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Comment les liens avec Beijing renforcent l’influence régionale d’Abou Dabi

Les deux États multiplient les accords dans les secteurs bancaire, pétrolier, touristique et scientifique
Le prince héritier d’Abou Dabi, Mohammed ben Zayed, marche aux côtés du président chinois, Xi Jinping, à Beijing, le 22 juillet (AFP)

L’influent prince héritier d’Abou Dabi, Mohammed ben Zayed (MBZ), s’est lancé dans une nouvelle croisade diplomatique pour rallier le président chinois Xi Jinping, cherchant ainsi à consolider les liens avec un poumon économique mondial prospère.

En visite à Beijing en juillet, MBZ et Xi Jinping ont discuté du renforcement des liens stratégiques et économiques entre leurs pays. Ils ont convenu d’une multiplication des investissements et des liens commerciaux, notamment une coopération accrue dans les secteurs bancaire, pétrolier, touristique et scientifique, lesquels pourraient s’élever à 70 milliards de dollars d’ici la fin de l’année prochaine. 

MBZ a également salué ce qu’il a qualifié de « feuille de route » pour un siècle de prospérité entre les Émirats arabes unis (EAU) et la Chine, suggérant que les liens pourraient encore se multiplier. 

Le 12 décembre, un accord de partenariat stratégique dans l’industrie a ainsi été signé à Abou Dabi pour le partage des connaissances sur le marché chinois.

Une perle éclatante

Ces développements fortifient des liens existants. La Chine et les EAU ont officiellement établi des liens diplomatiques en 1984, et les investissements chinois aux Émirats ont augmenté de façon marquée au cours des dix dernières années, coïncidant à la fois avec l’expansion économique de la Chine dans la région et l’essor rapide des Émirats arabes unis en tant qu’acteur régional. 

L’année dernière, des personnalités des deux pays ont proposé d’approfondir les liens économiques et d’établir un accord de libre-échange. La Chine voit les EAU comme une perle éclatante sur la nouvelle route de la soie, stratégie pour le développement mondial consistant en un ensemble de liaisons maritimes et ferroviaires entre la Chine et l’Europe. Les EAU ont notamment signé un accord avec la Chine en avril, selon lequel ils pourraient devenir une plaque tournante vitale du commerce terrestre et maritime dans la vision de Beijing. 

Les deux États ont des aspirations et des stratégies régionales différentes pour asseoir leur influence

À l’ordre du jour en juillet figurait la perspective d’une coopération régionale et internationale accrue, énoncée dans seize protocoles d’accord qui mettaient également en évidence une coopération accrue en matière de défense. Abou Dabi et Beijing cherchent à dominer sur le plan économique, se servant de leur influence financière pour devenir des forces puissantes au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. 

Certes, les deux États ont des aspirations et des stratégies régionales différentes pour asseoir leur influence. Abou Dabi cherche à coopérer avec divers acteurs politiques autoritaires et à leur donner des moyens, sous couvert de sécurité et d’humanitarisme.

Contrairement à la Chine, elle subirait directement les conséquences politiques de tout changement de régime démocratique, ce qui pourrait inciter à demander des réformes au sein des Émirats arabes unis eux-mêmes. 

Beijing est moins directement touché par les développements régionaux et affirme préférer la non-intervention dans les affaires internes des États, tout en proposant des projets de développement et d’infrastructure aux pays défavorisés. Par conséquent, ses investissements ont considérablement augmenté en Afrique et au Moyen-Orient ces dernières années.  

Discours de stabilité

Le soutien des EAU à des régimes autoritaires « stables » pourrait profiter à la Chine. Les Émirats misent également sur l’influence croissante de la Chine, se rangeant du côté de Beijing pour poursuivre leurs propres ambitions géostratégiques régionales. 

Pour s’assurer un soutien international important, les Émirats arabes unis pourraient se laisser porter davantage vers la Chine. En tant que membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, la Chine pourrait accorder aux EAU davantage d’impunité pour leurs actions au Yémen, leur soutien à l’offensive du chef de guerre libyen Khalifa Haftar sur Tripoli et pour leurs autres activités régionales, comme au Soudan

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Lors de la réunion du mois dernier, Xi Jinping a déclaré : « La Chine soutient l’engagement des Émirats arabes unis en faveur de la paix et de la stabilité régionales ». Il a également noté que la Chine recherche une « oasis de sécurité » dans la région plutôt qu’une nouvelle « source de troubles ».

