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Après l’accord sur le nucléaire, les États-Unis et l’Iran font face à un ennemi commun : Daech

L’Iran et les États-Unis partagent l’intérêt commun de renforcer l’autorité de l’État irakien et de miser sur la Syrie pour vaincre Daech

C’est une coïncidence très utile que l’accord historique sur le nucléaire ait été conclu le jour même où l’armée irakienne a lancé une offensive pour reprendre Falloujah à Daech, en utilisant des milices chiites soutenues par l’Iran. Rien ne pourrait mieux illustrer la convergence d’intérêts potentielle entre les États-Unis et l’Iran étant donné que les États-Unis soutiennent également l’offensive militaire irakienne.

Bien sûr il ne peut y avoir d’alignement stratégique à long terme entre Washington et Téhéran au sujet de la politique régionale. La République islamique a depuis longtemps déclaré qu’elle pense que les États-Unis devraient retirer leurs bases et moyens militaires du golfe Persique et abandonner leurs positions impériales à cet endroit - une position qui met l’Iran en porte à faux vis à vis des monarchies arabes qui perçoivent la présence des États-Unis comme un rempart contre le pouvoir iranien, mais aussi comme un protecteur contre la dissidence interne.

De la même manière, les États-Unis vont continuer de percevoir l’Iran comme une puissance déstabilisatrice précisément parce qu’elle refuse de reconnaître l’hégémonie régionale des États-Unis et insiste pour armer et soutenir les antagonistes locaux d’Israël les plus menaçants et efficaces, le Hezbollah.

Mais sur le court terme, les État-Unis et l’Iran peuvent sortir de leur parallélisme silencieux sur plusieurs de leurs politiques et amorcer un réel dialogue et une coordination pratique, maintenant qu’un accord a été trouvé sur la question du nucléaire. La première question est la lutte contre Daech. Celui-ci représente une plus grande menace pour l’Iran que pour les États-Unis, et il est logique pour Washington et Téhéran de travailler ensemble contre lui.

Les deux états ont également intérêt à renforcer le gouvernement de Bagdad et à essayer de reconstruire l’autorité de l’état irakien. Même s’ils se disputent tous les deux l’influence sur ce gouvernement, leur rivalité n’a plus de valeur s’il n’y a pas d’administration fonctionnelle à Bagdad à se disputer. Une des nombreuses défaites politiques qu’a subit les États-Unis en conséquence de l’invasion illégale de 2003 et du renversement de Saddam Hussein, a été l’émergence (prévue) d’un gouvernement dirigé par les chiites à Bagdad, qui était voué à avoir des relations étroites avec l’Iran.

L’Iran et les États-Unis sont tous les deux conscients du fait que le gouvernement de Bagdad d’Haïder al-Abadi ne peut affirmer son autorité que s’il obtient l’allégeance du leadership politique sunnite irakien. Ce qui n’est pas chose facile. A Téhéran, les analystes débattent pour savoir jusqu’où l’Iran devrait aller pour aider militairement Bagdad. Les analystes savent que les sunnites irakiens sont très suspicieux au sujet de l’Iran et que l’iranophobie est un des outils principaux dans l’armurerie des dirigeants sunnites locaux ainsi que Daech. L’Iran doit donc faire attention à ne pas jouer un rôle trop important en Irak.

Nouri al-Maliki, l’ancien Premier ministre irakien, a aliéné les politiciens sunnites après qu’ils aient joué un rôle clé dans la mobilisation des milices locales pour vaincre al-Qaïda entre 2005 et 2007. Il a rompu sa promesse de les intégrer au sein de l’armée irakienne. Nouri al-Maliki était plus proche de Téhéran qu’Haïder al-Abadi et il était inévitable que certains sunnites blâment Téhéran pour les erreurs de Nouri al-Maliki.

Un autre grief légitime des sunnites porte sur les milices chiites, les Hachd al-Chaabi, qui ont été activées par le grand ayatollah d’Irak Ali Sistani, après que Daech ait capturé Mossoul et Tikrit l’année dernière. Elles ont commis de graves atrocités contre les civils sunnites après que Daech ait été repoussé de Tikrit ainsi que d’autres villes irakiennes un peu plus tôt cette année. Là encore, il est facile de revendiquer que l’Iran est aussi responsable étant donné qu’il possède des conseillers militaires provenant de son Corps des Gardiens de la révolution en Irak.

Il est vital que les dirigeants iraniens condamnent publiquement de telles atrocités et qu’ils utilisent toute l’influence dont ils disposent pour restreindre ceux qui chercheraient leur vengeance dans les milices irakiennes. L’armée irakienne dépend fortement du soutient des Hachd al-Chaabi dans la bataille actuelle pour Falloujah, le danger que d’autres atrocités soient commises est donc important.

Les États-Unis ont également une grande responsabilité. Ils disposent de 3 000 troupes en Irak conseillant et formant l’armée irakienne. La piètre performance de l’armée lors de la perte de Ramadi cette année, après des mois de formation américaine, en dit long sur l’échec américain. Cela suggère également que les frappes aériennes américaines ont une valeur limitée dans la lutte contre Daech. Elles ont tendance à saper la préparation à la bataille des troupes irakiennes en leur laissant penser que la force aérienne américaine viendra toujours les sauver.

