Black Panther est-il islamophobe ?
« Wallahi [par Dieu], je vais la flinguer », lance l’homme – manifestement musulman, vu son couvre-chef moyen-oriental –, tout en plaçant un pistolet contre la tête de la jeune adolescente. Sans vouloir gâcher le film Black Panther pour ceux qui ne l’ont pas encore vu, ceci fait partie d’une scène dans laquelle le futur roi attaque un convoi de camions qui transportent des femmes victimes d’un enlèvement.
Les femmes portent toutes le hijab (voile), contre leur gré. Elles l’enlèvent dès qu’elles sont « libérées ».
La scène renforce par inadvertance ce que les spécialistes des études coloniales, à l’instar de la professeure Sherene Razack de l’Université de Toronto, considèrent comme étant les stéréotypes de l’homme musulman barbare, de la femme musulmane opprimée et des non-musulmans en danger.
Coup de pouce involontaire à l’islamophobie
Black Panther est un film génial. Les critiques élogieuses à son égard et ses recettes au box-office le confirment. Je n’ai pas l’habitude de me presser pour aller voir les nouveaux films à l’affiche, mais celui-ci était différent. J’attendais avec impatience sa sortie en salle, non pas seulement à cause du battage médiatique dont il a fait l’objet, mais plus encore parce qu’après avoir vu les films 42 et Marshall, Chadwick Boseman est devenu mon acteur préféré.
J’ai horreur de jouer les trouble-fêtes, mais il est difficile de garder le silence face au coup de pouce pas si subtil mais – je ne peux que le supposer – involontaire que le film donne à l’islamophobie.
Non, je ne souhaite pas voir uniquement des représentations positives des musulmans au cinéma, car cela ne correspondrait pas à la réalité. Et je ne prétends pas que le film dénigre l’islam. Toutefois, il contribue sans nul doute à renforcer les opinions défavorables et stéréotypées sur l’islam et les musulmans.
Au risque de paraître insensible au désir de la communauté noire de se voir enfin représentée dignement au cinéma, je pense que ce film en rejoint beaucoup d’autres dans la normalisation d’une représentation stéréotypée des musulmans
Au risque de paraître insensible au désir de la communauté noire de se voir enfin représentée dignement au cinéma, je pense que ce film en rejoint beaucoup d’autres dans la normalisation d’une représentation stéréotypée des musulmans.
Ainsi que le note Sami Aziz, l’aumônier musulman de l’Université de Wesleyan, « Black Panther poursuit la tendance observable dans des centaines de films qui dépeignent les musulmans comme des prédateurs sexuels maléfiques et assoiffés de sang […] ». Dans un exemple classique de la mode hollywoodienne, les méchants sont encore des musulmans !
Une représentation négative généralisée
Trois religions sont représentées dans le film, bien que cela ne soit pas le sujet principal du scénario. Deux d’entre elles sont des religions fictives, tandis que la troisième est l’islam.
En tant qu’observateur attentif des affaires internationales, il est à mon avis évident que la scène décrite ci-dessus fait référence à Boko Haram, le groupe terroriste qui ternit l’islam et fait des ravages en Afrique, en particulier au Nigeria.
La scène représente sans aucun doute la libération de filles – dont de nombreuses chrétiennes – kidnappées par Boko Haram dernièrement.
Moi aussi, je soutiendrais la Black Panther dans une telle confrontation. Mais malheureusement, je doute fort que beaucoup de spectateurs aient pensé à la grande majorité de musulmans qui s’opposent aux actions de ces voyous.
Le problème est que cette scène contribue à la représentation négative généralisée des musulmans, dans la mesure où il n’y a aucun musulman évidemment bon (à moins que vous ne soyez un expert en cultures africaines et sachiez interpréter le film).
Dans les premières minutes de Black Panther, les agresseurs sont des musulmans tandis que l’identité des victimes n’est pas claire.
Les victimes peuvent être musulmanes ou non. Si elles sont des non-musulmanes ou des musulmanes qui enlèvent leur hijab parce qu’elles avaient été forcées de le porter, alors c’est compréhensible. Il n’en demeure pas moins toutefois que les méchants sont musulmans.
Cela révèle à quel point l’islamophobie est devenue insidieuse et normalisée
C’est peut-être fidèle à la réalité, soit, mais cela renforce la représentation négative existante car aucun bon musulman n’est visible (du moins aux yeux d’un spectateur non-expert). Si les victimes sont musulmanes, alors cela renforce le stéréotype selon lequel les femmes musulmanes doivent être libérées par des non-musulmans.
Le fait est que, à l’exception des quelques spectateurs sophistiqués qui connaissent bien l’histoire et la politique contemporaine de l’Afrique, les seuls musulmans qu’ils voient sont de mauvaises personnes. Et le fait qu’en réalité, la plupart des musulmans s’opposent à Boko Haram et que la claire majorité des victimes du groupe soient musulmanes n’est pas ce à quoi pensent les spectateurs.
Émanciper les personnes marginalisées
Comme avait coutume de le demander Jack G. Shaheen, auteur aujourd’hui décédé de Reel Bad Arabs: How Hollywood Vilifies a People, The TV Arab et Arab and Muslim Stereotyping in American Popular Culture : quelles impressions cela laissera-t-il aux enfants ?
Mon intention n’est pas de porter atteinte au coup de pouce si nécessaire que ce film apporte aux communautés noires qui souffrent autour de nous.
Je suis entièrement favorable à toutes ces choses incroyables que le film apportera à mes frères et sœurs noirs, et à notre société. Mais valoriser et émanciper un segment marginalisé de la population ne doit pas se faire au détriment d’un autre.
La représentation négative, l’association avec l’expression arabe wallahi et la scène de libération sont peut-être neutres, ou bien renforcent-elles peut-être certains des pires stéréotypes sur l’islam et les musulmans, sans fournir de représentation alternative.
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Ce n’était pas nécessaire dans la mesure où cela n’ajoute rien de significatif à l’histoire. Et non, je n’exagère pas.
En tant que personne qui étudie le phénomène et qui est confronté à ses conséquences, le fait que même les observateurs les plus vigilants des stéréotypes n’aient pas relevé cette scène en dit long.
Cela révèle à quel point l’islamophobie est devenue insidieuse et normalisée.
Que tout ceci ne vous empêche pas cependant d’aller voir le film, au contraire, voyez-le, tirez-en un enseignement, laissez-le vous rendre plus forts, laissez-le vous influencer de manière à changer votre vision collective du monde et la nôtre.
Mais dans le même temps, utilisez-le comme un moment d’apprentissage et d’enseignement sur l’islamophobie.
Comme le note Sami Aziz, pourquoi un film qui magnifie les noirs doit-il décrire l’une de leurs religions de façon négative ?
- Faisal Kutty est conseiller juridique au cabinet KSM Law, professeur associé à l’Université de Droit de Valparaiso, dans l’Indiana (États-Unis), et professeur adjoint à la Osgoode Hall Law School de l’Université York à Toronto (Canada). Il a été consultant en culture et pratique islamiques pour la série primée de la chaîne CBC, « The Little Mosque on the Prairie ». Vous pouvez le suivre sur Twitter : @faisalkutty
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : Michael B. Jordan et Chadwick Boseman dans le film Black Panther de Marvel Studios, 2018 (Marvel Studios).
Traduit de l’anglais (original).
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