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Bachar al-Assad : parfois lunatique, parfois rationnel, mais surtout désespéré

Les conflits, la peur et la mort ont marqué l’éducation d’Assad, convainquant le président syrien que la cruauté est nécessaire pour assurer sa survie

Le Conseil des Relations étrangères des États-Unis a organisé une table ronde plus tôt ce mois-ci sur la question de savoir si le président syrien Bachar al-Assad peut toujours jouer un rôle dans l’avenir de la Syrie, dans la mesure où de nombreuses personnes le tiennent pour responsable du conflit le plus sanglant de ce millénaire.

Est ressorti de cette discussion le portrait d’un homme aux nombreuses facettes. Parfois rationnel, parfois lunatique – mais le trait dominant était le désespoir.

Lorsqu’Assad est parvenu au pouvoir en 2000, il a été encensé comme un modernisateur jeune et dynamique. Cet ophtalmologue de 34 ans éduqué à Londres semblait occidentalisé et a rapidement mis en œuvre des réformes, suscitant la confiance et l’espoir de nombreux Syriens.

On disait qu’il était fan de Phil Collins. Certaines rumeurs allaient même jusqu’à dire qu’il aimait le Pepsi. Cependant, comme David Lesch, professeur d’histoire à la Trinity University, l’a fait remarquer lors de la table ronde, de telles descriptions ignorent les impacts socialisateurs de son éducation : Assad était un enfant du conflit arabo-israélien, de la guerre froide et de la guerre du Liban.

Il a fait l’expérience de tout ceci en tant que fils de Hafez al-Assad, un dictateur brutal qui n’hésita pas à tuer des dizaines de milliers de Syriens lors d’un soulèvement dans les années 1980. C’est ce milieu, et non pas sa brève immersion dans la culture occidentale, qui l’a affecté le plus profondément. Ces chocs l’ont convaincu du besoin de rester fidèle aux loyalistes pour assurer sa propre survie. 

Réformer l’État ? Pas question

Le 30 mars 2011, Assad donna un discours très attendu à la nation : c’était le premier discours qu’il prononçait suite aux troubles qui avaient fait irruption dans le pays deux semaines auparavant, dans le sillage du Printemps arabe.

Des milliers de Syriens avaient déjà été tués et la pression internationale sur son autorité était forte. On s’attendait à ce que le président annonce des réformes, mais en vain.

Selon David Lesch, un important débat avait lieu parmi la classe dirigeante – même jusqu’à la dernière minute – sur la façon de réagir aux manifestations. De nombreux officiels furent plutôt surpris par l’intransigeance du discours final.

Andrew Tabler, membre du Washington Institute for Near East Policy, a déclaré que le président craignait de subir le même sort que ses homologues en Tunisie et en Égypte. Mais il ne s’agissait pas seulement de sa position.

Sa minorité alaouite craignait d’être victime d’oppression, voire de persécutions, si des concessions affaiblissant sa position de pouvoir en Syrie étaient faites.

Joshua Landis, professeur à l’Université d’Oklahoma, a écrit que la minorité alaouite de Syrie n’a jamais été intégrée à la société syrienne.

En 1920, quand les Français ont pris le pouvoir, les Alaouites étaient éparpillés à travers le pays et n’avaient aucune présence dans les villes. Suite à la prise du pouvoir par Hafez al-Assad en 1970, ils se rendirent de plus en plus nombreux à Damas mais étaient toujours considérés comme des outsiders.

Les Alaouites édifièrent une structure relativement stable de pouvoir au cours des décennies suivantes, tout en étant parfaitement conscients de leur statut de minorité. Quand un réveil sunnite a frappé la région en 2011, ils ont craint de subir le même nettoyage ethnique que celui subi par certaines minorités dans d’autres pays. 

L’utilisation du djihadisme par Assad

Néanmoins, la menace de l’islamisme radical et du djihadisme n’était pas un phénomène nouveau en Syrie. En particulier depuis l’invasion américaine de l’Irak voisine en 2003, le gouvernement Assad soutenait totalement la résistance sunnite et était devenu une rampe de lancement pour les djihadistes entrant en Irak.