Il existe là un problème conjoint pour les États-Unis et l’Iran. Les recruteurs de Daech gagnent leur soutien en déclarant aux nouveaux combattants potentiels qu’ils se battent pour protéger le califat  des forces d’intervention occidentales et shiites. La seule solution est que le gouvernement de Bagdad fasse le nécessaire pour intégrer les sunnites au sein de l’administration ainsi que dans le haut commandement de l’armée.

Ils doivent également tirer des leçons de 2005-2007 et commencer à armer les milices sunnites pour lutter contre Daech. Au final, ni l’Iran ni les États-Unis ne peuvent sauver le gouvernement de Bagdad. Il doit se sauver lui-même. Mais entre temps, plutôt que de s’accuser mutuellement de déstabiliser l’Irak, les États-Unis et l’Iran doivent coordonner leurs politiques pour renforcer Haïder al-Abadi.

Il existe également une convergence des intérêts iraniens et américains en Syrie, même si elle est moins complète qu’en Irak. Washington et Téhéran sont opposés à Daech mais leur position diffère au sujet du futur de Bachar al Assad. En insistant sur le départ de celui-ci, les États-Unis se placent dans une alliance tacite avec Daech.

Ils en font de même en n’arrivant pas à restreindre le financement de Daech par des sources au Qatar et en Arabie saoudite, et en ne poussant pas la Turquie à être plus ferme sur la fermeture de sa frontière avec la Syrie pour empêcher les militants de Daech à entrer et sortir. La position de l’Iran au sujet de Bachar al Assad est plus souple. Il encourage une solution de compromis politique sur la base du document de Genève de juin 2012 mais avec un changement : que Bachar al Assad et ses représentants ne soient pas exclus d’un gouvernement d’unité nationale.

Il est temps pour Washington de mettre un terme à ses objectifs contradictoires en Syrie et de reconnaître que vaincre Bachar al Assad et vaincre Daech ne sont pas compatibles ou réalisables simultanément. Le choix doit se faire selon le moindre des maux. Cela serait une calamité pour les Syriens et pour la région si Daech venait à prendre le pouvoir à Damas. Comme c’est le cas en Irak où seuls les Irakiens peuvent vaincre Daech, les seules forces sur le terrain pouvant vaincre Daech en Syrie sont les Syriens. Il doit y avoir une coordination entre l’armée et les forces aériennes du gouvernement syrien, les Kurdes syriens (YPG) qui ont fait preuve d’une grande résistance contre Daech dans le nord-est syrien au cours des derniers mois, et les groupes armées soutenus par l’Occident. Il n’en reste plus beaucoup au sein de ce dernier groupe, étant donné que de nombreux d’entre eux ont rejoint Daech ou le groupe en lien avec al-Qaïda, Jabhat al-Nosra. Le programme occidental, crié sur tous les toits, qui avait pour objectif de former 5 400 combattants modérés contre Daech dispose de seulement soixante rebelles dans ses registres, a révélé la semaine dernière Ash Carter, le secrétaire à la Défense américaine.

Néanmoins, maintenant que l’Iran et les États-Unis ont résolu leur dispute nucléaire, il faut désormais lancer un grand marchandage au sujet de la Syrie. Les États-Unis doivent travailler avec l’Iran pour soutenir l’effort des Nations Unies consistant à raviver le processus de Genève. L’Iran peut travailler avec la Russie pour utiliser l’avantage dont ils disposent en tant que fournisseur d’armes principal de Bachar al Assad. Ils devraient l’encourager à être plus souple pour atteindre un compromis politique avec l’opposition pendant que les États-Unis encouragent les combattants de l’opposition à travailler avec, plutôt que contre Bachar al Assad. De cette manière les États-Unis et l’Iran pourraient faire front commun en Syrie contre Daech. Si cela signifie que Bachar al Assad reste au pouvoir, avec une partie de sa légitimité passée, qu’il en soit ainsi. L’intransigeance de Bachar al Assad au cours des premiers jours de la protestation syrienne alors qu’elle était encore en grande partie pacifique a joué un grand rôle dans la descente aux enfers de son pays. En encourageant la Turquie et ses alliés arabes du Golfe à envoyer des armes et à encourager une guerre civile en Syrie, la politique occidentale a permis à Daech de se développer. Le temps est venu pour Washington de respirer profondément et de reconnaître ces erreurs.

La Syrie est peut être désormais un pays si fragmenté, avec des seigneurs de guerre dans chaque village, qu’un accord de cessez le feu général ne sera jamais atteint. Mais un cessez le feu entre l’armée du gouvernement et les rebelles armés dépendant de l’Occident, de la Turquie et des arabes du Golfe a peut être une chance de tenir - à une condition : que l’Iran et les États-Unis travaillent ensemble et le soumettent à leur amis syriens.   

Jonathan Steele est l’auteur de Defeat: Why They Lost Iraq (I.B.Tauris)

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : des combattants de la brigade irakienne de l’Imam Ali prennent part à un exercice de formation dans la ville centrale irakienne de Najaf le 7 mars 2015 (AFP)

Traduction de l'anglais (original) par Oriane Divoux.

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