Pourquoi les États africains ne doivent pas aider à normaliser Israël
Le 11 novembre 2004, jour de la mort du leader palestinien Yasser Arafat, j’ai pleuré, submergé par le choc et la tristesse.
Ce jour fatidique, les chaînes de télévision ont diffusé à plusieurs reprises d’anciennes images démoralisantes d’Arafat embarquant dans un hélicoptère depuis son complexe présidentiel en ruine à Ramallah. L’armée israélienne, poussée par une violence sioniste extrême, avait réduit le lieu à de pitoyables décombres.
Les images d’un Arafat visiblement malade mais conservant un air de défi en train de quitter la Cisjordanie occupée pour la Jordanie, devant une foule de Palestiniens dévastés venus lui dire au revoir, ont rendu sa disparition inattendue à Paris incroyablement difficile à supporter. Je me suis alors demandé : pourquoi a-t-il été contraint de mourir dans un pays étranger ?
Pendant ma jeunesse, la lutte palestinienne avait été adoptée à juste titre comme une lutte africaine pour l’indépendance. Chaque fois qu’il visitait le Zimbabwe, Arafat était célébré comme un dirigeant africain
La mort d’Arafat m’a rappelé Samora Machel, le président fondateur du Mozambique. Machel a perdu la vie dans un mystérieux accident d’avion en 1986, apparemment avant que son heure n’ait vraiment sonné. Comme Arafat, Machel incarnait la lutte longue et sinueuse de nos vies troublées. Son décès a suscité une grande compassion en Afrique car, comme Arafat, il n’était pas simplement le président du Mozambique – il était aussi notre chef.
Son peuple était notre peuple, et ses luttes étaient les nôtres, jusqu’au bout. En effet, Machel et Arafat symbolisaient la lutte longue et angoissante pour la libération de la domination coloniale et néocoloniale. Mais alors que Machel avait vécu assez longtemps pour respirer l’air d’un Mozambique indépendant, Arafat avait péri dans de tristes circonstances, avant que l’État palestinien ne soit créé – et cela me peinait.
Pendant ma jeunesse, passée au Zimbabwe, la lutte palestinienne avait été adoptée à juste titre comme une lutte africaine pour l’indépendance. Chaque fois qu’il visitait le Zimbabwe, Arafat était célébré comme un dirigeant africain. Cette solidarité incontestable avec le peuple palestinien résonnait dans toute l’Afrique, autant parmi les Africains ordinaires que leurs dirigeants.
En 2004, le président sud-africain de l’époque, Thabo Mbeki, parlant du droit des Palestiniens à créer un État, déclara : « Nous avons la responsabilité, nous tous en tant qu’Africains, de nous assurer que nous n’oublions pas cette question, que nous ne la traitons pas comme une question secondaire et qu’effectivement, nous adoptons un programme d’action pratique qui aiderait à faire avancer cette question. »
Vol de terre et oppression
Cette déclaration sonne plus vrai aujourd’hui qu’il y a seize ans, alors que les tentatives israéliennes de normalisation du vol de terres, des meurtres, de l’oppression brutale et de la discrimination raciste qu’il exerce dans les territoires palestiniens ont gagné du terrain, non seulement aux Émirats arabes unis et à Bahreïn, mais également en Afrique.
Certains dirigeants africains sont devenus volontairement complices de la quête d’Israël visant à anéantir indéfiniment les droits des Palestiniens
Certains dirigeants africains, malheureusement, sont devenus volontairement complices de la quête d’Israël visant à anéantir indéfiniment les droits des Palestiniens tout en se glorifiant sans vergogne d’être une nation de « paix ».
Bien qu’il ait lancé trois guerres destructrices à Gaza depuis 2008 et qu’il n’ait jamais cessé de construire de nouvelles colonies sur les terres occupées en violation de la quatrième convention de Genève, Israël renforce de plus en plus ses liens avec des États africains. Israël entretient actuellement des relations diplomatiques complètes avec 39 des 47 pays d’Afrique subsaharienne et a des ambassades dans 9 des 54 pays africains.
En 2016, Benyamin Netanyahou est devenu le premier Premier ministre israélien à visiter l’Afrique depuis des décennies. Au cours des cinq dernières années, il s’est rendu en Ouganda, au Kenya, au Rwanda, en Éthiopie et au Tchad. Ces visites ont en grande partie coïncidé avec les efforts déployés par le Ghana, le Kenya et l’Éthiopie pour aider Israël à retrouver le statut d’observateur auprès de l’Union africaine (UA).
Qui plus est, en juin 2017, Netanyahou est devenu le premier dirigeant non africain à s’adresser à la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Plus tard cette année-là, un sommet Israël-Afrique prévu pour le mois d’octobre a été annulé tardivement par le pays hôte, le Togo.
Ailleurs, la Guinée équatoriale et l’Angola ont demandé une aide économique à Israël, tandis que le Kenya a promis de soutenir ce pays aux Nations unies. Plus inquiétant encore, l’Ouganda et le Malawi envisagent d’ouvrir des missions diplomatiques à Jérusalem. Pourtant, l’Union africaine soutient officiellement le droit des Palestiniens à un État basé sur les frontières de 1967, avec Jérusalem comme capitale.
