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Cher pape François, n’allez pas en Égypte maintenant

En tant que citoyenne égyptienne musulmane, je serais honorée par votre visite dans mon pays, mais je vous implore de revenir sur votre décision

Je ne ferai pas d’introduction, si ce n’est pour dire que comme Votre Sainteté, je crois aussi en un dieu miséricordieux et aimant.

Comme vous, je condamne le massacre arbitraire d’innocents.

Effectuer un voyage maintenant ne pourrait servir qu’à légitimer une administration meurtrière qui est complice du massacre de dizaines de chrétiens et de centaines de musulmans

Comme vous, cela me peine de voir tant de souffrances « à cause des guerres et du terrorisme, à cause des intérêts qui font mouvoir les armes et qui les font frapper ».

Comme vous, je dénonce la façon dont les femmes et les hommes sont « trompés, violés dans leur dignité, rejetés », comme vous l’avez récemment déclaré après l’annonce des abominables attentats à la bombe contre des églises coptes en Égypte, qui ont arraché la vie à au moins 44 fidèles et fait 100 blessés.

Comme Votre Sainteté le sait, ce n’est pas la première fois que cela se produit. L’Égypte a derrière elle un bilan ignoble en matière d’attentats à la bombe contre des églises, dont le plus important est survenu au jour de l’An 2011, à peine vingt-cinq jours avant qu’un soulèvement populaire ne modifie le cours de l’histoire dans la région. En décembre dernier seulement, 25 personnes ont été tuées lorsqu’une bombe a explosé dans des églises proches de la cathédrale copte du Caire. Les terroristes de l’État islamique autoproclamé ont revendiqué l’attentat, comme lors du massacre de ce dimanche des Rameaux.

Pas de comptes à rendre

Ce que Votre Sainteté ne sait peut-être pas, cependant, c’est que des actes de violence impensables, principalement commis par l’État contre des civils de toutes les confessions, ont touché le pays depuis le soulèvement. En effet, lors d’une soirée fatidique d’octobre 2011, 27 manifestants coptes ont péri, écrasés par des véhicules blindés de transport de troupes égyptiens qui gardaient le bâtiment de la télévision d’État à Maspero, vivier du discours de haine et des théories du complot.

À ce jour, pas le moindre officier de l’armée n’a été appelé à rendre des comptes.

En octobre 2013, des Égyptiens allument un feu devant le bâtiment de Maspero, au Caire, lors d’une protestation organisée à l’occasion du deuxième anniversaire de la mort des personnes violemment écrasées pendant la manifestation (AFP)

Un autre massacre dont Votre Sainteté pourrait ne pas avoir connaissance n’a pas eu lieu dans une église, mais près d’une mosquée au cœur du Caire appelée Rabia el-Adaouïa, nommée ainsi d’après une icône religieuse féminine de la culture populaire islamique. La police égyptienne, protégée par le personnel de l’armée, a reçu le feu vert du président de facto et chef du coup d’État militaire (qui a évincé un président élu et qui l’a privé de contact avec l’extérieur pendant des mois) et mis le feu à la mosquée après avoir massacré un millier de manifestants pacifiques.

En quelques heures, l’État égyptien a commis ce que Human Rights Watch a décrit plus tard comme « de probables crimes contre l’humanité » et « l’une des plus grandes tueries de manifestants en une seule journée dans l’histoire récente ». Quand ils ont incendié la mosquée après la dispersion violente, celle-ci servait d’hôpital de campagne. Des dizaines de blessés en souffrance ont été brûlés vifs.

Le chef du coup d’État, Abdel Fattah al-Sissi, qui a juré qu’il n’avait aucune ambition présidentielle et qui est pourtant le président actuel de l’Égypte, a construit son mandat sur des promesses de sécurité, de stabilité et de justice, de prospérité économique et de cohésion sociale.