L’idée était d’externaliser la menace de l’islamisme et de l’exploiter à son avantage. Bien sûr, cette stratégie comportait des risques élevés et les Mukhabarat (services de renseignement) syriens se retrouvèrent dans une situation complexe consistant à gérer la menace islamiste qu’ils avaient eux-mêmes créée – dans une certaine mesure tout au moins.

Dès lors, faire des concessions en faveur des sunnites n’était pas une option et Assad pensait qu’il pouvait écraser le soulèvement en quelques semaines. Dans ce contexte, David Lesch insiste sur le fait que le président n’était pas sous le contrôle de la vieille garde de son père : ce qui s’est produit était au contraire le résultat de sa propre décision.

Sauver le pays, devenir un héros

Joshua Landis pense qu’Assad se voyait reconquérir des portions significatives du pays et émerger comme un héros national. Ceci souligne la façon dont les perceptions de la réalité peuvent être faussées lorsque l’on se trouve dans la position de président d’une nation.

« Beaucoup pensaient qu’il changerait le système, mais c’est le système qui l’a changé », a affirmé Lesch.

Les événements ont confirmé les opinions qu’Assad s’était forgées dans la période précédant 2011, cimentant sa croyance dans le fait qu’il devait gagner la guerre pour survivre. Ceci explique la brutalité et la cruauté du régime.

Andrew Tabler a décrit Assad comme une personnalité borderline. Intelligent et rationnel à un moment donné, il peut être incompréhensible l’instant d’après.

Mais jusqu’à présent, il apparaît également comme un leader fort qui gère la sphère alaouite et a réussi à éviter les conflits internes et de possibles renversements. Landis a comparé son comportement à celui du clan de Saddam Hussein, qui a aussi mené un coup d’État et contrôlé le pays par le biais de son parti, le Baas.

Le rôle de Saddam Hussein, toutefois, était caractérisé par une méfiance paranoïaque qui le poussa à éliminer de nombreux anciens amis et membres de sa famille. Les Assad n’ont jamais tué un membre de leur famille mais ont au contraire uni leur base à travers une forme de consensus.

Sans le président, les Alaouites commenceraient à se battre dans une lutte interne pour le pouvoir, a affirmé Landis. Il n’y a pas de tradition démocratique en Syrie et les gens ont tendance à affirmer leur influence par la force. 

Sombres perspectives

Les perspectives qui en résultent sont plutôt sombres : le président Assad est « limité par son monde ». Il est coincé dans un conflit existentiel qu’il doit gagner pour survivre. Joshua Landis le décrit comme étant indécis et surchargé de travail.

Son rêve d’antan, celui d’établir une Syrie reconnue internationalement, est brisé. Au lieu de cela, il est de plus en plus, si non complètement, dépendant des faveurs de la Russie et de l’Iran.

Ces deux puissances sont désireuses d’établir une « ceinture de sécurité » s’étendant de l’Iran au Liban et, selon Landis, elles mèneront ce projet à bien en raison de l’hésitation et du retrait de Washington dans la région.

Les sunnites de Syrie et d’Irak, d’autre part, seront victimes d’oppression en raison de ce que Landis appelle le « Grand règlement » – c’est-à-dire le réarrangement de la population pour « mieux cadrer avec les États-nations qui ont été créés après la première Guerre mondiale ». Le résultat est une forme d’instabilité qui fournit à l’extrémisme un terreau idéal. 

- Lars Hauch a poursuivi des études en développement international à Vienne et a officié en tant que rédacteur en chef du média allemand Commentarist. Spécialisé dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord, il a publié une revue de presse commentée, www.menaroundup.com, et écrit pour la plate-forme d’information britannique EA Worldview ainsi que pour la publication allemande CARTA.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : le président syrien Bachar al-Assad (au centre) s’adresse à ses troupes lors d’une visite médiatisée dans le quartier de Jobar, à l’est de Damas, le 31 décembre 2014 (AFP/HO/SANA).

Traduction de l’anglais (original). 

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