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Pour l’Arabie saoudite, 2021 promet d’être une autre année sombre

La réputation vacillante de MBS, la réduction du pouvoir d’achat et le blocage des réformes continueront de préoccuper le prince héritier saoudien dans les mois à venir
Le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane à Riyad en 2018 (AFP)

L’année 2020 n’a pas été facile pour l’Arabie saoudite. Elle se termine sur une mauvaise note, la plupart des promesses faites par le prince héritier Mohammed ben Salmane (MBS) ayant soit achoppé sur des difficultés, soit été tout bonnement remises à plus tard.

Les causes ne sont pas entièrement liées à la pandémie de COVID-19 qui a ravagé les démocraties et les économies les plus résilientes du monde, et davantage encore des pays fragiles et dépendants du pétrole comme l’Arabie saoudite.

Un sentiment de sécurité illusoire prévaudra à Riyad grâce à une plus grande coopération avec Israël et peut-être à une normalisation diplomatique entre les deux pays

La promesse de mettre fin à la dépendance du royaume à l’égard du pétrole à l’aide de projets de diversification rigoureux n’a pas été tenue. Alors que les prix du pétrole continuent de chuter, les dirigeants saoudiens n’ont d’autre alternative que de continuer à puiser dans les réserves souveraines du royaume et emprunter sur les marchés monétaires internationaux.

Pour autant, ni les investissements étrangers ni les fonds locaux ne peuvent couvrir les coûts des nouveaux projets de développement prévus par le prince. Indépendamment de la faible demande de pétrole pendant la pandémie, MBS n’a pas encore compris toutes les implications d’un marché en mutation dans lequel le pétrole saoudien n’est plus la principale source d’énergie – un avenir différent, sans combustion ni pollution.

L’Arabie saoudite n’a pas réussi à atteindre le niveau de diversification capable de réduire de moitié sa dépendance au pétrole. Au cours des prochaines années, le royaume pourrait devenir insignifiant en tant que source d’énergie à mesure que de plus en plus de pays industrialisés passeront à des sources d’énergie propres.

Les problèmes du prince héritier ne se limitent pas à la diminution des revenus pétroliers et son incapacité à lancer les programmes de diversification promis dans le cadre de Vision 2030. En 2021, MBS sera également hanté par un manque de consensus concernant son leadership si son père, le roi Salmane, vient à décéder.

À court terme, la campagne de détention qu’il a lancée contre ses proches s’intensifiera probablement, touchant un cercle plus large de princes marginalisés et mécontents, en particulier les plus riches. Pour les empêcher de protester contre son règne, MBS se verra obligé de puiser dans leurs richesses ou de les maintenir en résidence surveillée, comme il l’a fait ces dernières années.

Une baisse de loyauté populaire

L’éloignement imprévu de l’économie mondiale vis-à-vis du pétrole limitera la capacité de l’Arabie saoudite à conserver la loyauté de ses citoyens dans la mesure où elle ne sera plus en mesure de fournir les services de base auxquels ils ont été habitués.

Les taxes imposées récemment à la population, comme la TVA, marquent le début d’une relation État-société troublée, dans laquelle il est attendu des citoyens, par ailleurs privés de leurs droits civiques, notamment celui de vote, de financer un trésor public opaque – et dont une portion inconnue disparaît fréquemment dans les poches d’une poignée de princes.

Les portraits du roi saoudien Salmane ben Abdelaziz al-Saoud et de son fils, le prince héritier Mohammed ben Salmane, sont affichés à Riyad le 18 novembre (AFP)
Les portraits du roi saoudien Salmane ben Abdelaziz al-Saoud et de son fils, le prince héritier Mohammed ben Salmane, sont affichés à Riyad le 18 novembre (AFP)

Sans représentation politique et en l’absence de transparence, les Saoudiens pourraient commencer à se poser des questions sur la façon dont leurs impôts sont dépensés et insister pour avoir leur mot à dire sur la manière dont ils sont distribués. Étant donné que de nombreux Saoudiens sont employés dans le secteur public, il faudra un pourcentage substantiel du budget pour combler l’écart entre revenus et dépenses.