À LIRE : Se souvenir de Rabia, trois ans après : l'histoire d'un survivant

Votre Sainteté a peut-être appris qu’en 2015, Sissi est devenu le premier président égyptien à assister à la messe de Noël copte. Il a effectué toutes les civilités requises, mais aucun officier de l’armée n’avait encore été condamné pour Maspero.

Cette même histoire s’est répétée à maintes reprises, que les assaillants fussent des officiers en uniforme officiel ou des villageois pieds nus se livrant à des raids sectaires. Pas de voie juridique vers la justice. Pas de deuil possible pour les familles des victimes, mais beaucoup de discours tumultueux sur l’unité religieuse et la nécessité d’éradiquer le terrorisme.

Les moyens ne justifient pas la fin

Votre Sainteté sait également peut-être qu’à cette fin (éradiquer le terrorisme), Sissi a consacré des ressources infinies à des opérations militaires qui ont démoli des milliers de maisons et forcé l’éviction d’au moins 3 200 familles dans le Sinaï Nord, où règne un véritable trou noir médiatique dans la mesure où aucun média ou journaliste non officiel n’est autorisé à entrer.

Je conseillerais à Votre Sainteté de ne pas s’associer à des dictateurs impitoyables comme Sissi, qui sera le seul à tirer profit de cette visite au détriment de milliers d’Égyptiens injustement incarcérés

Pourtant, de récents rapports divulgués qui ont été produits par des activistes attestent de l’échec cuisant de l’opération « Le droit du martyr », la campagne lancée par l’armée en septembre 2015 contre les terroristes dans la péninsule du Sinaï. En effet, les insurgés continuent de se renforcer dans la région, où ils sèment la peur parmi les musulmans et promettent de tuer plus de chrétiens alors que le gouvernement n’est jamais parvenu à les protéger.

Si j’ai bien compris, Votre Sainteté envisage de se rendre en Égypte les 28 et 29 avril. S’il est vrai qu’en tant que citoyenne égyptienne musulmane, je serais honorée par votre visite dans mon pays, je vous implore de revenir sur votre décision d’effectuer ce voyage.

Mon raisonnement est clair et simple : outre le danger physique évident que représente le fait de se trouver en Égypte en ces temps si explosifs (il est à noter que le pape copte Théodore II a été la cible de l’attentat à la bombe d’Alexandrie de ce dimanche, comme il se trouvait à l’intérieur de la cathédrale Saint-Marc au moment des faits), effectuer un tel voyage maintenant ne pourrait servir qu’à légitimer une administration meurtrière qui est complice du massacre de dizaines de chrétiens et de centaines de musulmans.

Un seul gagnant

Je conseillerais à Votre Sainteté de ne pas s’associer à des dictateurs impitoyables comme Sissi, qui sera le seul à tirer profit de cette visite au détriment de milliers d’Égyptiens injustement incarcérés, sans aucun recours pour obtenir un procès équitable et souvent accablés par de fausses accusations portées contre eux.

En tant que force d’inspiration pour le bien dans le monde, en 2015, lors d’une audience devant des enfants rassemblés par l’ONG Peace Factory, Votre Sainteté a déclaré : « Nous avons tous les mêmes droits. Lorsque nous ne voyons pas cela, la société est injuste. Elle ne suit pas la primauté de la justice, et là où il n’y a pas de justice, il ne peut y avoir de paix. [...] Il n’y a pas de paix sans justice ! »

Il n’y a pas de justice dans l’Égypte de Sissi et, à moins que le monde ne commence à le traiter comme le paria qu’il est, il n’y aura jamais de paix.

Je prie Votre Sainteté de daigner agréer l’hommage de mon très profond respect...

Rania Elmalky est l’ancienne rédactrice en chef du journal Daily News Egypt basé au Caire.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : le pape François arrive à l’aéroport international de Cracovie-Balice pour les Journées mondiales de la jeunesse, en juillet 2016 (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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