« C’est la faute aux musulmans » : l'islamophobie alimentée par les gouvernements et les médias
« C’est la faute aux musulmans ». Cela semble être le message véhiculé par les gouvernements et les médias à travers l'Europe à la suite des terribles attentats de Paris. Les musulmans sont responsables du terrorisme. Non seulement le petit nombre de musulmans qui commettent de telles attaques, mais tous les musulmans sont d’une certaine façon responsables. On fait valoir que leur religion est trop complaisante à l’égard des idées terroristes, qu'ils ne dénoncent pas suffisamment leurs coreligionnaires et en des termes assez forts, que leurs écoles et mosquées sont des terrains propices au terrorisme.
Aujourd’hui, on nous dit que trop peu de musulmans s’enrôlent dans l'armée britannique alors que des jeunes musulmans se ruent pour se battre aux côtés du groupe Etat islamique en Irak et en Syrie. La façon dont les musulmans s’habillent, la nourriture qu'ils mangent et la régularité avec laquelle ils prient sont sous surveillance, et le message est trop souvent limpide : les musulmans sont perçus comme « l'ennemi intérieur » de la société occidentale.
Ces musulmans qui renoncent à la violence comme moyen de parvenir au changement politique ne sont pas exempts de reproches. Les demandes de changement ou l'extrémisme non-violent, comme on l’appelle désormais, ne mènent qu’à l'extrémisme violent. Ou du moins ce fut l'affirmation du journaliste John Ware dans une récente édition de Panorama, un programme d'investigation diffusé sur la BBC.
Beaucoup de musulmans ont le sentiment qu’il s’agit là d’un deux poids, deux mesures. La plupart des actes terroristes commis en Europe ne sont pas le fruit du terrorisme islamique, mais en lien avec des groupes séparatistes ou d'extrême droite. La plus grande attaque terroriste de ces dernières années fût perpétrée en Norvège par un idéologue d'extrême droite contre un rassemblement de jeunes du parti de gauche. Le meurtre, cette semaine, de trois jeunes musulmans en Caroline du Nord – qui, selon la police, peut avoir été déclenché par un différend concernant une place de stationnement, mais que beaucoup soupçonnent comme étant l’acte d’un militant athée – n'a pas donné lieu à des dénonciations décrivant son auteur comme le bras armé de l'athéisme. La communauté des athées n’a pas été invitée à faire un examen de conscience sur la possibilité que l'athéisme conduise à ce genre d'extrémisme. Les forces de sécurité ne ciblent pas les rassemblements d’athées.
Les bons et les méchants
Pourquoi la perception des différents groupes de terroristes diffère tant ? Une partie de la raison est le racisme : les musulmans sont dépeints comme des fanatiques et des extrémistes, pris dans un choc des civilisations où les bons sont des représentants de la civilisation occidentale, tandis que les méchants sont présentés comme arriérés, irrationnels et barbares. Cette dichotomie ignore commodément le barbarisme en Occident, manifesté tant par les deux guerres mondiales et l'Holocauste que par la création d'empires qui régnèrent sur des peuples entiers – ceux-là mêmes, pour beaucoup, qui sont diabolisés ici. Elle ignore également la contribution historique de la culture musulmane.
Mais il y a une autre raison essentielle à cela : les guerres elles-mêmes. Il existe un refus de faire le lien entre le terrorisme et les guerres qui ont fait rage durant plus de quinze ans, et de voir que la montée de l'islamophobie est l'une des conséquences de ces guerres.
Il y a une épouvantable symétrie dans cela : alors que les guerres impliquant la Grande-Bretagne et les Etats-Unis se sont enlisées dans l'échec, les libertés civiles ont été de plus en plus menacées et la montée de l'islamophobie est devenue plus prononcée.
