Sur le tournage du prochain film de Philippe Faucon sur la guerre d’Algérie
Né en 1958 à Oujda, Philippe Faucon vit ses toutes premières années dans cette ville du nord-est du Maroc où son père, militaire, est alors en poste. Sa mère, quant à elle, est Algérienne.
C’est d’ailleurs à Alger que la famille s’installe durant les derniers mois de la guerre d’Algérie. Ils quittent le pays pour retrouver la France en 1962, soit au moment où celle-ci perd la guerre et où l’Algérie reconquiert son indépendance.
Devenu réalisateur, Philippe Faucon s’intéresse de prime abord aux questions de la jeunesse et de l’amour dans la France des années 1990.
Assez vite, il oriente son regard vers les communautés maghrébines du pays : Samia (2000), Dans la vie (2008), La Désintégration (2011) ou encore Fatima (2015).
D’autres personnages d’origine africaine et/ou maghrébine – le plus souvent issus de son Algérie natale – parsèment son œuvre qui interroge constamment, avec finesse et pudeur, et tout en contournant habilement tout manichéisme et autres clichés, la place de ces communautés dans une France dont les politiques d’immigration et d’intégration font souvent débat.
Avec La Guerre, qu’il tourne actuellement au Maroc, Faucon s’extrait de l’Hexagone et évoque les trente derniers mois de la guerre d’Algérie via le parcours d’une « harka » (formation de supplétifs algériens), recrutée par l’armée française puis démobilisée et abandonnée sur place après le cessez-le-feu.
Faucon s’intéresse ainsi aux harkis, considérés comme des traîtres pour certains et des « soldats au service de la France » pour d’autres.
La Trahison, un tournage difficile
Maintes fois retardé en raison notamment de l’épidémie de COVID-19, La Guerre, qui pourrait peut-être retrouver, lors de sa sortie en salles dans le courant de l’année prochaine, son titre initial Les Harkis, est coproduit par Istiqlal Films (France) et Les Films du fleuve (Belgique). La production exécutive est assurée par Mont Fleuri Production (Maroc).
Au casting du film figurent entre autres Théo Cholbi, Pierre Lottin (vu aussi dans Qu’un sang impur… d’Abdel Raouf Dafri, qui traite également de la guerre d’Algérie) ainsi que, comme cela est souvent le cas chez Faucon, de nombreux non-professionnels maghrébins ou d’origine maghrébine.
Ce n’est cependant pas la première fois que Philippe Faucon s’intéresse de près à la guerre d’Algérie.
En 2005, La Trahison retrace en effet quelques jours de la vie d’un sous-lieutenant durant la même période de débâcle que celle évoquée dans La Guerre.
Le titre du film évoque notamment le piège dans lequel ont pu se retrouver les Français musulmans d’Algérie (FMA), dont l’identité et les idéologies se sont retrouvées mises à mal par ce conflit du fait qu’ils ont pu être considérés d’une manière ou d’une autre comme des traîtres, soit à l’égard de leurs origines s’ils choisissaient de rester dans le camp de la France, soit à l’égard de la France s’ils optaient pour la cause indépendantiste.
Contrairement à La Guerre, que Faucon tourne au Maroc pour des raisons de sécurité et de commodité, La Trahison a été réellement tourné en Algérie, non loin des villes de Bou Saâda et d’El Hamel, dans le nord du pays.
Le tournage s’est déroulé sous protection policière et dans des conditions techniques et météorologiques particulièrement difficiles, qui ont contraint le cinéaste à revoir constamment son scénario et son plan de tournage.
Pour La Guerre, le Maroc figure l’Algérie à travers des décors et paysages de Casablanca ou encore des environs de Marrakech. C’est d’ailleurs dans un petit village du désert rocailleux d’Agafay, situé à une trentaine de kilomètres de la ville ocre, que je me suis rendu pour assister à une journée de tournage.
Initialement, j’avais répondu à une annonce de casting pour jouer un soldat français. Je correspondais à tous les critères : profil caucasien, âge compris entre 18 et 50 ans, cheveux courts, rasage de près… Mais au final, on me confia le rôle d’un journaliste.
Sur place, plusieurs éléments servent d’indices quant à la reconstitution minutieuse opérée par la direction artistique du film : véhicules civils et militaires, vêtements, uniformes, armes et autres accessoires typiques des années 1950 et 60… Des affiches ainsi que des panneaux de manifestation évoquent la politique de propagande française de l’époque pour maintenir l’Algérie sous son joug : « La France veut ton bonheur », « Vive l’Algérie française »…
Par l’intermédiaire de la première assistante réalisatrice de Faucon, je me vois offrir la possibilité de m’extraire de mon groupe et de m’installer discrètement sur le plateau afin de pouvoir observer de près le cinéaste au travail.
L’admiration sans borne que je voue à ses films ainsi que mon modeste travail à leur sujet (je suis notamment l’un des auteurs d’un ouvrage collectif sur le cinéma de Faucon publié en 2019 par la revue Éclipses) sont les raisons de cette faveur qu’on m’octroie.
Un film empli d’humanité
La journée est consacrée au tournage d’une scène de remise d’armes aux harkis.
Des militaires français haut gradés prononcent un discours patriotique les invitant à servir le drapeau national puis leur confient à chacun un fusil. L’un des comédiens français peine à retenir son texte et à l’énoncer sans erreur ni hésitation, si bien que les prises abondent. Le soleil tape fort, mais l’ambiance reste décontractée.
En dépit de son sujet douloureux, il sera visiblement typique de l’art de Faucon : un film de portraits, sans violence, pudique et empli d’humanité
Fidèle à sa réputation de directeur d’acteurs bienveillant et attentif, Faucon, toujours souriant, entame chacune de ses remarques par des mots positifs : « Le début était bien », « Tu as parfaitement démarré », etc.
Une seule caméra est employée durant le tournage de cette scène, et les mouvements d’appareil sont inexistants, ce qui entre en cohérence avec la mise en scène des précédents films de Faucon, qui relève souvent de plans fixes et d’un montage assez minimaliste.
Lorsqu’une prise est réussie, l’équipe déplace et oriente la caméra de sorte à rejouer la même scène sous un autre angle.
En parallèle, je fais la connaissance de certains de mes sympathiques collègues figurants, dont certains s’avèrent très chevronnés en la matière. Mon tour arrive en fin de journée. Un autre figurant et moi jouons deux journalistes qui prennent des notes tandis que le comédien jouant le haut gradé récite à nouveau son texte depuis le hors-champ.
Je propose à Faucon que nos personnages de journalistes regardent attentivement le militaire tandis qu’il parle en français, puis prennent des notes sur leurs calepins au moment où l’interprète algérien prend le relais pour traduire le discours en arabe dialectal. Faucon trouve l’idée très bonne, ce qui ne me rend pas peu fier.
À n’en point douter, et en dépit de son sujet douloureux, il sera visiblement typique de l’art de Faucon : un film de portraits, sans violence, pudique et empli d’humanité.
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