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Assad pourrait prendre Alep, mais ferait face à une guerre contre les vainqueurs

Le régime syrien s’appuie sur un large éventail de milices dont les forces ont été une bénédiction, mais s’avéreront bientôt être un obstacle à l’emprise d’Assad

Les forces du président Bachar al-Assad consolident davantage leur présence dans la ville d’Alep déchirée par la guerre, où la zone occupée par une opposition assiégée rétrécit de jour en jour.

Alors que la bataille d’Alep semble renforcer la position d’Assad en tant que leader de la Syrie, la complexité et la diversité exceptionnelles des forces qui y combattent soulignent la décentralisation fragile du régime due aux pénuries d’hommes et à la militarisation grandissante du système.

Dans une récente interview accordée à l’agence de presse AP, Assad a déclaré qu’il ne s’arrêterait pas tant qu’il n’aura pas repris le contrôle de l’ensemble de la Syrie. Si Assad prenait Alep, il aurait techniquement la main sur les trois plus grandes villes de Syrie –Damas, Homs et Alep – et rétablirait ainsi son autorité.

Pourtant, le statut hégémonique d’Assad a été érodé par des pénuries d’hommes et l’influence croissante d’un large éventail de milices dont les allégeances sortent souvent de sa sphère de contrôle direct.

Un déficit de combattants indigènes

En 2013, l’armée syrienne avait perdu la moitié de ses forces, passant de 220 000 avant la guerre à environ 110 000, selon les estimations de l’Institut international pour les études stratégiques.

En octobre dernier, plus de 70 000 hommes avaient échappé à leur service militaire obligatoire dans les provinces contrôlées par le régime, a rapporté Now Lebanon. Il a réagi en adoptant une approche à deux volets, en arrêtant des jeunes ou en imposant une conscription obligatoire pour les employés de l’État, les enseignants et les prisonniers.

Pour compenser l’hémorragie, le régime d’Assad est devenu en grande partie tributaire des milices, qu’elles soient provinciales, religieuses, liées à des organes politiques ou militaires, soutenues par des hommes d’affaires ou par des puissances étrangères.

Selon Aron Lund, expert de la Syrie, les Forces de défense nationale (FDN), le plus grand réseau de milices en Syrie, ont été créées par le biais du changement d’image et de la restructuration des Comités populaires locaux et semblent agir avec une autonomie considérable.

Le chercheur Aymen Jawad Tamimi a identifié d’autres milices qui existent aux côtés des FDN. Certaines milices ont une base religieuse, comme par exemple les milices chiites locales qui, selon Tamimi, sont liées au Hezbollah. Celles-ci comprennent Quwat al-Ridha ou Liwa al-Imam al-Mahdi.

Certaines, comme Liwa al-Sayyida Ruqayya et Liwa Sayf al-Mahdi, sont liées à la quatrième division blindée d’élite de l’armée syrienne. Il y a aussi des milices chrétiennes telles que Quwat al-Ghadab et Sutoro.

Ensuite, il y a des milices affiliées à des hommes d’affaires tels que le cousin d’Assad, Rami Makhlouf, et à l’œuvre caritative qu’il détient et gère, l’association al-Bustan, à savoir Kataïb al-Jabalawi, Deraa Alwatan et les Léopards de Homs.

Tamimi a par la suite énuméré plusieurs milices affiliées à des partis politiques et à des services de renseignement telles que les Lions du chef éternel, Fawj Maghawir al-Badiya, Quwat Dir’ al-Amn al-Askari, mais aussi certaines milices reliées aux services de sécurité militaire, notamment les Lions de l’Euphrate (Amn Dawla) et les Forces du Tigre (renseignement aérien), et, pour finir, les Brigades du Baas.

« Ces milices opèrent dans une large mesure au sein de la structure du gouvernement, du conseil provincial ou de l’armée », explique Maen Tolla, chercheur au think tank Omran Dirasat, basé en Turquie.

Les combattants étrangers à la rescousse

D’après un article de l’AFP, environ 7 000 Gardiens de la révolution iraniens sont déployés en Syrie, tandis qu’un groupe de 3 000 volontaires irakiens de Liwa Abou al-Fadl al-Abbas défendent actuellement le site sacré chiite de Sayyida Zeinab, au sud de Damas.