Lorsque la guerre contre le terrorisme a été lancée en octobre 2001, les opposants à celle-ci avaient prédit non seulement une série de guerres dévastatrices, mais une vague de répression portant atteinte aux libertés civiles et une montée du racisme contre les musulmans. Pas un seul politicien pro-guerre n’avait prédit son issue quatorze ans plus tard. Au lieu de cela, on nous a fait croire que ces guerres éradiqueraient le terrorisme, encourageraient la démocratie et protégeraient les droits de l’homme. La guerre contre le terrorisme a mené à l’exact opposé : un développement massif du terrorisme.
L’objectif initial de la guerre fût d'éradiquer le terrorisme en Afghanistan et au Pakistan, de détruire les talibans et al-Qaïda. Malgré l'agitation médiatique au sujet de l'assassinat de Ben Laden, al-Qaïda et les talibans sont toujours là. Le terrorisme est désormais largement répandu dans le Moyen-Orient et en Afrique.
Des ambassades occidentales ont été fermées au Yémen et en Libye, ce dernier se trouvant dans un état de guerre civile seulement quatre ans après les bombardements menés par les forces occidentales. L’Etat islamique contrôle de larges zones de la Syrie et de l'Irak. La montée en puissance de l’Etat islamique fût en partie facilitée par des alliés de l’Occident tels que la Turquie, l’Arabie saoudite et le Qatar dans le cadre de leur intervention en Syrie.
Malgré cela, la réponse des gouvernements occidentaux a souvent été la même. Les Etats-Unis et leurs alliés bombardent l’Etat islamique en Irak et en Syrie, et cette semaine on nous annonce que 2 000 soldats britanniques ont été envoyés en Jordanie.
Un cercle vicieux
Nous nous trouvons désormais dans un cercle vicieux : plus d'attaques terroristes, plus de répression, plus de guerres et plus de racisme. L'atmosphère au lendemain des attentats de Paris ajoutera son lot à tout cela. Déjà, les appels à la liberté d'expression, en soutien à Charlie Hebdo, ont été quelque peu compromis par des sanctions draconiennes à l’encontre de ceux qui ont fait quelques maladroites remarques à la police au sujet des attaques. En France, ceux qui reviennent des camps de l’Etat islamique en n’ayant la plupart du temps jamais été impliqués dans les combats ont été condamnés à des peines allant jusqu'à douze ans de prison. Quoi que l'on puisse penser de leur comportement, il est certainement contre-productif d'envoyer en prison pour de si longues périodes ceux qui sont rentrés, souvent déçus par l’Etat islamique.
Ce déchaînement contre les musulmans est alimenté par les gouvernements et les médias. Les faits dépeignant négativement les musulmans sont mis en évidence ; ceux qui les montrent sous un jour positif ou qui réfutent les représentations négatives font l’objet d’une bien moindre médiatisation. La stratégie de prévention du gouvernement britannique (le programme Prevent) – conçue officiellement pour prévenir l'extrémisme violent – cible les écoles, les universités et les organisations musulmanes, exigeant que leurs activités et leurs intervenants soient mis sous surveillance.
Cela constitue une atteinte à la liberté d'expression, aux libertés civiles et au droit d’avoir des idées certes susceptibles d’être impopulaires mais qui ne devraient pas être interdites pour autant. On demande souvent aux musulmans de présenter des excuses. Mais pourquoi exactement devraient-ils présenter des excuses ? En Grande-Bretagne, la communauté musulmane a joué un rôle important dans la vie politique, et plus récemment dans les grandes manifestations contre l’offensive israélienne contre Gaza. Les musulmans ont constitué l'épine dorsale d'un mouvement qui a tenté d'arrêter les guerres en Afghanistan et en Irak, et de changer la politique étrangère du gouvernement. Il y a peu de doute que la Grande-Bretagne aurait été un endroit plus sûr si nous avions réussi.
- Lindsey German est coordinatrice de la coalition Stop the War et co-auteure de A People's History of London.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : les trois jeunes musulmans - Deah Shaddy Barakat, Yusor Mohammad et Razan Mohammad Abu-Salha - assassinés en Caroline du Nord (Twitter).
Traduction de l’anglais (original) par Ali Saad.
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