Têtes rasées, battus, tués : des Soudanais accusent les forces de sécurité d’abus
KHARTOUM – Au cours du mois écoulé, il est devenu banal de tomber sur des mèches de cheveux dans les rues soudanaises. Des membres des forces de sécurité les ont rasés du crâne de manifestants descendus dans la rue pour réclamer la fin des presque 30 années de règne du président Omar el-Béchir.
La foule, proclamant souvent son intention de défiler « pacifiquement », s’est heurtée aux gaz lacrymogènes et à des tirs à balle réelle, lesquels ont tué plus de 40 manifestants, selon des groupes de défense des droits de l’homme. Des manifestants ont également été détenus et passés à tabac – un modèle de harcèlement et d’humiliation qui s’est généralisé, affirment de nombreux jeunes Soudanais.
Selon l’organisation de défense des droits de l’homme Amnesty International, plus de 300 manifestations ont eu lieu depuis le début des troubles, le 19 décembre, et de nombreuses arrestations ont été signalées lors de celles-ci, les forces de sécurité allant souvent jusqu’à prendre d’assaut les maisons voisines à la recherche de manifestants.
Traduction : « Dieu merci, aujourd’hui, j’ai été libéré de prison. »
Abul Wahab Ahmed, 19 ans, a déclaré à MEE qu’il faisait partie des personnes arrêtées et détenues par les forces de sécurité lors d’une manifestation dans le sud de Khartoum.
« Ils m’ont battu, comme de nombreux autres manifestants, puis m’ont rasé la tête d’une manière vraiment humiliante et barbare », a-t-il déclaré.
« Ils m’ont battu, comme de nombreux autres manifestants, puis m’ont rasé la tête d’une manière vraiment humiliante et barbare »
- Abul Wahab Ahmed, manifestant soudanais
« Ils m’ont libéré après deux heures de détention à bord de leur véhicule et m’ont déposé dans une rue principale d’al-Kalakla, où je vis », a-t-il ajouté.
« Déshumanisant »
Le journaliste soudanais Bahram Abdul Moniem, qui a été arrêté à deux reprises depuis le début des manifestations, a rapporté à MEE qu’il avait été témoin de ces passages à tabac et qu’il en avait été lui-même victime.
« J’ai été arrêté et battu avec d’autres journalistes par les agents de sécurité. J’ai vu des centaines de jeunes manifestants se faire battre violemment. »
Traduction : « Les forces de sécurité ont coupé les cheveux de manifestantes arrêtées hier. Leurs tresses parsèment désormais le quartier de Burri à Khartoum. Photos que m’a envoyées un habitant. »
L’image de tresses sectionnées parsemant les routes de la capitale Khartoum la semaine dernière a attiré l’attention sur la manière dont les forces de sécurité visaient les femmes.
Sara Daif Allah, 35 ans, a déclaré à MEE qu’elle avait été arrêtée dans le centre-ville de Khartoum avec quatorze autres militantes et n’avait été libérée qu’après des heures de coups et de menaces.
« Ce fut une mauvaise expérience pour moi et mes camarades. J’ai été battue et le personnel de sécurité a délibérément harcelé et maltraité les manifestantes », a-t-elle déclaré.
Elle est persuadée que les femmes sont ciblées pour les intimider et les décourager de se joindre aux manifestations.
« [Couper les cheveux des manifestants] est une façon d’avilir et d’humilier, et donc de faire réfléchir à deux fois avant de tenter à nouveau d’entrer en dissidence »
- Sara Elhassan, rédactrice soudano-américaine
La rédactrice indépendante soudano-américaine Sara Elhassan, qui suit de près les manifestations, a déclaré que couper les cheveux des manifestants était « une façon d’avilir et d’humilier, et donc de faire réfléchir à deux fois avant de tenter à nouveau d’entrer en dissidence. »
« C’est déshumanisant, pour les femmes en particulier, car cela entre également dans les concepts sociaux de féminité – les cheveux des femmes font partie intégrante de leur féminité, comme voudrait nous le faire croire la société, et se faire couper les cheveux les prive de ce qui les rend femme. »
Elle a ajouté que certaines femmes détenues par des agents des services de renseignement soudanais avaient été agressées physiquement et sexuellement.
