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Attentat à la bombe d’Istanbul : pourquoi le PKK s’est tourné vers le terrorisme urbain

Le succès militaire de la répression draconienne d’Ankara sur les militants kurdes n’a laissé qu’une seule arme au PKK

Des jours après, le bilan de la double explosion d’une voiture piégée à l’extérieur du stade de football de Beşiktaş samedi pourrait encore s’alourdir. Au moment de la rédaction de cet article, il était de 44 victimes, dont 30 policiers. Environ 150 personnes sont hospitalisées, se remettant des blessures d’une explosion qui a été entendue dans une grande partie de cette ville de 15 millions d’habitants. « Nous avons pensé qu’il devait s’agir d’un tremblement de terre », m’a confié un habitant d’Istanbul.

« Nous avons pensé qu’il devait s’agir d’un tremblement de terre » – un Stambouliote après l’attentat à la bombe de samedi

Cet attentat à la bombe constitue sans aucun doute un tremblement de terre en termes d’impact politique et social. Les ministres se sont précipités sur les lieux en quelques heures et ont tenu une réunion d’urgence sur les mesures de lutte contre le terrorisme. Le président Recep Tayyip Erdoğan, lui-même originaire de la ville et son ancien maire, s’est rendu sur le site des attentats à la bombe, a rendu visite aux victimes à l’hôpital et a promis des représailles contre les terroristes dans des termes exceptionnellement forts.

Des dizaines de milliers de personnes ont défilé, plusieurs d’entre elles enveloppées du drapeau turc, dans des manifestations de colère contre ces tueries. De grands chanteurs pop ont visité les commissariats pour exprimer leur compassion envers les victimes. Les dirigeants du monde entier ont envoyé leurs condoléances, tandis que certains matchs de football dans d’autres pays ont pris part au deuil, bien que certains journaux pro-gouvernementaux aient, comme après les précédents attentats terroristesaccusé le monde occidental de ne pas témoigner la sympathie voulue et même de capitaliser sur les atrocités terroristes pour exercer des pressions politiques sur Ankara.

Le président turc Recep Tayyip Erdoğan rend visite à un agent de police blessé à l’hôpital Bezmialem à Istanbul le 11 décembre 2016 (AFP/Service de presse de la présidence turque)

Dès le début, il était évident que ces explosions étaient le fait d’un groupe militant kurde, portant les traits distinctifs du TAK, les Faucons de la liberté du Kurdistan, un groupe terroriste radical issu du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) et spécialisé dans le terrorisme urbain. Le lendemain, le TAK avait revendiqué sur son site Web sa huitième attaque de l’année écoulée. Ses attaques les plus meurtrières avant celle-ci se sont produites à Ankara en février et en mars l’année dernière, tuant au total 66 personnes.

Les meurtres de TAK font partie d’un tableau plus large de violences croissantes dans le pays. L’agence de presse turque Diken indique que 446 personnes ont été tuées en Turquie, dont 363 civils, dans 33 attentats terroristes au cours des 18 derniers mois.

La répression ne s’arrête pas au PKK

Les autorités ont réagi aux morts du samedi avec une répression qui ne s’arrête pas au PKK lui-même. Au départ, treize personnes ont été arrêtées en l’espace de quelques heures. Depuis lors, 235 arrestations supplémentaires s’en sont suivies, beaucoup concernaient des personnes accusées de « terrorisme sur les réseaux sociaux » – sympathie pour le militantisme kurde. Parmi elles figuraient celle d’un spécialiste des réseaux sociaux du Parti républicain du peuple (CHP, parti d’opposition), qui a publié un tweet disant que les attentats à la bombe pourraient être l’œuvre des services secrets turcs.

Grâce aux attaques absolument intransigeantes des autorités turques contre toutes les sortes de nationalistes, militants ou autres kurdes, le HDP a été handicapé en tant que mouvement politique

Comme pour les récentes purges des Gülenistes, il semble que la plupart des personnes détenues soient des personnes soupçonnées d’avoir de possibles sympathies pour le PKK plutôt que d’avoir participé directement à l’attaque.

La police a lancé un appel aux citoyens pour qu’ils signalent les comptes sur les réseaux sociaux qui montrent des liens possibles avec le terrorisme. La campagne contre les militants sur les réseaux sociaux en Turquie n’est pas nouvelle : environ 1 213 activistes ont été arrêtés depuis le 15 juillet.

Parmi les personnes arrêtées figuraient également 118 responsables du HDP (parti démocratique des peuples), le parti politique parlementaire qui, au cours du processus de paix 2013-2015, a agi comme intermédiaire entre le gouvernement et les militants kurdes et a tenté, en vain, de devenir un mouvement politique traditionnel en se distançant de la violence du PKK, mais pas assez pour certains.

