Aller au contenu principal

Afghanistan : cette guerre sans fin qui hante encore le monde arabe 

Alors que l’Afghanistan organise ce lundi un sommet historique sur les tentatives américaines de parvenir à un accord de paix avec les talibans, un livre souligne l’échec continu du débat américain sur l’islam politique, le terrorisme et l’armement des insurgés
Le commandant Massoud (deuxième en partant de la gauche) s’entretient avec des conseillers en Afghanistan, en 1990 (AFP)

L’Afghanistan continue de dominer la psyché de l’armée américaine alors que le Pentagone se prépare à relancer une guerre qui se poursuit depuis plus de quatre décennies avec l’implication directe des États-Unis. 

Toutes les semaines, les grands titres des médias dominants et des sites web de défense soulignent la nécessité de se retirer du conflit. Pourtant, cet argument est tempéré par l’avertissement quant à une nouvelle menace, réelle ou imaginaire, d’un retour de combattants arabes et d’autres combattants étrangers en Afghanistan, alors que le théâtre mondial des « djihadistes » internationaux quitte le Levant pour retrouver l’Asie centrale. 

Presque toutes les insurrections dans le monde arabe peuvent être reliées à l’Afghanistan. L’armée algérienne a toujours martelé que ce sont les « vétérans » afghans qui ont ramené leur cause extrémiste en Algérie dans les années 1990.

Les Égyptiens ont également été catégoriques sur le fait que le dirigeant d’al-Qaïda Ayman al-Zawahiri et consorts ont été à l’origine de groupes politiques établis qui ont défié l’armée égyptienne. Dans les années 1990, la trace d’un des hommes les plus recherchés de Syrie a également été trouvée en Afghanistan par les services de sécurité pakistanais. 

Partis pris et des renseignements erronés

Les implications mondiales de la guerre en Afghanistan dans les années 1980 n’ont jamais été mises en doute. En effet, le terrorisme qui a vu le jour dans les montagnes de l’Hindou Kouch (chaîne de hautes montagnes d’Afghanistan et du Pakistan) a entraîné le 11 septembre et formé des individus comme Abou Moussab al-Zarqaoui. 

Il s’agit fondamentalement d’une guerre de territoire qui domine le monde arabe depuis la fin de l’occupation soviétique de l’Afghanistan en 1989

Cependant, l’héritage et l’analyse faite des Arabes en Afghanistan sont partiaux, basés sur des partis pris et des renseignements erronés qui dominent l’intervention américaine au Moyen-Orient depuis le 11 septembre.

Un nouveau récit rédigé par un de ses protagonistes les plus influents, Abdullah Anas, remet en question et met clairement en évidence l’échec continu du débat américain sur l’islam politique, le terrorisme et l’armement des insurgés. Il se concentre principalement sur ses relations avec le dirigeant afghan Ahmed Chah Massoud et les avertissements quant aux ravages que les combattants arabes causeraient avec le plein soutien des agences de renseignement arabes et occidentales. 

Il est devenu de notoriété publique que tous les Arabes partis combattre en Afghanistan ont fini par devenir des terroristes d’al-Qaïda ou sont revenus pour rejoindre des groupes extrémistes en Algérie, en Égypte et dans d’autres pays d’origine.

Étude après étude, cette image des « Arabes afghans » ayant participé aux guerres en Irak, en Syrie, en Bosnie et au-delà a fait l’objet d’une obsession. 

Même le journaliste assassiné Jamal Khashoggi a été mis dans le même sac après être tombé en disgrâce auprès des Saoudiens. Les opposants à Khashoggi se sont concentrés sur son prétendu héritage « terroriste ». Et Donald Trump Jr a propagé de fausses informations sur le temps passé par Khashoggi en Afghanistan. 

La « libéralisation » de l’islam politique

Pourtant, dans la tragédie de l’affaire Khashoggi, on retrouve aussi l’histoire des Arabes en Afghanistan. La quête de « libéralisation » de l’islam politique, comme la décrit le prince héritier saoudien, a apporté avec elle de nouveaux discours contestés sur les « bonnes » et les « mauvaises » versions de l’islam politique.

La bataille entre la Turquie et l’Arabie saoudite sur le contrôle du leadership politique de l’islam et le blocus du Qatar – qui prend racine dans le soutien de Doha aux Frères musulmans, condamnés par les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite – s’inscrivent dans ce débat. 

