Ce que les harkis attendent d’Emmanuel Macron
Le 25 septembre 2018, dans la cour des Invalides à Paris, Geneviève Darrieussecq, secrétaire d’État auprès de la ministre des Armées, rend hommages aux harkis et à leurs familles.
Sur fond d’hymne national, son discours évoque la fidélité de ces hommes à la France et la reconnaissance qui l’accompagne.
Elle souligne l’attachement profond et sincère de la République aux familles de harkis, précisant que « le président de la République aura prochainement l’occasion de l’exprimer personnellement et solennellement ».
Cette reconnaissance a été maintes fois confirmée depuis une quinzaine d’années. La forme qui semble la plus aboutie a été prononcée le 25 septembre 2016 par François Hollande. Le président de la République reconnaît alors « les responsabilités des gouvernements français dans l’abandon des harkis, des massacres de ceux restés en Algérie, et des conditions d’accueil inhumaines des familles transférées dans les camps en France. Telle est la position de la France. »
Dans les prochaines semaines, Emmanuel Macron prononcera donc un discours solennel sur le sujet. Que pourrait-il ajouter à la déclaration de son prédécesseur ?
Il nous faut revenir aux quinze dernières années pour comprendre le cheminement et les revendications des associations de harkis
Il nous faut revenir aux quinze dernières années pour comprendre le cheminement et les revendications des associations de harkis sur la question de la responsabilité de la France.
Le 25 septembre 2001, Jacques Chirac déclare à propos des massacres de harkis pendant l’été 1962 : « La France, en quittant le sol algérien, n’a pas su les empêcher. Elle n’a pas su sauver ses enfants... » Pas su ou pas voulu ?
Pour certains historiens, les faits sont patents. Ainsi, pour Pierre Vidal-Naquet, pas de doute, la République n’a pas voulu : « Des ordres ont été donnés pour éviter un afflux que l’économie française est pourtant en état de supporter... ».
Par un décret du 31 mars 2003, Jacques Chirac institue une « Journée nationale d’hommage aux harkis et autres membres des formations supplétives », donnant lieu, chaque année à Paris, à une cérémonie officielle dans la cour d’honneur des Invalides.
Reconnaître la responsabilité de l’État français
Le 10 janvier 2004, une association de femmes organise une manifestation dans la capitale française. Les manifestants scandent : « Nous voulons que notre République reconnaisse officiellement sa responsabilité dans l’abandon dramatiquedes harkis en 1962 et leur traitement indigne depuis 41 ans. »
L’idée de faire reconnaître la responsabilité de l’État dans la tragédie des familles de harkis voit le jour, devenant à partir de cette date, la principale revendication portée par le groupe.
De 2004 à 2016, chaque année, l’Association harkis et droits de l’homme (AHDH) avec le soutien de la Ligue des droits de l’homme (LDH), du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP) et de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA), écrit aux présidents de la République successifs afin de leur demander de reconnaître la responsabilité de la France.
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De nombreuses personnalités soutiennent la demande. Germaine Tillion, Jean Lacouture, Jean Daniel, Pierre-Gilles de Gennes, François Jacob, Albert Jacquard, Patrice Chéreau, Ariane Mnouchkine, Henri Alleg, Nabile Farès, Alain Jakubowicz, Bertrand Tavernier, Axel Khan, Jean-Pierre Bacri, Mouloud Aounit, Michel Tubiana n’en sont que quelques-uns.
Le 31 mars 2007, Nicolas Sarkozy, dans son programme présidentiel, s’était engagé à porter cette revendication, mais rien n’a été effectué.
Le 14 avril 2012, devancé dans les sondages d’opinion par le candidat François Hollande, au nom « d’une dette morale », Nicolas Sarkozy déclare dans l’urgence : « La France se devait de protéger les harkis de l’histoire. Elle ne l’a pas fait. C’est cette responsabilité que je suis venu reconnaître. »
Pour les associations, le compte n’y est pas. Nicolas Sarkozy n’a reconnu la responsabilité de la France que de façon incomplète. Elles déplorent notamment que seul l’abandondes familles de harkis a été reconnu, et non pas aussi les massacres dont elles ont été victimes.
Le 5 avril 2012, c’est au tour de François Hollande, candidat à la présidence, de s’exprimer aux sujets des harkis. Il connaît leurs attentes. Dans un courrier envoyé aux associations concernées, il s’engage, dans des termes proches de ceux exprimés par Nicolas Sarkozy le 31 mars 2007, à combler ces attentes.
Le 25 septembre 2016, il concrétise sa promesse. Mais cette reconnaissance satisfait-elle les associations de harkis ? Non.
Que pourrait apporter de plus Emmanuel Macron lors de son allocution ? N’est-il pas temps qu’il rétablisse la vérité historique ?
La grande majorité des responsables d’associations demandent aux présidents de la République d’aller plus loin : cette reconnaissance doit être inscrite dans une loi qui ouvrirait la voie à des compensations matérielles à la hauteur des préjudices subis.
Ainsi, le 23 janvier 2018, pour faire face à l’insatisfaction des associations, à la demande d’Emmanuel Macron, Geneviève Darrieussecq installe un groupe de travail à qui elle confie le soin « d’évaluer les dispositifs de reconnaissance et de réparation existants » et de « prendre en compte la situation socio-économique des harkis ».
Le groupe, constitué principalement de responsables d’associations, rend sa copie le 17 juillet 2018. Le préfet Dominique Ceaux, président du groupe de travail sur les harkis, remet à Geneviève Darrieussecq un rapport présentant 56 propositions en faveur des harkis et de leurs familles.
Des déclarations présidentielles très attendues
Les deux principales attentes des associations, un projet de loi déposé au nom du gouvernement et l’indemnisation des préjudices subis par les familles ne figurent pas dans le rapport. En conséquence, ce dernier est rejeté par de nombreuses associations.
Partant de ce constat, que pourrait apporter de plus Emmanuel Macron lors de son allocution annoncée par Mme Genevière Darrieussecq ?
N’est-il pas temps qu’il rétablisse la vérité historique en rappelant les propos de Mohammed Harbi (historien et ancien dirigeant du FLN) : « Les harkis ne nourrissaient aucun projet politique, ni pour eux-mêmes ni pour les populations... » ?
Trouvera-t-il des mots assez forts pour donner l’occasion à ces familles, dont une grande partie de la vie a été confisquée, de pardonner à la France ?
- Fatima Besnaci-Lancou est docteur en histoire contemporaine (Université Paris-Sorbonne), spécialiste de la guerre d’Algérie et ses suites. Prix Seligmann 2005 contre le racisme, elle est aussi membre du conseil scientifique du Mémorial du camp de Rivesaltes. Elle est également auteure de plusieurs ouvrages dont Prisons et camps d’internement en Algérie – Les missions du CICR dans la guerre d’indépendance – 1955/1962 (2018).
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : Fatima Besnaci-Lancou en compagnie d’un ancien harki lors de la manifestation du 10 janvier 2004 à Paris (Fatima Besnaci-Lancou).
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