Après deux ans de cafouillage, Riyad nomme un ambassadeur au Liban
Ce mercredi 28 novembre, un nouvel ambassadeur saoudien a pris ses fonctions au Liban. Nommé par Ryad en septembre, celui-ci n’est autre que Walid al-Boukhari, l’ancien chargé d’affaires en poste dans la capitale libanaise depuis un an et demi.
Dans une déclaration faite à son arrivée à l’aéroport international de Beyrouth, Walid al-Boukhari a assuré que son pays souhaitait établir « des partenariats internationaux ambitieux basés sur des principes solides, à travers une diplomatie humaine dans le but de garantir la sécurité et de renforcer la paix dans le monde ».
Cette nomination est le dernier épisode d’un cafouillage diplomatique qui dure depuis près de deux ans, et qui a commencé avec le rappel à Riyad de l’ambassadeur Ali Awad al-Assiri en août 2016, à l’apogée de pressions multiformes exercées sur le Liban par l’Arabie saoudite.
Quelques mois plus tôt, le royaume avait en effet appelé ses ressortissants à ne plus se rendre au pays du Cèdre, arguant de raisons de sécurité. En réalité, à travers ces mesures, les autorités saoudiennes tenaient surtout à exprimer leur colère à l’égard du rôle joué par le Hezbollah en Syrie et de l’influence de l’Iran au Liban.
À travers ces mesures, les autorités saoudiennes tenaient surtout à exprimer leur colère à l’égard du rôle joué par le Hezbollah en Syrie et de l’influence de l’Iran au Liban
Pour bien marquer son mécontentement, l’Arabie saoudite s’était contentée de nommer un chargé d’Affaires, Walid al-Boukhari, pour la représenter au Liban, un pays où elle exerce pourtant une grande influence politique et économique depuis des décennies.
Incident diplomatique
À l’automne 2017, un incident diplomatique a lieu entre Beyrouth et Riyad, après que les autorités saoudiennes ont tardé à accepter l’accréditation du nouvel ambassadeur libanais dans le royaume, Fawzi Kabbara, toujours dans la logique des pressions exercées sur le pays.
Le Liban fait usage de réciprocité, refusant de recevoir les lettres de créance de l’ambassadeur saoudien nouvellement nommé, Walid al-Yaacoub. Ce dernier était le bras droit de l’ancien ministre saoudien des Affaires du Golfe, Thamer al-Sabhane, un proche lieutenant du prince héritier Mohammed ben Salmane (MBS).
Al-Sabhane avait été chargé de mener une politique agressive au Liban, dans l’objectif de contrer l’influence de l’Iran. Sa méthode consistait à multiplier les tweets menaçants, formulés sur un ton très peu diplomatique, couplés à une attitude hautaine et condescendante à l’égard des dirigeants libanais.
Traduction : « Ce que le Hizb al-Sheytane [parti du diable] a commis comme crimes contre notre nation aura surement des séquelles sur le Liban. Les Libanais auront à choisir : soit être avec lui, soit être contre lui. Le sang des Arabes est cher. »
Les relations entre les deux pays se dégradent sérieusement après l’affaire Hariri. Le Premier ministre libanais est convoqué à Riyad le 4 novembre 2017, où il est forcé à présenter sa démission avant d’être placé en résidence surveillée et d’être humilié et battu.
L’incident prend une dimension planétaire et nécessite l’intervention de la France, qui obtient l’exfiltration de Saad Hariri. Thamer al-Sabhane est tenu pour responsable de ce gigantesque couac diplomatique par les dirigeants saoudiens, qui le dessaisissent des dossiers dont il a la charge, y compris celui du Liban.
Son protégé, l’ambassadeur Walid al-Yaacoub, arrivé entretemps à Beyrouth en janvier 2018, est rappelé en mars de la même année pour « des raisons particulières ».
Affublé du titre de ministre plénipotentiaire, Walid al-Boukhari reprend du service. Il est chargé de représenter l’Arabie saoudite à Beyrouth, alors qu’à Riyad, le dossier libanais est confié au conseiller royal Nizar al-Alouli.
