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Crise libyenne : le Qatar et l’Égypte sont-ils en train de préparer un accord ?

La récente rencontre entre Abdel-Fattah al-Sissi et Tamim ben Hamad al-Thani pourrait marquer une première étape vitale pour aligner les mécènes étrangers sur une solution politique
L’émir du Qatar, le cheikh Tamim ben Hamad al-Thani (à droite), rencontre le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi (à gauche) à Doha, le 13 septembre 2022 (Qatar News Agency)
L’émir du Qatar, le cheikh Tamim ben Hamad al-Thani (à droite), rencontre le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi (à gauche) à Doha, le 13 septembre 2022 (Qatar News Agency)

Lorsque le président égyptien Abdel-Fattah al-Sissi est arrivé à Doha le 13 septembre, les commentateurs n’ont pas tardé à interpréter sa visite comme celle d’un débiteur venu rencontrer un créancier important dans le Golfe.

Ce qui est déjà remarquable, étant donné que les relations entre les deux pays sont assez froides depuis le coup d’État militaire de 2013 en Égypte.

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Pourtant, il y a plus remarquable encore. L’Égypte comme le Qatar se sont ménagés un espace pour des relations bilatérales qui vont au-delà des liens financiers pour s’étendre aux portefeuilles géostratégiques – la Libye étant le plus pressant dernièrement.

En tant qu’État autoritaire avec un bilan désastreux en matière de droits de l’homme, l’Égypte a du mal à se présenter comme partenaire régional indispensable pour l’Occident.

Ne prenant pas position dans le contexte de la guerre en Ukraine et maintenant des relations avec le régime d’Assad en Syrie tout en réprimant toute forme de société civile sur le plan national, l’Égypte a montré sa volonté ces dernières années de se présenter comme négociateur à part entière dans la région.

Ici, le Qatar a été un multiplicateur de force important pour l’Égypte, en particulier à Gaza.

Le Qatar, qui s’engagé dans une politique plus activiste face au Printemps arabe depuis l’arrivée au pouvoir en 2013 du cheikh Tamim ben Hamad al-Thani, s’est souvenu de qu’il fait le mieux : rassembler des acteurs improbables pour servir de médiateurs à des solutions politiques dans des conflits violents.

C’est en cela que le Qatar est devenu particulièrement attractif pour l’Égypte. L’approche équilibrée du Qatar vis-à-vis de la région depuis l’apogée du Printemps arabe a transformé l’État du Golfe aux yeux du Caire : de menace pour la sécurité du régime à négociateur pragmatique dont les réseaux peuvent faire avancer les intérêts régionaux de l’Égypte. 

Crainte d’une contagion de l’instabilité

Il demeure des différences idéologiques à l’égard de la position anti-autoritaire du Qatar, ainsi que l’approche plus inclusive de Doha face à l’engagement multipartite. Mais en ce qui concerne la Libye, l’approche multilatérale plutôt quiétiste du Qatar depuis 2014 semble offrir un degré de pragmatisme nécessaire pour assurer les intérêts égyptiens.

L’équidistance de Doha entre le Caire et Ankara permet au Qatar de jouer un rôle de médiateur dans ce qui était une division est-ouest en Libye, laquelle a dégénéré ces dernières années en conflit prolongé et multipolaire plus limité aux lignes idéologiques. 

Des combattants fidèles au gouvernement d’union libyen photographiés à Tripoli après des affrontements entre groupes rivaux, le 27 août 2022 (AFP)
Des combattants fidèles au gouvernement d’union libyen photographiés à Tripoli après des affrontements entre groupes rivaux, le 27 août 2022 (AFP)

C’est là que l’establishment militaire égyptien pourrait avoir réévalué la situation sécuritaire en Libye, après les violents affrontements à Tripoli il y a quelques semaines qui ont ramené le pays au bord de la guerre civile.

Pendant des années, l’Égypte a investi dans les infrastructures contre-révolutionnaires que les Émirats arabes unis ont aidé à mettre en place dans l’Est de la Libye.

Ayant pour objectif de maintenir la stabilité dans l’Est de la Libye face au chaos post-révolutionnaire, l’armée égyptienne est depuis longtemps convaincue que la sécurité de la frontière égypto-libyenne avait de meilleures chances d’être assurée par un homme fort exerçant le monopole de la violence. 

Le seigneur de guerre Khalifa Haftar semblait être tout désigné. Mais après plusieurs coups d’État et d’innombrables opérations militaires ratés en plus de huit ans, cet homme fort vieillissant – autrefois assez puissant pour coopter et faire plier l’Est de la Libye – semble aujourd’hui trop faible pour empêcher ses rivaux de l’Ouest de la Libye de remettre en cause sa légitimité. 

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Le plus proche partenaire de l’Égypte, les Émirats arabes unis, a ponctuellement montré que sa capacité à contrôler son intermédiaire Haftar et sa soi-disant Armée nationale libyenne (ANL) était limitée.

