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Chirac et le monde arabe : la fin d’un mythe

L’histoire se souviendra de Jacques Chirac comme d’un dirigeant ayant été sincèrement proche des aspirations des Arabes. Pourtant, sur l’Irak, la Syrie et le Liban, il n’hésitera jamais à adopter une posture politicienne, surtout quand son intérêt le lui commandera  
Le président français Jacques Chirac et la veuve de Rafiq Hariri, Nazik Hariri, participent, le 19 février 2007 à l’Institut du monde arabe (IMA) à Paris, à une cérémonie commémorant le 2e anniversaire de l’assassinat du Premier ministre libanais à Beyrouth le 14 février 2005 (AFP)

On dit souvent de Jacques Chirac qu’il est « l’ami des Arabes ». Il doit pour beaucoup cette réputation à la manière par laquelle il a pu user d’une rhétorique en phase avec les attentes des opinions publiques arabes. Le coup de sang de l’ex-président français vis-à-vis du comportement rude de responsables israéliens de la sécurité entourant sa visite à Jérusalem (1996) et, bien sûr, sa critique des plans américains d’intervention militaire contre l’ex-chef d’État irakien Saddam Hussein (2003) y sont pour beaucoup.

Mais sur le fond, il n’est pas exagéré de dire que le bilan de la politique chiraquienne au Moyen-Orient est mitigé, voire extrêmement maigre. La rhétorique de l’ancien président français se sera avérée audible, mais ses décisions concrètes bien moins. Au final, Jacques Chirac a su se bâtir l’image qu’il cherchait à donner de lui-même.

Il est symboliquement intéressant de noter que, dans les heures qui ont suivi l’annonce du décès de Jacques Chirac, aucun des sites d’information « de référence « du monde arabe (Al-Arabiya et Al-Jazeera) n’ait consacré de une spéciale à cette information ; elle a fait l’objet d’articles noyés parmi tant d’autres. Le « mythe Chirac » semble maintenant relégué aux oubliettes.

Les effets d’annonce de Jacques Chirac attireront les foules arabes, mais ne suffiront pas à lui forger une stature durable de « pro-Arabe » auprès des gouvernements de la région. Quelles qu’en soient les raisons, les limites du bilan de l’ancien président français transparaissent, pour beaucoup, dans trois cas précis : l’Irak, la Syrie et le Liban.

Un Irak à double tranchant

Le 11 septembre 2001, en toute logique, pousse dans la foulée la diplomatie française à épouser la cause des États-Unis. Que ce soit au nom des principes du droit international ou selon les termes de l’article 5 de la charte de l’OTAN (une attaque contre un membre équivaut à une attaque contre tous les membres), le fait pour la France de se joindre au mot d’ordre si bien formulé par l’ancien directeur du Monde Jean-Marie Colombani (« Nous sommes tous Américains ») fait entièrement sens.

Chirac, qui subit de front la rancœur de la superpuissance américaine, sait que si son attitude lui a assuré un bond de popularité, cela ne suffira pas à limiter les effets de la casse intervenue dans la relation transatlantique

Il en va de même concernant l’invasion de l’Afghanistan, intervenue peu de temps après sur la base de la résolution 1368 de l’ONU. Depuis New York, Chirac s’exprime d’ailleurs sans ambiguïté sur la nécessité de développer « une véritable action coordonnée sur le long terme pour éradiquer le terrorisme », dans le cadre des Nations unies.

La participation de Paris aux stratégies déployées par les États-Unis et l’OTAN s’expliquera par ces critères. Mais une fois posée, immédiatement après, la volonté de l’administration de George W. Bush d’en finir avec le régime irakien, la riposte française sera toute autre.

Le 14 février 2003, l’alors ministre des Affaires étrangères Dominique de Villepin prononce un vibrant discours à l’ONU dans lequel il met en garde devant les conséquences d’une guerre en Irak. Le 18 mars, Jacques Chirac abonde dans le même sens. Mais ce sera peine perdue. Le 20 mars 2003, Washington lance l’opération « Iraqi Freedom ».

Le ministre français des Affaires étrangères, Dominique de Villepin, prononce un discours devant le Conseil de sécurité des Nations unies le 7 mars 2003 (AFP)
Le ministre français des Affaires étrangères, Dominique de Villepin, prononce un discours devant le Conseil de sécurité des Nations unies le 7 mars 2003 (AFP)

Il est intéressant de voir comment, sur cette base, l’opinion publique pense souvent que si les États-Unis ont envahi l’Irak en s’affranchissant de toute résolution onusienne, c’est du fait d’un veto français officiel à leur action. Or, il n’en est rien. Jacques Chirac et Dominique de Villepin ont certes pu faire miroiter cette possibilité, mais rien n’empêche de penser que, si un projet de résolution onusienne avait été déposé par Washington, Paris aurait fait valoir son abstention.

Quoiqu’il en soit, l’invasion de l’Irak aura bien lieu, et ses débuts seront accompagnés d’épisodes mémorables de « French bashing » – ou boycott des produits français – dont l’un des exemples absurdes passera par la requalification par certaines cafétérias du Congrès américain des « French fries » (frites) en « freedom fries » (frites de la liberté).

Sur une note plus sérieuse, Jacques Chirac, qui subit de front la rancœur de la superpuissance américaine, sait que si son attitude lui a assuré un bond de popularité, cela ne suffira pas pour autant à limiter les effets de la casse intervenue dans la relation transatlantique. Il lui faut donc trouver le moyen de se rabibocher avec les États-Unis.