Le diplomate s’active à restructurer l’ambassade de son pays au Liban, qui compte alors 400 employés, un nombre jugé élevé pour un petit pays, dans un souci de « réformes ». Des dizaines de personnes, des Libanais en majorité, qui figurent sur la payroll de la chancellerie sont licenciées, ce qui provoque une vague de critiques.
Diplomatie active
Walid al-Boukhari se présente comme un diplomate moderne, très branché sur les réseaux sociaux, où il commente souvent la politique libanaise et les relations bilatérales. Il organise en outre une série d’événements à caractère littéraire, qui lui offrent l’occasion d’établir des relations directes avec des personnalités libanaises, en plus de réceptions « autour d’une tasse de café », en petits comités.
Le message que l’on décrypte en filigrane de ces manifestations est la volonté de mettre en avant l’identité arabe du Liban face à « l’Iran perse » ainsi qu’une tentative de se rapprocher des milieux chrétiens
Les hommages rendus dans ce cadre à l’écrivain libanais Amine Rihani, à l’ancien président Fouad Chéhab et à l’imam chiite Moussa Sadr, disparu en Libye en 1978, suscitent des réactions plus amusées que curieuses.
Le message que l’on décrypte en filigrane de ces manifestations est la volonté de mettre en avant l’identité arabe du Liban face à « l’Iran perse » ainsi qu’une tentative de se rapprocher des milieux chrétiens (le chef des Forces libanaises Samir Geagea étant le principal allié de l’Arabie saoudite au Liban et des chiites hostiles au Hezbollah).
Traduction : « L’ambassadeur Boukhary remercie les dirigeants saoudiens pour l’avoir désigné ambassadeur d’Arabie saoudite au Liban. »
Dans un portrait au vitriol publié dans le quotidien Al-Akhbar en août dernier, la journaliste Ghada Halawi décrit un diplomate « qui passe plus d’une demi-journée sur les réseaux sociaux » et qui cherche désespérément à se rapprocher de la famille royale. Elle raconte comment il a été écarté par les gardes du corps de MBS lorsqu’il « a essayé de l’approcher en marge d’un sommet arabe au Koweït ».
Si Walid al-Boukhari s’est trouvé des amis au Liban, il s’y est fait aussi de nombreux détracteurs.
Dans une vidéo postée sur YouTube, le célèbre journaliste libanais Hussein Mourtada, correspondant en Syrie de la chaîne panarabe iranienne Al-Alam, se déchaîne contre lui. Il l’accuse de « chercher à provoquer la discorde au Liban et d’avoir des activités plus liées au renseignement qu’à son statut diplomatique ». Cette virulente charge, couplée de menaces à peines voilées, a valu au journaliste d’être interrogé par la Sûreté générale libanaise (SG).
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La dernière mésaventure d’al-Boukhari date du 18 novembre, quelques jours seulement avant qu’il ne prenne officiellement ses nouvelles fonctions d’ambassadeur. Une rumeur selon laquelle il aurait exigé que les églises situées dans le périmètre de la chancellerie, à Ras-Beyrouth, cessent de sonner les cloches s’est répandue comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux et dans certains médias.
L’information a été démentie par le ministère libanais des Affaires étrangères, qui affirme être entré en contact avec le diplomate. Le ministère rappelle au passage, dans un communiqué, que « le Liban protège les libertés religieuses et le droit de toutes les communautés de pratiquer leur culte religieux en toute liberté ». Ce qui n’est pas le cas en Arabie saoudite.
Si la nomination d’un nouvel ambassadeur saoudien au Liban témoigne d’un certain retour à la « normale » entre les deux pays, elle n’annonce donc pas toutefois la fin des turbulences.
- Paul Khalifeh est un journaliste libanais, correspondant de la presse étrangère et enseignant dans les universités de Beyrouth. Vous pouvez le suivre sur Twitter @khalifehpaul
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Photo : Walid al-Boukhari, alors chargé d’affaires de l’Arabie saoudite au Liban, serre la main du Premier ministre libanais Saad Hariri lors d’une cérémonie au palais présidentiel de Baadba, le 22 novembre 2017 (AFP).
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