Et si en ce qui concerne les Émirats arabes unis, comme le Qatar, la situation en Libye a peu d’implications directes sur la sécurité nationale, l’Égypte n’a pas le luxe de tenter des choses en Libye. La crainte d’une contagion de l’instabilité est réelle et date d’avant la révolution de 2011. 

Pendant ce temps, le Qatar, qui s’est éloigné de la Libye en 2014, est devenu un acteur moins contesté pour l’Égypte.

Bien que le Qatar, contrairement aux Émirats, ne s’est jamais engagé en Libye pour imposer sa vision du pays, le soutien de Doha aux révolutionnaires à travers l’échiquier politique, principalement les islamistes est une épine dans le pied de l’armée au Caire, obsédée par la sécurité du régime.

Avec l’arrivée au pouvoir du cheikh Tamim en 2013, le Qatar s’est éloigné de ses aventures libyennes pour soutenir l’ONU et les autres acteurs extrarégionaux cherchant une solution politique multilatérale, tandis que la Turquie est devenue bien plus active sur le terrain.

Aujourd’hui, comme le suggérait l’émir du Qatar lors de son discours à la 77e assemblée générale de l’ONU, Doha cherche à construire un cadre politique reposant sur le consensus et la légitimité, qui verrait tous les groupes armés sous contrôle civil unis dans une armée nationale unique – un objectif plutôt ambitieux, mais qui vise le cœur de la crise politique. 

Rivalité polarisante

L’Égypte, réalisant que son engagement unilatéral avec les factions de l’Est de la Libye a jusqu’à présent échoué à générer une stabilité durable à long terme le long de sa frontière occidentale, pourrait être désormais plus encline à jeter des ponts vers l’Ouest.

Le conte de deux gouvernements n’a pas créé d’équilibre des pouvoirs, mais plutôt une rivalité polarisante concernant les ressources, les institutions et le territoire.

Et sa tentative ratée de s’emparer de Tripoli il y a quelques semaines a fait paraître faible Fathi Bachagha, Premier ministre alternatif de l’Est.

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Abdul Hamid Dbeibah, Premier ministre du gouvernement d’union soutenu par l’ONU s’est révélé plus résilient que ne le pensait l’Égypte. 

Le sujet tabou reste les Émirats arabes unis et leurs réseaus dans le pays, les plus grands pilleurs en Libye.

Les réseaux d’Abou Dabi en Libye sont très influents, transcendent les domaines de la sécurité et de la politique pour inclure des acteurs médiatiques et tribaux.

Par ailleurs, les EAU mettent sur la table une dimension géostratégique, ce que ni l’Égypte ni le Qatar ne peuvent faire. Après tout, ce sont les Émirats arabes unis qui ont facilité l’entrée de la Russie dans ce conflit.

Pour Abou Dabi, l’espèce de réseau milicien qui se présente sous le nom d’ANL sous Haftar reste le joyau de la couronne de son engagement en Libye. 

Toute solution politique discutée par le Qatar et l’Égypte sera bancale si Haftar – ou du moins par extension ses fils – est représenté, chose sur laquelle travaille le Qatar.

Il ne faut pas oublier que les parrains de l’ANL au Caire et à Abou Dabi sont des régimes reposant sur le secteur de la sécurité et que le Qatar aura du mal à construire un mécanisme de contrôle civil significatif

La principale question est dans quel mesure le réseau de patronage de Haftar autour de l’ANL est désireux de se soumettre à un contrôle civil.

Il ne faut pas oublier que les parrains de l’ANL au Caire et à Abou Dabi sont des régimes reposant sur le secteur de la sécurité et que le Qatar aura du mal à construire un mécanisme de contrôle civil significatif, même si l’Égypte et les Émirats arabes unis s’accordent sur un cadre politique. 

C’est pourquoi il est prématuré de parler d’un accord en Libye. L’Égypte comme le Qatar seraient bien avisés de ne pas faire d’annonce trop hâtive concernant un nouvel accord qui partirait en fumée dès qu’il est confronté à la réalité du terrain. Les principaux intermédiaires et acteurs doivent être alignés. Néanmoins, voir le Qatar et l’Égypte s’asseoir pour discuter de la Libye pourrait être un premier pas vital pour l’alignement des mécènes externes. 

Andreas Krieg est professeur assistant au département d'études de la défense du King's College de Londres et consultant spécialisé dans les risques stratégiques pour des clients gouvernementaux et commerciaux au Moyen-Orient. Il a récemment publié un livre intitulé Socio-Political Order and Security in the Arab World.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Dr. Andreas Krieg is an associate professor at the Defence Studies Department of King's College London and a strategic risk consultant working for governmental and commercial clients in the Middle East. He recently published a book called 'Socio-political order and security in the Arab World'.
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