Des policiers turcs retirent le logo de la municipalité de la façade de la mairie de Diyarbakır au début du mois (AFP)

Une douzaine de députés du HDP, y compris les deux dirigeants du parti, sont en prison depuis six semaines, dans l’attente de leur procès pour apologie du terrorisme dans leurs discours. Lundi, Selahattin Demirtaş, le politicien le plus connu du parti, a annoncé qu’il « [maudissait] le massacre impitoyable d’Istanbul… nous ne devons jamais cesser de défendre la paix ».

Les mots de Demirtaş reflètent la divergence tactique de longue date dans le mouvement kurde. Depuis plusieurs années, les Kurdes qui veulent une confrontation violente avec la Turquie se disputent avec ceux qui cherchent une voie pacifique.

Grâce aux attaques totalement intransigeantes des autorités turques contre tous les nationalistes, militants ou autres kurdes, le HDP a été handicapé en tant que mouvement politique et l’idée d’un accord négocié probablement enterré à jamais. Les municipalités avec des maires pro-kurdes élus se sont vu retirer leur municipalité, leurs maires généralement arrêtés et remplacés par des administrateurs nommés par le gouvernement.

Pression sur le PKK

La capacité opérationnelle de l’aile militante violente du PKK a également été brisée, grâce à une année de répression sans compromis et d’élimination des adversaires dans les villes du sud-est où l’activité du PKK était la plus forte, combinée aux frappes aériennes sur les camps du PKK en Irak.

Au prix d’immenses efforts, la Turquie a non seulement rasé le PKK sur le terrain, même dans des régions éloignées, elle contrôle également les airs

En résultat, ces deux derniers mois, le nombre de morts causés par le terrorisme du PKK, qui était en moyenne de deux décès de soldats et de policiers par jour au cours de l’été dernier et au début de l’automne, a montré pour la première fois des signes de chute brutale.

La baisse du nombre de victimes n’est probablement pas un phénomène temporaire. Au prix d’immenses efforts, la Turquie a non seulement rasé le PKK sur le terrain, même dans des régions éloignées, elle contrôle également les airs. La semaine dernière, la Turquie a lancé Göktürk I, son deuxième satellite de surveillance haute résolution. Celui-ci fournit des informations de haute qualité sur les mouvements que la Turquie devait auparavant demander auprès de ses alliés. Combinées à une préparation militaire intensive sur le terrain, cela peut porter un coup fatal à toute insurrection de grande envergure dans les provinces du sud-est.

La pression exercée sur les opérations sur le terrain du PKK dans l’est a probablement renforcé temporairement la mainmise des dirigeants ultra-bellicistes du PKK tels que Cemil Bayık qui favorisent la confrontation armée et la tactique de guérilla urbaine.

Photo datant d’octobre 2015 de Cemil Bayık, président du groupe des communautés du Kurdistan (KCK) et l’un des fondateurs du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) (AFP)

Les attaques occasionnelles de ce genre peuvent sembler constituer le seul instrument de vengeance du PKK. Si c’est le cas, c’est probablement une grave erreur de calcul. Quels que soit le prix à payer pour combattre le terrorisme urbain, la population de villes comme Ankara et Istanbul sont plus que disposées à le payer – et le gouvernement a promis que tous les coups étaient permis.

Un politicien a même affirmé que la Turquie avait perdu 250 000 vies à Gallipoli et serait donc prête à en sacrifier 25 000 dans la lutte contre le terrorisme.

Les Kurdes, eux aussi, peuvent être fâchés et vengeurs, mais beaucoup veulent sans doute une vie paisible plutôt qu’une lutte futile et vouée à l’échec, dont la violence spectaculaire les priverait probablement davantage du soutien international.

Il est peu probable que les militants radicaux du TAK entendent ces arguments. Pour eux, cette opération était une vengeance pour un camarade mort et ils ne se soucient peut-être pas de l’isolement national et international qu’elle suscite. Pendant ce temps, la ligne de front entre les autorités turques et les militants kurdes se dirige vers le sud vers les enclaves kurdes en Syrie.

- David Barchard a travaillé en Turquie comme journaliste, consultant et professeur d’université. Il écrit régulièrement sur la société, la politique et l’histoire turques, et termine actuellement un livre sur l’Empire ottoman au XIXe siècle.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : le ministre turc de l’Intérieur Süleyman Soylu, le Premier ministre turc Binali Yıldırım, le président turc Recep Tayyip Erdoğan, l’ancien président turc Abdullah Gül et le ministre turc des Affaires étrangères Mevlüt Çavuşoğlu assistent à une cérémonie funèbre pour les victimes des attentats terroristes d’Istanbul le 11 décembre 2016 (AFP/Service de presse de la présidence turque).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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