Maroc : une nouvelle loi pour protéger le travail des domestiques
CASABLANCA, Maroc – Après quinze années de débat et d’acharnement, la loi 19.12 relative aux travailleurs domestiques est enfin entrée en vigueur, le 2 octobre.
Le nouveau texte exige, entre autres, un contrat de travail qui ouvre l’accès à la protection sociale et garantit un salaire représentant 60 % du salaire minimum marocain (1 540 dirhams par mois, soit 150 euros) ainsi que des congés payés.
La loi interdit par ailleurs le travail des mineurs, sauf pour les adolescents entre 16 et 18 ans qui pourront toujours être employés durant une période transitoire de cinq ans.
Les associations de défense de droits de l’homme dénoncent la période transitoire de cinq ans permettant aux employeurs d’engager des mineurs
Si le texte sonne comme une véritable avancée juridique, son application directe risque cependant d’être compliquée. Certains employeurs et employés craignent la surcharge administrative et financière.
Les associations de défense de droits de l’homme dénoncent, quant à elles, la période transitoire de cinq ans, permettant aux employeurs d’engager légalement des mineurs.
Un gage de sécurité
Pour Nejma (son prénom a été changé à sa demande), une femme de ménage proche de la cinquantaine, cette nouvelle loi est « une très bonne nouvelle ». Comme des dizaines d’autres femmes, elle attend chaque jour devant le marché Benjdia à Casablanca que des familles viennent lui proposer du travail.
Mais ces dernières semaines, Fatima et les autres sont très peu sollicitées. « On gagne environ 200 dirhams [soit moins de 20 euros] par demi-journée. Comment voulez-vous qu’on paye nos charges à la fin du mois ? Je préfère avoir un salaire fixe, même s’il est bas, plutôt que d’attendre des heures sur ce banc pour des miettes », témoigne Nejma, désespérée, à Middle East Eye. Pour elle et ses amies, cela ne fait aucun doute, cette loi ne peut qu’améliorer leur situation.
« Je préfère avoir un salaire fixe, même s’il est bas, plutôt que d’attendre des heures sur ce banc pour des miettes »
- Nedjma, femme de ménage
Une idée que partage Youssef, 45 ans. Depuis qu’il a perdu son épouse, il y a onze ans, c’est sa femme de ménage qui s’occupe de lui. Elle vit et travaille à son domicile pour un salaire mensuel de 2500 dirhams (250 euros).
« Elle va à la faculté la journée et s’occupe du ménage et de la cuisine lorsqu’elle rentre le soir », précise le retraité à MEE. Établir un contrat représenterait une vraie sécurité pour elle comme pour lui : « Il y a quelques années, ma femme de ménage précédente a été renversée par un taxi alors qu’elle était sortie faire une course. J’ai dû payer tous les frais d’hôpital, 7 000 dirhams en tout. Si elle avait été déclarée, j’aurais été aidé par l’assurance maladie ».
Difficile application sur le terrain
Pour d’autres, ce nouveau texte sonne davantage comme une contrainte. « Je cumule les foyers pour vivre. Je peux travailler jusqu’à soixante heures par semaine. Si je suis déclarée, je vais devoir réduire mon nombre d’heures de travail et revoir mon salaire à la baisse. C’est impossible, je dois aider mon mari qui est malade à payer les frais », s’inquiète Malika, la cinquantaine, originaire d’un quartier populaire situé au nord de Casablanca.
En effet, selon la loi, le contrat doit inclure le nombre d’heures travaillées par semaine. Il s’élève à 48 heures maximum et 40 heures pour les employés âgés de 16 à 18 ans. Le contrat doit également prévoir une période de repos hebdomadaire ne pouvant être inférieure à 24 heures continues.
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« Et puis, même si je voulais être déclarée, je sais que les familles pour lesquelles je travaille ne seront pas prêtes à faire ça. Je ne préfère même pas leur demander », continue Malika. Avant d’ajouter : « Si je demande à mon employeur de régulariser ma situation, il va me laisser tomber et prendre une domestique moins chère ».
