Attentat d’Ahvaz : à qui profite le crime ?
Un attentat a visé le samedi 22 septembre un défilé militaire dans la ville iranienne d’Ahvaz, située au sud-ouest de l’Iran. Les premiers bilans évoquent quelque 29 morts et plus de 100 blessés, dont certains sont dans un état grave.
À priori, quatre hommes armés ont ouvert le feu sur la foule pendant un défilé militaire qui se tenait au cours d'une cérémonie commémorant le début de la guerre contre l'Irak (1980-1988), une guerre qui a fait au total 1,2 million de morts et plusieurs dizaines de milliers de prisonniers des deux côtés.
Pourtant, cette guerre a été considérée comme un cadeau de Dieu par le fondateur de la République islamique, l’ayatollah Khomeini. En effet, grâce à elle, son nouveau régime a pu faire taire les voix dissidentes à l’intérieur du pays et s’installer confortablement en Iran.
La République islamique accuse, bien sûr, les États-Unis (le grand Satan) et Israël (le petit Satan) comme les commanditaires de l’attentat
Et aujourd’hui, à la veille de l’ouverture du débat général annuel des Nations unies à New York, alors que l’Iran va être mis sur la sellette pour son programme balistique, pour son ingérence dans tous les conflits du Moyen-Orient et pour la répression massive de son peuple, largement contestataire à l’égard de la politique désastreuse des dirigeants islamiques, un attentat attribué à Daech fait trembler ses fondements. Le timing est tellement bon qu’on a le droit de se demander à qui profite le crime ?
Dans la foulée, plusieurs groupes séparatistes et extrémistes ont revendiqué la responsabilité de cet attentat, y compris le groupe État islamique (EI), mais la République islamique accuse, bien sûr, les États-Unis (le grand Satan) et Israël (le petit Satan) comme les commanditaires de l’attentat.
Certains ont cru que le mouvement d’opposition démocratique iranien a dérivé vers la violence, engageant la lutte armée contre la République islamique. D’autres ont vu la main de l’Organisation des moudjahidines du peuple (OMPI) derrière cet attentat. Il s’agit d’un groupe d’opposition armée qui lutte contre le régime islamique depuis le lendemain de son avènement, et qui rivalise avec les ayatollahs dans la répression et la terreur.
En Iran, les rumeurs disent autre chose
Pourtant, en Iran, les rumeurs qui courent disent autre chose ! On n’entend pas parler de l’« attaque », mais de sa « mise en scène » par les services du renseignement de l’armée des Pasdarans (l’armée révolutionnaire qui a été créée pour contrecarrer l’armée royale au lendemain de la révolution de 1978).
De nombreux Iraniens pointent le doigt sur les ambiguïtés de l’affaire : pourquoi les agresseurs ont-ils ouvert le feu sur les soldats de base ainsi que sur les spectateurs alors que les chefs de l’armée et des personnalités importantes étaient tous assis sur le devant de la scène, et ils s’en sont sortis sans même une simple égratignure ? Comment les agresseurs ont-ils pu cacher leurs armes dans une zone hautement sécurisée ? Pourquoi l’armée, présente sur place, a mis quinze minutes avant de réagir ?
Certes, l’Iran est une mosaïque de différentes ethnies, religions et peuples de cultures diverses et variées, mais cela ne les a jamais empêchés de se sentir avant tout Iraniens
D’autres rumeurs courent encore, selon lesquelles les groupes soi-disant séparatistes ont été créés par le gouvernement pour provoquer la peur au sein de la population, faisant ainsi croire que si le régime des mollahs tombait, l’Iran se retrouvait divisé et les Iraniens auraient le même destin que les Syriens.
Tout cela n’est rien d’autre que des rumeurs, mais a-t-on tort de s’interroger sur leur provenance ?
Pendant la guerre Iran-Irak, les 40 % de la population arabe de la région de Khouzistan, dont la ville d’Ahvaz est le centre, ont défendu bec et ongles le territoire iranien contre les soldats irakiens, sans jamais manifester la moindre sympathie pour le régime de Saddam. Certes, l’Iran est une mosaïque de différentes ethnies, religions et peuples de cultures diverses et variées, mais cela ne les a jamais empêchés de se sentir avant tout Iraniens, et cela depuis plus de 2 000 ans.
L’indéniable isolement de la République islamique sur la scène internationale
Parallèlement, les mouvements séparatistes qui ont surgi à la fin de la dynastie Qajar, au début du XXe siècle, ont été en grande partie manipulés, payés, provoqués par les Britanniques au sud et par les Russes au nord. Mais une fois que le gouvernement central a pu s’imposer face à l’ingérence des puissances étrangères, les groupes séparatistes se sont calmés d’eux-mêmes, sans une véritable répression de l’État.
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Ce sont les faits avérés de l’histoire contemporaine de ce pays qui nous font douter à la fois de l’importance des groupes soi-disant séparatistes arabes, et de leur capacité d’attenter au régime. Or, nous avons plutôt intérêt à réfléchir à l’indéniable isolement de la République islamique sur la scène internationale, qui fait de cet attentat un excellent prétexte, permettant aux ayatollahs de justifier l’injustifiable.
Dans peu de temps, le président iranien, lors de son discours annuel à l’ONU, va se plaindre du danger du terrorisme, au lieu d’être accusé de promouvoir les groupes terroristes.
Il va légitimer les arrestations massives des opposants et leurs exécutions dans les prisons moyenâgeuses de son pays, au lieu d’être critiqué pour l’empiétement des droits fondamentaux des individus sous sa présidence.
Enfin, nul ne saurait plus remettre en question la nécessité des projets balistiques d’un pays à la fois en proie à des attaques terroristes et menacé par ses ennemis étrangers, comme l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, qui paient les groupes terroristes/séparatistes.
- Mahnaz Shirali est sociologue et politologue, spécialiste de l’Iran. Elle est directrice d’études à l’Institut de science et de théologie des religions de Paris (ISTR-ICP). Elle enseigne également à Sciences Po Paris. Elle est l’auteure de plusieurs livres sur l’Iran et l’islam, notamment : La malédiction du religieux, la défaite de la pensée démocratique en Iran (2012).
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : un soldat iranien porte un enfant sur le site de l’attaque contre le défilé militaire qui se tenait à Ahvaz le 22 septembre (AFP).
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