Néanmoins, ceux qui accusent les Qataris ou les Turcs de soutenir certains groupes politiques en Afrique du Nord ou au Levant sont eux-mêmes pétris de contradictions. Il s’agit fondamentalement d’une guerre de territoire qui domine le monde arabe depuis la fin de l’occupation soviétique de l’Afghanistan en 1989.

La duplicité des États arabes qui se joignent à la lutte contre une armée envahissant un pays musulman (les Russes en Afghanistan) tout en soutenant un autre pays (les Américains en Irak) a provoqué des schismes dans le monde déchiré du bon et du mauvais islam politique. 

Combattants de la résistance antisoviétique afghane, photographiés au début des années 1980 (AFP)

Les mémoires d’Anas, intitulés To the Mountains, font référence à son ami Khashoggi et évoquent également les guerres en Syrie et en Libye, en plus de la guerre civile algérienne – le premier bain de sang dans le monde arabe ayant opposé un parti politique islamique élu par le peuple, l’islam combattant et des forces militaires.

Ce brouillard de confusion ne s’est pas dissipé : maintes et maintes fois, en Libye, en Égypte, en Syrie et même en Jordanie malgré sa stabilité relative, la question du bon et du mauvais islam politique s’est posée. 

Anas soutient qu’Oussama ben Laden, Zawahiri et consorts n’étaient pas d’humeur à aider le peuple afghan, mais plutôt disposés à rassembler une force plus importante pour semer l’agitation. La formation d’al-Qaïda a été aidée et encouragée par des agences de renseignement américaines, saoudiennes, égyptiennes, pakistanaises et même israéliennes. De même, Anas n’est pas le premier à parler d’armes qui tombent entre de mauvaises mains. 

Les fantômes de l’Afghanistan

Dans son livre intitulé The Wars of Afghanistan, l’ancien ambassadeur américain Peter Tomsen explique comment les militants extrémistes ont été favorisés par rapport aux combattants afghans et arabes légitimes et modérés, dont le légendaire Ahmed Chah Massoud.

Tué deux jours avant le 11 septembre, Massoud prévenait depuis plus de dix ans que les Américains et les Saoudiens avaient misé sur le mauvais cheval et que les conséquences seraient dévastatrices pour la région et le monde entier.

Des années plus tard, les assassins de Massoud étaient étroitement liés au 11 septembre et aux attentats terroristes perpétrés plus d’une décennie plus tard par le groupe État islamique à Paris.

L’Iran recrute des milliers de réfugiés afghans pour combattre en Syrie aux côtés d’Assad
Lire

Massoud a formulé des mises en garde contre l’utilisation de l’islam par les combattants pour compromettre l’espace légitime de l’islam politique. Dans le même temps, il s’opposait à la politisation et à l’usurpation de cette forme d’islam politique par les agences de renseignement arabes et occidentales en Afghanistan.

Khashoggi s’est également élevé contre l’utilisation de l’islam politique de manières susceptibles de lui nuire. 

En fin de compte, le livre d’Anas mentionne la nécessité de remettre à zéro la compréhension de l’islam politique, soulevant le fait que les gouvernements américain, saoudien et égyptien continuent de nuire à l’usage légitime de l’islam politique en le comparant au terrorisme. 

Un des officiers de la CIA les plus décorés de l’histoire, Milton Bearden – l’homme chargé d’armer les Arabes en Afghanistan – avait sinistrement formulé des mises en garde contre l’armement des rebelles dans la guerre en Syrie, après avoir vu de ses propres yeux à quel point les meilleures intentions pouvaient se perdre dans les guerres de renseignement. Les fantômes de l’Afghanistan continuent de hanter le monde arabe. 

- Kamal Alam est chercheur invité au Royal United Services Institute (RUSI). Il est spécialiste de l’histoire militaire contemporaine du monde arabe et du Pakistan. Il est également chercheur associé à l’Institute for Statecraft où il s’occupe de la politique syrienne. Il est aussi un conférencier régulier de plusieurs universités militaires à travers le Moyen-Orient, au Pakistan et au Royaume-Uni.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Kamal Alam specialises in contemporary military history of the Middle East. He was a Fellow at the Royal United Services Institute from 2015 to 2019. Currently, he is a Fellow at The Institute for Statecraft and a non-resident Senior Fellow at the Atlantic Council, and he lectures at several military staff colleges across the Middle East.
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].