Ses paroles font en quelque sorte écho au discours de stabilité des Émirats qu’Abou Dabi adopte pour justifier le soutien aux forces autoritaires et antidémocratiques au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. 

La Chine et les EAU pourraient coopérer davantage pour renforcer les acteurs politiques régionaux. Tous deux pourraient chercher à reconstruire la Syrie, déchirée par la guerre depuis 2011 et les soulèvements qui n’ont pas réussi à renverser le président Bachar al-Assad.

Alors que l’Union européenne et les États-Unis refusent de reconstruire le pays , et que les alliés d’Assad, la Russie et l’Iran, n’ont pas les capacités financières nécessaires pour jouer un rôle de premier plan, des questions se sont posées pour savoir qui a les moyens de financer les infrastructures et le développement de la Syrie. 

La Chine et les EAU sont désignés comme candidats potentiels pour cela, d’autant plus que les Émirats ont rouvert leur ambassade à Damas en décembre dernier. En fin de compte, cela permettrait de maintenir un régime autoritaire en Syrie. Avec la consolidation du régime d’Assad, les espoirs réformistes déclineraient. 

Bloquer toute réforme

Au Soudan, les EAU et l’Arabie saoudite ont cherché à donner du pouvoir au Conseil militaire de transition et à bloquer tout espoir de réforme. La Chine pourrait jouer un rôle plus affirmé en investissant dans tout futur régime soudanais, sans soutenir particulièrement l’une ou l’autre des parties. La Chine et la Russie ont récemment refusé de soutenir un gel de la fermeture prévue d’une mission de maintien de la paix dans la région soudanaise du Darfour. 

La Chine a également soutenu de manière controversée un programme de « rééducation » pour des millions de musulmans ouïghours, suscitant de nombreuses critiques de la part des groupes de défense des droits de l’homme, bien que d’innombrables pays aient gardé le silence. 

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Se servant du prétexte de la lutte contre le terrorisme pour cibler les Ouïghours, la politique de la Chine correspond quelque peu à celle des EAU dans leur répression régionale contre les Frères musulmans.

Les Émirats ont donc soutenu la répression de la Chine. Xi Jinping les a remerciés pour leur soutien à la politique de Beijing dans le Xinjiang, tandis que le prince héritier d’Abou Dabi a déclaré que les EAU seraient prêts à « frapper les forces extrémistes terroristes conjointement » avec la Chine.

Comme pour le soutien d’autres pays aux actions de la Chine, Abou Dabi fait passer la prospérité économique avant les valeurs morales, car le soutien à la répression des Ouïghours garantit encore davantage les liens économiques avec Beijing et, probablement, un soutien supplémentaire à leur propre programme régional. En tant qu’État islamique influent, ils donnent à la Chine une caution supplémentaire pour faire avancer son programme de rééducation.

Une nouvelle ère ?

Nous assistons peut-être au début d’une ère où les EAU dominent davantage la région

Néanmoins, la Corne de l’Afrique présente des risques pour les relations entre les Émirats arabes unis et la Chine. Les deux États cherchent à contrôler les ports de Somalie et de ses régions autonomes, dans le but d’accroître leur influence en mer Rouge, en particulier le long du détroit stratégique de Bab-el-Mandeb.

L’influence économique croissante de la Chine dans cette zone menace l’influence d’Abou Dabi. Djibouti a nationalisé son port de Doraleh, qui était sous le contrôle des EAU, et a plus tard autorisé Beijing à prendre une participation. Bien que cela ne compromette probablement pas leurs derniers accords, il s’agit tout de même d’un scénario qui pourrait mettre à l’épreuve les relations sino-émiraties. 

Ces derniers accords, quant à eux, pourraient annoncer le début du renforcement des liens entre Abou Dabi et Beijing, ce qui pourrait influer sur les développements régionaux. Et puisque les EAU se servent de plus en plus leur poids diplomatique pour rallier d’autres États – de la Russie et la Chine aux alliés traditionnels tels que les États-Unis et le Royaume-Uni – nous assistons peut-être au début d’une ère où les EAU dominent davantage la région. 

- Jonathan Fenton-Harvey est journaliste et chercheur. Il se concentre sur les problèmes politiques et les conflits au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @jfentonharvey

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) et actualisé par VECTranslation.

Jonathan Fenton-Harvey is a journalist and researcher focusing on conflict, geopolitics and humanitarian issues in the Middle East and North Africa. He has also worked for Al Sharq Forum, where he mostly researched Yemen and the UAE's regional foreign policy. Follow him on Twitter: @jfentonharvey
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