Manœuvres égoïstes
Ces manœuvres extrêmement décevantes et égoïstes auraient été impensables en 1986 ou 2004. Aujourd’hui pourtant, un nombre alarmant de dirigeants africains n’affichent aucune honte à œuvrer contre le droit des Palestiniens à récupérer leurs terres volées, à participer à la vie économique et à mener une existence digne.
Au contraire, certains États africains s’efforcent de normaliser leurs relations avec la seule puissance coloniale du Moyen-Orient. L’Ouganda, par exemple, a sollicité une plus grande assistance israélienne dans les domaines de l’agriculture, de l’éducation et de l’innovation. Le Soudan du Sud, en proie à des troubles civils et sous un embargo des Nations unies sur les armes, a acheté des armes à des entreprises israéliennes.
Il ne fait aucun doute qu’Israël utilise son poids économique, ses capacités militaires et son savoir-faire technologique pour tenter de construire des relations plus solides avec les pays africains, accroître le soutien dont il dispose à l’ONU et saper progressivement les revendications palestiniennes à un État.
Pour moi, normaliser les relations avec Israël – au point d’accepter de faire pression en sa faveur à l’ONU et de planifier la création d’ambassades à Jérusalem – est donc une trahison honteuse et choquante des aspirations africaines et palestiniennes.
Comment un dirigeant africain peut-il aider à passer sous silence les injustices de l’apartheid, l’accaparement de terres et la mort alarmante qu’Israël a déchaînés sur les corps et les âmes des Palestiniens au cours des 72 dernières années ?
Il convient néanmoins de noter que si de nombreux dirigeants africains veulent faire des associations étranges et indéfendables avec Israël, notre humanité et nos liens indélébiles avec la cause palestinienne demeurent quant à eux intacts.
Violations des droits de l’homme
Le Malawi et l’Ouganda ne peuvent pas soutenir avec enthousiasme un État qui prive délibérément les résidents de Gaza d’un accès régulier et illimité à l’eau potable, à l’électricité et aux services de santé essentiels. Comment l’Éthiopie et le Kenya peuvent-ils vivre en paix avec une nation qui a tué au moins 214 Palestiniens et en a blessé plus de 18 000 autres lors des manifestations largement non violentes de la Grande Marche du retour en 2018 ?
Si de nombreux dirigeants africains veulent faire des associations étranges et indéfendables avec Israël, notre humanité et nos liens indélébiles avec la cause palestinienne demeurent quant à eux intacts
Comment pouvons-« nous » nous plaindre de manière plausible des atrocités et meurtres terribles commis par les forces de police dans les communautés africaines tout en soutenant un État qui a institutionnalisé la brutalité contre nos frères et sœurs palestiniens ?
Cela dit, les pays africains ne se sont pas tous vendus aux intérêts israéliens et ne sont pas tous devenus passifs face aux agressions israéliennes au cœur des espaces palestiniens. Après l’attaque meurtrière contre des manifestants largement pacifiques à Gaza en mai 2018, l’Afrique du Sud a retiré son ambassadeur en Israël et déclassé son ambassade au rang de bureau de liaison.
D’autres pays africains ayant des missions diplomatiques en Israël ne lui ont cependant pas emboîté le pas. Dans tous les cas, quelle que soit la valeur en dollars américains de leurs objectifs essentiellement commerciaux, l’Ouganda, le Malawi, l’Éthiopie, le Ghana et le Kenya – pour n’en nommer que quelques-uns – ne peuvent pas ignorer les violations flagrantes des droits de l’homme perpétrées par Israël et abandonner la lutte palestinienne.
Les héros tombés pour notre lutte
Le long et douloureux combat pour l’émancipation économique et politique, tant pour les Palestiniens que pour les Africains, est loin d’être terminé. Le tissu intersectionnel et les inégalités de nos luttes historiques et contemporaines communes – contre le colonialisme, le néocolonialisme occidental, le racisme systémique, l’oppression économique, la pauvreté et la brutalité – restent plus forts que jamais.
De même qu’ils doivent s’entraider, les Africains de toutes les nuances doivent aider les Palestiniens de toutes les manières imaginables, car aucun État africain n’a obtenu son indépendance sans une aide et des sacrifices extérieurs considérables. Les États africains ne doivent pas établir de liens plus étroits avec Israël et compromettre davantage le futur statut de Jérusalem. Au contraire, l’Afrique devrait jouer son rôle en aidant à la réalisation d’un État palestinien indépendant.
C’est ce que nous devons à nos héros africains et palestiniens tombés pour notre lutte.
- Tafi Mhaka est un commentateur et écrivain basé à Johannesburg qui s’intéresse tout particulièrement à l’Afrique, surtout le Zimbabwe et l’Afrique australe. Il est titulaire d’une licence obtenue avec mention à l’Université de Cape Town. Ses travaux ont été publiés sur Al Jazeera, News24, Nehanda Radio, Newsday et New Zimbabwe. Vous pouvez le suivre sur Twitter @tafimhaka
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Traduit de l’anglais (original).
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