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Attiser la violence collective à Jérusalem est un acte désespéré

Mobiliser le public pour le combat menace de faire dégénérer le conflit en une guerre ethnique totale de style yougoslave

Les territoires palestiniens occupés sont à feu et à sang : des milliers de Palestiniens se soulèvent contre l’occupation israélienne, tandis qu’une série de violents attentats perpétrés par des Palestiniens isolés contre des civils israéliens ont semé la panique parmi le peuple israélien. Les efforts de l’armée israélienne et de la police pour réprimer la résistance par la force n’a fait qu’attiser la colère de la population palestinienne.

Au cours d’une conférence de presse le 8 octobre, le Premier ministre Benjamin Netanyahou et le ministre de la Défense Moshe Ya’alon n’ont pas fait grand-chose pour rassurer le public israélien. Ils se sont tous deux targués de pouvoir vaincre l’insurrection palestinienne par des moyens militaires : les démolitions de maisons, les arrestations, les tirs de snipers et les restrictions à la liberté de mouvement sont repartis pour un tour.

La police palestinienne s’en est même prise aux manifestants palestiniens pour aider les forces israéliennes à écraser l’insurrection, mais cela n’a pas empêché Netanyahou d’accuser le gouvernement palestinien d’« incitation à la violence ».    

Appel aux armes

Pour trouver un réel exemple d’incitation à la violence, il suffit de regarder le maire de Jérusalem, Nir Barkat, qui a appelé les civils israéliens à prendre eux-mêmes les armes. Bien évidemment, il faisait seulement référence aux civils juifs. Barkat exploite son image de héros suite à un incident survenu en février dernier, au cours duquel il neutralisa un agresseur palestinien. Le Palestinien avait poignardé un juif dans la rue, non loin de la mairie de Jérusalem. Le garde du corps de Barkat mit en joue l’agresseur et lui ordonna de jeter son couteau. Une fois que l’agresseur eut obtempéré, Barkat et son garde du corps le plaquèrent au sol et l’immobilisèrent jusqu’à l’arrivée de la police.

Après avoir lancé son appel, Barkat s’est montré dans le quartier palestinien de Beit Hanina armé d’un fusil d’assaut, donnant ainsi à l’un des quartiers qu’il supervise l’apparence d’un territoire ennemi.  

La société israélienne est déjà lourdement armée. En 2013, environ 160 000 permis de port d’arme ont été délivrés à des particuliers, et 130 000 à des organisations. Une étude a révélé que pendant la seconde Intifada, des civils étaient intervenus dans 70 % des attentats terroristes en Israël. Une loi de 2008, surnommée la « loi Dromi », a été passée par la Knesset après qu’un fermier juif, Shai Dromi, eut abattu deux cambrioleurs sur ses terres. Cette loi légitimait rétroactivement le droit des civils israéliens à aller jusqu’au meurtre pour protéger leurs biens. 

L’année dernière, le ministre israélien de la Sécurité publique, Yitzhak Aharonovitz, a déclaré qu’aucun terroriste ne devrait garder la vie sauve. Les officiers de police israéliens en ont déduit qu’il leur fallait se transformer en justiciers, abattant des suspects même après qu’ils se soient rendus ou aient été neutralisés.

Ce changement officieux des règles d’action de la police, associé aux appels lancés par certains hauts responsables qui justifient le fait que des civils israéliens s’improvisent vigiles ou policiers, entraîne une situation dangereuse. En une seule semaine, quatorze Palestiniens ont été tués par les forces de sécurité d’Israël au cours de manifestations et d’agressions. Pour la plupart, soit ils ne représentaient aucun danger, soit ils avaient déjà été neutralisés avant d’être abattus. 

La société israélienne paie un lourd tribut à la prévalence des armes à feu et au discours officiel qui estompe la distinction entre civils et combattants. La Knesset avait approuvé des limitations sur l’accès des vigiles à leurs armes à feu pendant leurs heures de repos, pour tenter de mettre un terme à une série de meurtres (en majorité de femmes) perpétrés avec des armes appartenant à des vigiles. Mais cette restriction fut de nouveau relâchée un an plus tard en réponse à des attentats terroristes.