Un avis que partage Fatima (son nom a également été changé à sa demande), cheffe d’entreprise de 34 ans, qui engage la même femme de ménage depuis maintenant trois ans. « Ce serait trop contraignant pour moi de déclarer mon employée de maison. Elle ne vient pas régulièrement. Toutes ces charges administratives me paraissent disproportionnées ».
« Ce serait trop contraignant pour moi de déclarer mon employée de maison. Elle ne vient pas régulièrement »
- Fatima, entrepreneure
Une charge administrative à laquelle s’ajouterait un surcoût financier, puisqu’environ 25 % des cotisations sociales seront à la charge de l’employeur.
Selma Khadiri, gérante de l’agence privée de recrutement d’employés de maison Bayti Help, affirme être sceptique quant à la bonne application de cette loi : « Les familles ont peur de rédiger un contrat de travail. Notamment car la loi les contraint, par exemple, après une certaine période de travail, à payer des indemnités en cas d’arrêt ».
L’épineuse question des mineurs
L’autre avancée concerne le travail des mineurs. Le texte ne l’interdit pas complètement puisque les travailleurs domestiques âgés de 16 et 17 ans pourront continuer à exercer durant une période transitoire de cinq ans.
Une décision vivement critiquée par les ONG et les associations des droits de l’homme. Le jour de l’entrée en vigueur du texte, le Collectif associatif pour l’éradication de l’exploitation des « petites bonnes » est revenu à la charge et s’est indigné, dans un communiqué, « du mépris de l’intérêt supérieur de l’enfant ».
En revanche, la nouvelle loi prévoit un cadre légal protégeant ces travailleurs mineurs. Un décret dresse la liste des tâches qu’ils ne sont pas autorisés à effectuer comme la conduite de véhicules, l’utilisation de pesticides ou encore le gardiennage d’une maison. Selon le texte, les employés mineurs ne sont pas autorisés à travailler la nuit.
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Mais l’article 23 de la loi 19.12 rend tout de même illégal le travail domestique pour les mineurs de moins de 16 ans. Le texte prévoit une amende allant de 25 000 à 30 000 dirhams (de 2 300 à 2 700 euros). En cas de récidive, l’amende peut être doublée et l’employeur peut être condamné à une peine d’emprisonnement allant d’un à trois mois.
Une victoire pour la présidente d’honneur de l’Institution nationale de solidarité avec les femmes en détresse (INSAF), Meriem Othmani, qui mène ce combat depuis plusieurs années : « Maintenant, notre objectif est de faire connaître et respecter cet article ». INSAF a lancé une campagne pour sensibiliser les employeurs d’enfants aux peines encourues.
« Aujourd’hui, nous n’avons plus besoin de nous mettre à genoux pour que les parents acceptent de remettre leur fille à l’école. Notre action est appuyée par la loi »
- Meriem Othmani, présidente d’honneur de l’Institution nationale de solidarité avec les femmes en détresse
Depuis plusieurs années, l’association se rend dans les différentes provinces de Marrakech, d’où viennent de nombreuses « petites bonnes » âgées de 6 à 16 ans, pour sensibiliser les familles.
Depuis la création de son programme en 2002, plus de 400 jeunes filles ont été réinsérées dans les familles et à l’école. « Aujourd’hui, nous n’avons plus besoin de nous mettre à genoux pour que les parents acceptent de remettre leur fille à l’école. Notre action est appuyée par la loi », se réjouit Meriem Othmani.
Cependant, dans un rapport consacré au sujet et publié le 4 octobre dernier, Human Rights Watch (HRW) relève certaines limites.
L’ONG évoque le flou qui entoure la question des inspecteurs du travail qui ne disposent pas, selon eux, de l’autorité et de la formation nécessaires pour enquêter sur les conditions de travail : « Ils devraient pouvoir se rendre aux domiciles des employeurs, dans le respect de leur vie privée, et être en mesure d’interroger les travailleuses domestiques séparément de leurs employeurs ».
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