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Comment écrire un éditorial sur la Turquie pour les médias occidentaux

L’une des choses les plus importantes à faire lorsque l’on écrit un éditorial sur la Turquie pour les médias occidentaux est de mentionner « autoritaire » et « Erdoğan » dans la même phrase

Voici quelques recommandations fort pratiques pour quiconque souhaiterait devenir éditorialiste sur la politique turque dans les médias occidentaux. Si vous vous y conformez lors de la rédaction de votre article, de nombreux comités de rédaction se mettront en quatre pour vous publier.

La démocratie est en train de perdre en Turquie

L’une des choses les plus importantes à faire lorsque l’on écrit un éditorial sur la Turquie pour les médias occidentaux est de mentionner « autoritaire » et « Erdoğan » dans la même phrase. Par exemple, vous pouvez commencer ainsi : « La Turquie du président Erdoğan est de plus en plus autoritaire. Il n’y a aucune tolérance pour l’opposition politique ou les protestations publiques ». Si vous voulez fournir un contexte historique à vos propos, vous pouvez vous référer au succès du parti pour la Justice et le Développement (AKP) au pouvoir au début des années 2000, quand un programme réformiste, en particulier concernant les relations Turquie-UE, était plus important.

Vous devriez mettre l’accent sur les inquiétudes suscitées par la pression exercée par le « gouvernement religieux » sur « les modes de vie laïcs ». Vous pouvez aussi ajouter quelque chose sur la façon dont les minorités non-musulmanes vivent sous la menace du gouvernement de l’AKP comme jamais en Turquie depuis 1923. Même si le gouvernement de l’AKP a rouvert la synagogue d’Edirne et offert ses condoléances pour le génocide arménien pour la première fois dans l’histoire de la République turque, ces développements seront ignorés par le comité de rédaction. Ne vous inquiétez pas.

En tant qu’éditorialiste type, vous devez également mentionner les inquiétudes de l’UE et de l’administration américaine au sujet de la liberté de la presse en Turquie.

L’AKP a mis un terme au cessez-le-feu       

Bien que le KCK (Groupe des communautés du Kurdistan), une organisation fondée par le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), ait déclaré la fin du processus de paix à de multiples reprises avant l’élection du 7 juin 2015, vous devriez insister pour faire comprendre que c’est l’État turc ou le gouvernement de l’AKP qui a interrompu le cessez-le-feu.

Vous pouvez ajouter que l’AKP tue aussi des civils dans les régions kurdes de la Turquie, les force à fuir leurs maisons et impose des couvre-feux. Après avoir détaillé les politiques cauchemardesques de l’AKP dans les régions kurdes, ce dernier semblera le seul acteur responsable des violations des droits de l’homme dans le sud-est de la Turquie. Afin de renforcer votre argumentation sur la question kurde, vous pouvez citer quelques journalistes « libéraux » obsédés par Erdoğan qui fournissent des statistiques produites par l’Association turque des droits de l’homme (IHD).

À la fin de cette partie, vos lecteurs seront convaincus que l’AKP est, pour les Kurdes, le pire de tous les gouvernements de l’histoire de la Turquie, et le PKK n’aura pas l’air d’une organisation militante qui mène une lutte armée contre la Turquie depuis 1984.

Fethullah Gülen est juste un leader spirituel et religieux

Le mouvement de Fethullah Gülen a un vaste réseau aux États-Unis. Il peut donc être bon pour votre article que vous critiquiez l’attitude du gouvernement turc envers le mouvement Gülen. Cependant, vous devez omettre les informations relatives aux opérations menées par les forces de sécurité et les procureurs des Gülenistes durant la période allant du 17 au 25 décembre 2013. Vous devriez insister sur le fait que ces opérations visaient uniquement à exposer des scandales de corruption, mais qu’Erdoğan et le gouvernement de l’AKP ont étouffé le scandale. Donc vous pouvez conclure cette partie en écrivant que l’État de droit a été ébranlé en Turquie et que le mouvement Gülen n’a jamais, au grand jamais, eu de programme politique caché.

La politique étrangère de la Turquie est sectaire

La politique étrangère de la Turquie est l’un des principaux objets de critiques que vous devriez ajouter à votre édito. Vous pouvez commencer avec la politique turque en Syrie, en disant notamment que la Turquie arme des groupes fondamentalistes islamiques et s’est montrée réticente à combattre les militants du dénommé État islamique (non, pas besoin de présenter des preuves pour prouver vos allégations – elles seront prises pour argent comptant). N’oubliez pas de mentionner que la Turquie bombarde les « Kurdes » au nord de la Syrie et insistez bien sur le fait que la Turquie devrait utiliser sa puissance pour combattre l’État islamique plutôt que les « Kurdes ».

De telles généralisations donnent plus de valeur à votre article aux yeux des rédacteurs en chef, donc vous devriez écrire « les Kurdes syriens » au lieu du « PYD » et les Kurdes de Syrie au lieu du « PKK ». Si vous avez de la chance, vos lecteurs ne rechercheront pas sur Google des renseignements relatifs aux attentats-suicides perpétrés récemment par des combattants du PKK entraînés dans les camps des YPG (la branche armée des PYD). Pour conclure, vous pouvez critiquer l’UE pour l’accord sur les réfugiés conclu avec la Turquie. Vous pouvez rappeler aux lecteurs les valeurs et principes de l’UE et reprocher aux pays européens d’avoir fermé les yeux sur les violations des droits de l’homme en Turquie.

Enfin, illustrer votre article avec une photo montrant Erdoğan en colère permettra sûrement d’attirer l’attention du lecteur et rendra votre texte plus convaincant.

- Enes Callı est un auteur indépendant diplômé du département de science politique de l’Université de Kocaeli, Turquie, en 2012. Il est actuellement inscrit en master de relations internationales à l’Université d’Istanbul. Vous pouvez le suivre sur twitter : @enescalli1. Cet article est paru pour la première fois sous le titre « Comment écrire un éditorial sur la Turquie pour le New York Times ? » sur le site TheKebabAndCamel.com.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : des piétons passent à côté de piles de journaux à New York, États-Unis, le 12 janvier 2007 (AFP). 

Traduction de l’anglais (original).

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