Le chemin de Damas

Le chapitre syrien illustre très bien la capacité qu’avait Jacques Chirac à faire le grand écart en cas de besoin.

En juin 2000, suite à la mort du président syrien Hafez al-Assad, Chirac se rend à Damas, pour la deuxième fois durant sa présidence. Seul chef d’État occidental présent aux obsèques du président défunt, Chirac paraît là vouloir profiter d’une dynamique régionale caractérisée par le retrait israélien du Liban. Est-il allé jusqu’à évoquer son désir de voir la Syrie procéder à un retrait similaire ?

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On peut en douter, les temps n’y étant pas propices, et l’investiture de Bachar al-Assad pas encore acquise. Mais cette présence certifie le fait que Paris sent la naissance d’un nouveau contexte régional qu’il veut pleinement accompagner.

On dit souvent de Jacques Chirac qu’il voit aussi dans Bachar al-Assad l’exemple d’un jeune président réformateur et démocrate dont il veut accompagner les efforts d’ouverture. Son ancien ministre des Affaires étrangère Hubert Védrine et le journaliste Jean-Pierre Perrin abondent en ce sens à l’heure d’expliquer pourquoi Assad s’est vu remettre la légion d’honneur en 2001 : en guise d’encouragement.

Cela peut être vrai, mais n’explique pas pour autant pourquoi l’idéalisme de Chirac serait allé à la Syrie plutôt qu’à un quelconque de ses voisins régionaux.

En tout état de cause, argument pro-démocratie en tête, la suite de l’histoire retiendra aussi que le président français perdra finalement patience suite à l’assassinat à Beyrouth de son ami Rafiq Hariri, ancien Premier ministre libanais, en février 2005. Un meurtre dont on pensera dès le début qu’il a été commandité par la Syrie.

Pour autant, l’historique de la relation franco-syrienne suggère une explication différente.

Le 2 septembre 2004, c’est à l’initiative conjointe de Paris et de Washington que le Conseil de sécurité de l’ONU adopte la résolution 1559.

Le chapitre syrien illustre très bien la capacité qu’avait Jacques Chirac à faire le grand écart en cas de besoin

Au nom de la nécessaire « extension du contrôle exercé par le gouvernement libanais à l’ensemble du territoire du pays », elle formule deux demandes principales : que « toutes les forces étrangères qui y sont encore » se retirent du Liban ; et « que toutes les milices libanaises et non libanaises soient dissoutes et désarmées ». Soit une demande claire, quoique non nominale, de retrait de l’armée syrienne du Liban et de désarmement du Hezbollah libanais. 

La raison de cet engagement français tardif en faveur du Liban est probablement à trouver à la lumière de la guerre d’Irak. La casse intervenue alors dans les relations franco-américaines a porté beaucoup de tort à Paris. Depuis son opposition à l’invasion de l’Irak, la France s’est retrouvée, de surcroît, extrêmement critiquée au niveau européen par l’Allemagne et le Royaume-Uni.

Il faut dès lors redresser la barre. La résolution 1559 tombe à point nommé. En juillet 2006, lors du sommet du G8, le président américain de l’époque, George W. Bush, dira clairement que ce texte constitue la pierre angulaire de l’action franco-américaine au Moyen-Orient. Jacques Chirac a trouvé le moyen de retrouver les faveurs de Washington.

Un ami par défaut ?

Jacques Chirac ne marquera pas forcément l’histoire par la portée de ses mesures politiques, ou par la profondeur de ses idées : il a finalement bénéficié à merveille d’une stature de communicant, que des années de rodage à l’exercice politique ont considérablement affûtée.

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C’est en effet la maîtrise d’un certain art de l’image et de la communication qui a donné à l’ancien président français une envergure privilégiée, doublée de cet insigne honneur que beaucoup croient lui reconnaître, et en faveur duquel l’émission « Les Guignols de l’info » aura beaucoup contribué : voir en lui le prolongement du général de Gaulle.

Jacques Chirac était bien un président de droite, mais cela n’est pas forcément à confondre avec droiture ou capacité intacte de discernement.

Il n’y aucune raison de mettre en doute le fait que l’assassinat de Rafiq Hariri l’ait profondément affecté ; le voir accepter, une fois son mandat présidentiel terminé, de loger durant huit années dans un appartement de la famille Hariri situé rive gauche à Paris confirme par contre l’impression d’un certain mélange des genres.

Pour autant, avec Charles de Gaulle et François Mitterrand, Jacques Chirac restera probablement l’un des rares présidents que l’histoire de la Ve République retiendra en premier lieu. Même si par défaut. Et en tous cas, surtout pas pour le bilan de ses politiques au Moyen-Orient.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Barah Mikaïl est directeur de Stractegia, un centre basé à Madrid et dédié à la recherche sur la région Afrique du Nord – Moyen-Orient ainsi que sur les perspectives politiques, économiques et sociales en Espagne. Il est également professeur de géopolitique spécialisé dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’Université Saint Louis (Madrid, Espagne). Il a été auparavant directeur de recherche sur le Moyen-Orient à la Fundación para las Relaciones Internacionales y el Diálogo Exterior (FRIDE, Madrid, 2012-2015) ainsi qu’à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS, Paris, 2002-2011). Il est l’auteur de plusieurs ouvrages et publications spécialisées. Son dernier livre, Une nécessaire relecture du « Printemps arabe », est paru aux éditions du Cygne en 2012.
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