« Selon des témoignages oculaires, les femmes agressées par les forces de sécurité ont été battues et ont eu les cheveux coupés sur la place du quartier où se déroulaient les manifestations, et c’est là que leurs cheveux ont été retrouvés et photographiés.
« Ceci, ajouté à la façon perverse dont les forces de sécurité ont géré la manifestation de Burri, prouve que le régime du NISS [Service national de renseignement et de sécurité] voulait en faire un exemple. »
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Le domicile de Sharifa Ahmed est devenu un point de ralliement des protestations ; son fils de 25 ans, le Dr Babikir Abdul Hamid, a été abattu jeudi alors qu’il apportait une aide médicale à des manifestants blessés dans le quartier de Burri, point chaud de Khartoum.
« La dernière fois que j’ai vu Babikir, c’était jeudi matin, alors qu’il partait travailler pour sauver des vies. Je lui ai dit de faire attention à lui et il m’a répondu : “Ne t’inquiète pas, les gens sont visés partout et nous devons travailler pour les sauver” », a-t-elle raconté, en larmes. Elle a juré de ne pas faire son deuil et de ne pas accepter de réconfort tant que le président Béchir n’aura pas quitté ses fonctions.
Un ami d’Abdul Hamid qui a souhaité garder l’anonymat a déclaré à MEE que le médecin avait été tué alors qu’il soignait des blessés.
« Nous travaillions dans une maison pour secourir des blessés et des agents des services de sécurité nous ont empêchés de les emmener à l’hôpital. Mon collègue Babikir est donc sorti de la maison pour négocier avec eux, mais l’un des agents lui a tiré dans la poitrine », a rapporté son ami, lui aussi médecin.
Des décès en détention
Des témoins oculaires et des activistes ont déclaré à MEE que les violences contre les manifestants et les détenus étaient répandues, tandis que le Centre africain d’études sur la justice et la paix a précisé que des lois relevant de l’état d’urgence avaient été utilisées pour faciliter la répression.
Le centre a également exprimé des soupçons sur les circonstances de certains des décès survenus en détention.
« Abdul Rahman Alsadiq Mohamed Alamin, un étudiant en art à l’université de Khartoum, a été retrouvé dans le Nil. Il semble avoir été noyé. Sa famille a refusé de recevoir son corps tant qu’une autopsie n’aura pas été réalisée. On rapporte que son corps comportait des signes évidents de torture ou de mauvais traitements », a déclaré le centre dans un communiqué.
Anwar Alhaj, président de l’organisation de défense des droits de l’homme Sudan Democracy First Group, a réclamé une enquête indépendante sur les décès de manifestants.
Il a indiqué que l’enquête déjà annoncée par le gouvernement visait en réalité à dissimuler les abus.
« Nous appelons la communauté internationale et les organisations internationales de défense des droits de l’homme à imposer la plus grande pression possible afin d’empêcher le gouvernement soudanais de commettre davantage de crimes contre les manifestants »
- Anwar Alhaj, président de Sudan Democracy First Group
« Les Soudanais ne font pas confiance à ces comités car ils ont une longue expérience de ces institutions gouvernementales », a-t-il indiqué, évoquant une enquête sur le massacre de 200 manifestants survenu lors de manifestations nationales en 2013, qui n’avait donné « aucun résultat ».
« Les Soudanais ne font pas confiance à la transparence du système judiciaire soudanais », a-t-il ajouté.
« Nous appelons la communauté internationale et les organisations internationales de défense des droits de l’homme à imposer la plus grande pression possible afin d’empêcher le gouvernement soudanais de commettre davantage de crimes contre les manifestants et d’aider le Soudan à bâtir une véritable démocratie. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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