahdha [qui compte 69 élus], il a mis un bon nombre de députés de son côté. Il sera difficile de le sortir de la Kasbah [le palais du gouvernement], alors qu’il y a quelques semaines, cela semblait inéluctable », note pour MEE un observateur de la vie politique tunisienne.
Les autres questions posées par le clan HCE au Premier ministre concernait la possibilité de demander un vote de confiance à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) et la volonté, prêtée par des rumeurs, de Youssef Chahed de créer un nouveau parti politique en vue des échéances électorales : présidentielles et législatives devraient avoir lieu d’ici décembre 2019.
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« Le temps est court à présent. Toute la classe politique se focalise dessus », explique à MEE Chokri Bahria, directeur du département politique et géostratégique du think tank Joussour.
En juillet, le président de la République Béji Caïd Essebsi avait lui-même laissé entendre qu’il voulait voir partir son Premier ministre. Il ne l’a pourtant pas demandé formellement, comme la loi l’autorise. « BCE s’inquiète de l’horizon 2019 », estime Chokri Bahria. « Il a mis lui-même Youssef Chahed sur orbite, mais ce n’est plus son poulain. Peut-être souhaite-t-il se représenter ? Si ce n’est pas le cas, il devrait l’exprimer. Car la guerre des clans a déjà commencé. »
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