Le régime ne montre aucune volonté de faire participer les Saoudiens au processus décisionnel. Dès lors, beaucoup se sentiront encore plus marginalisés et privés de leurs droits. Ce n’est qu’une question de temps avant qu’ils ne commencent à se poser de sérieuses questions sur leur avenir dans une monarchie absolue qui a résisté à tous les appels à la réforme de son système politique.

Le monde arabe bénéficiera d’une diminution des ressources monétaires saoudiennes, dans la mesure où celles-ci ont soutenu de nombreux dictateurs dans la région

Cela dit, pour le monde arabe, une diminution des revenus pétroliers saoudiens n’est peut-être pas une mauvaise chose, car l’Arabie saoudite aura moins de fonds à sa disposition pour promouvoir des politiques réactionnaires telles que celles qui ont fait dérailler les soulèvements arabes de 2011, lorsque les dirigeants saoudiens ont déversé des milliers de dollars pour réprimer la vague de démocratisation.

Soutenir les régimes militaires et autoritaires de la région, de l’Égypte à Bahreïn, ne sera peut-être plus possible pour Riyad avec une bourse moins bien remplie. Sans des fonds substantiels pour couvrir ses erreurs, la poursuite des aventures militaires du royaume au Yémen deviendra plus dangereuse, plus nuisible.

Le facteur Biden

Alors que de nombreux travailleurs immigrés arabes, asiatiques et africains seront touchés par la capacité moindre de l’Arabie saoudite à importer de la main-d’œuvre étrangère, beaucoup dans la région en profiteront à long terme, car la monarchie absolue trébuchera dans ses tentatives d’interférence diplomatique – par le biais de subsides – ou militaire dans les affaires d’autres pays. Le monde arabe bénéficiera d’une diminution des ressources monétaires saoudiennes, dans la mesure où celles-ci ont soutenu de nombreux dictateurs dans la région.

Depuis l’élection de Joe Biden aux États-Unis, le régime saoudien a perdu le soutien inconditionnel du président sortant, Donald Trump. Ce dernier a fait tout ce qui était en son pouvoir pour soustraire l’Arabie saoudite à la justice internationale après le meurtre du journaliste Jamal Khashoggi ; il n’a émis aucune critique vis-à-vis du bilan du royaume en matière de droits de l’homme et il n’a jamais tenté de mettre fin à l’assaut saoudien contre le Yémen, qui dure depuis plus de cinq ans.

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En 2021, l’Arabie saoudite fera face à une nouvelle administration américaine dont les principaux membres ont déjà fait assez de bruit pour inquiéter le prince héritier. Ben Salmane a toutes les raisons de craindre non seulement que les États-Unis cessent de protéger son emprise sur le trône, mais aussi qu’ils retournent aux négociations avec son ennemi juré, l’Iran.

Le prince héritier se laissera entraîner de plus en plus dans les bras d’Israël pour obtenir un faux sentiment de sécurité, fondé sur des transferts secrets de renseignements et de technologie militaire à Riyad, des frappes ad hoc contre l’Iran et divers programmes clandestins de coopération. Un sentiment de sécurité illusoire prévaudra à Riyad grâce à une plus grande coopération avec Israël et peut-être à une normalisation diplomatique entre les deux pays. Mais la véritable sécurité demeurera insaisissable.

Les pires jours à venir

Dans l’ensemble, 2020 a été une mauvaise année pour l’ambitieux prince héritier. Sa réputation a vacillé dans le monde entier, son pouvoir d’achat a diminué et ses rêves d’ouvrir l’Arabie saoudite au monde par la finance et le tourisme sont en suspens.

La pandémie n’a fait qu’exagérer une tendance qui était déjà visible. Le COVID-19 ne peut être considéré comme la seule cause de l’anxiété de ben Salmane en ce moment. Les sources de ses problèmes continueront d’exister en 2021 et pourraient même s’aggraver.

Madawi al-Rasheed est professeure invitée à l’Institut du Moyen-Orient de la London School of Economics. Elle a beaucoup écrit sur la péninsule arabique, les migrations arabes, la mondialisation, le transnationalisme religieux et les questions de genre. Vous pouvez la suivre sur Twitter : @MadawiDr

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original). 

Madawi al-Rasheed is visiting professor at the Middle East Institute of the London School of Economics. She has written extensively on the Arabian Peninsula, Arab migration, globalisation, religious transnationalism and gender issues. You can follow her on Twitter: @MadawiDr
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