3 000 « Fatimides » afghans combattent également dans la province de Deraa, dans le sud, et 7 000 combattants du Hezbollah ont joué un rôle déterminant à Qousseir, dans le Qalamoun et maintenant à Alep, selon des sources au sein du parti.

Par ailleurs, le mois dernier, environ 1 000 combattants de la milice chiite irakienne Harakat al-Nujaba ont été envoyés à Alep. Un autre parti étranger, le Parti social-nationaliste syrien (PSNS) libanais, est impliqué en Syrie à travers sa branche armée, Noussour al-Zaoubaa (Aigles de la tempête), qui assure la sécurité dans plusieurs villes syriennes, notamment Homs, Lattaquié et Wadi al-Nasara, d’après Tamimi.

La dépendance croissante du régime vis-à-vis des milices locales et étrangères édifie lentement la possibilité d’un effondrement complet de l’ordre, dans la mesure où les milices ont des soutiens concurrents ou des programmes localisés différents. Ce phénomène est plus spécifique aux groupes militants créés ou financés par de riches mécènes ou des acteurs étrangers.

Le cas de Kataïb al-Jabalawi, une milice chiite qui nourrit une hostilité vis-à-vis de l’armée syrienne et de l’ensemble des bataillons et milices qui lui sont fidèles, dont le Hezbollah, illustre cette rivalité, selon les rapports de Tamimi.

Des sources syriennes ont également signalé des affrontements entre des milices loyalistes, comme les Faucons du désert et les Forces du Tigre affiliées au service de renseignement des forces aériennes, en raison d’intérêts économiques divergents et de la question du contrôle territorial. Des incidents similaires ont eu lieu entre les FDN et d’autres forces militantes dans le Qalamoun et entre le Hezbollah et l’armée syrienne à Alep.

Selon des témoignages de rebelles, la méfiance prévaut entre les factions pro-régime, qui préfèrent gérer chaque quitaa (division militaire) indépendamment les unes des autres. Un enregistrement divulgué d’un combattant du Hezbollah à Alep accusant les alliés du groupe d’avoir fui la bataille en est un parfait exemple.

Une victoire à la Pyrrhus ?

Assad pourrait rester pour le moment l’arbitre de plusieurs de ces milices. « Il a le pouvoir de tendre la main et de punir si nécessaire », explique Jihad Makdissi, qui a officié en tant que porte-parole du régime avant sa défection en 2012.

Cependant, Assad sera de plus en plus contraint à faire des compromis avec les commandants de milices dont les pouvoirs ont récemment été renforcés s’il souhaite conserver leur soutien. Les commandants de milices gagneront naturellement en autonomie, dans la mesure où le financement de l’État est en baisse et ces milices sont les plus à même de créer un système de taxes et d’extorsion dans les zones sous leur contrôle.

En outre, les milices affiliées à des soutiens étrangers comme le Hezbollah ou les Hashd al-Shaabi irakiennes pourraient s’avérer plus fidèles à leurs mécènes internationaux. La militarisation de ce système s’est traduite sur la scène politique, où des partis font pression pour gagner une plus grande influence. Par exemple, Liwa al-Baqir et le PSNS ont pu obtenir des sièges lors des dernières élections parlementaires, souligne Tamimi.

Les gains d’Assad à Alep, qui pourraient lui accorder la crédibilité qu’il cherche, sont cependant également susceptibles de représenter une nouvelle victoire à la Pyrrhus alors qu’il pourrait désormais avoir à composer avec de nombreux alliés et des lieutenants puissants.

- Mona Alami est une chercheuse et journaliste qui couvre la politique au Levant. Chercheuse non résidente à l’Atlantic Council, elle se focalise principalement sur les organisations radicales. Elle est titulaire d’une licence et d’une maîtrise en management.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : un combattant pro-régime syrien marche dans une rue bombardée à Ramoussa, le 9 septembre 2016, un jour après que des camarades combattants ont pris le contrôle du quartier stratégique situé à la périphérie de la ville syrienne d’Alep (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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