La mobilisation du public pour combattre menace de faire dégénérer le conflit en une guerre ethnique totale de style yougoslave. Cela met le gouvernement israélien dans l’incapacité de contrôler les événements. Une fois qu’on a encouragé un tel déferlement de violence justicière collective, il n’est pas facile de faire machine arrière. Ainsi le 9 octobre, une meute d’Israéliens d’extrême-droite s’est lancée à « la chasse aux Arabes » dans les rues de Jérusalem dans le but de les rosser à mort. Ils ont ciblé les quartiers où des équipes de nettoyage composées de Palestiniens seraient susceptibles de travailler, de façon à pouvoir les agresser. Un de leurs stratagèmes consistait à demander l’heure aux passants, s’acharnant sur ceux qui répondraient avec un accent arabe. La police s’est montrée impuissante – ou simplement réticente – à faire face à la taille de la foule.

Les règles du jeu ont changé

Cette hystérie collective n’est pas nouvelle. L’armement en masse de la population et la mobilisation contre l’« ennemi » commun arabe font depuis longtemps partie du paysage. On les a exploités pour s’emparer de terres, gagner des guerres et construire un système politique stable (bien qu’inégal). Au temps de l’État providence, Israël offrait à ses citoyens un système de protection sociale remarquable et demandait en contrepartie un service militaire prolongé et une participation des civils à l’établissement de la sécurité.

Cet état de choses a changé progressivement, et le changement s’est avéré dramatique. L’économie d’Israël est néo-libérale et le filet de sécurité sociale a été en grande partie démantelé. La population esquive le service militaire : les statistiques établies par les autorités militaires montrent que moins de 50 % des jeunes Israéliens s'engagent dans l’armée, tandis que la majorité a recours à des subterfuges divers pour se soustraire au service. Comme en témoignent les faibles taux de conscription et de vote, de nombreux Israéliens ne se reconnaissent plus dans le « récit national », dans l’esprit de « lutte contre l’ennemi commun ». Ils sont politiquement silencieux et ont peur de s’exprimer de peur de se faire cataloguer comme traîtres.   

Bien que les politiciens israéliens s’assurent une popularité à court terme en encourageant la violence collective, de nos jours le bien-fondé de cette stratégie n’est plus le même qu’avant les années 90. Israël est aujourd’hui une économie globalisée, largement tributaire du tourisme, des exportations et importations, et de ses bonnes relations avec les États-Unis et l’Europe. À l’ère des médias de masse et du journalisme citoyen, des vidéos montrant le  lynchage de Palestiniens ne peuvent plus être censurées ou muselées, et elles influencent l’opinion publique mondiale vis-à-vis d’Israël.

Le fait de dépendre des milices sape aussi directement le monopole des organismes de sécurité israéliens. Quand des Palestiniens sont exécutés en plein rue avec l’approbation de l’élite politique, cela discrédite les institutions légales d’Israël qui apparaissent alors superflues. Quand toutes les caméras de sécurité de la vieille ville de Jérusalem ne suffisent pas à prévenir le prochain attentat, cela discrédite les exportations israéliennes dans le domaine de la sécurité. Quand le mur de séparation s’avère incapable d’empêcher des agresseurs d’atteindre leur cible, il se révèle être un outil de ségrégation plutôt qu’un dispositif de sécurité.

Que l’escalade de l’insurrection palestinienne et de la répression israélienne se poursuive ou non, cette confrontation montre les limites du pouvoir israélien. La possession d’armes de meilleure qualité et le pouvoir de tuer dont disposent les Israéliens ne suffisent plus à garantir la docilité et la soumission des Palestiniens, et Israël n’a que très peu de mécanismes susceptibles de gérer une insurrection populaire non-violente.

- Shir Hever est étudiant de troisième cycle à l’université libre de Berlin. Il est économiste à l’Alternative Information Centre.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : des colons israéliens armés patrouillent le secteur où un Palestinien aurait poignardé un colon israélien, à côté de la colonie israélienne de Kiryat Arba, près d’Hébron en Cisjordanie occupée, le 9 octobre 2015.  

Traduction de l’anglais (original) par Maït Foulkes.

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