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Les pays du Golfe, futurs intermédiaires dans la nouvelle guerre froide entre les États-Unis et la Chine ?

Alors que les tensions augmentent entre les deux superpuissances, les États du Golfe – historiquement ancrés dans la sphère d’influence des États-Unis – nouent des relations de plus en plus étroites avec la Chine
Des silhouettes en carton du président chinois Xi Jinping et du président américain Donald Trump devant une échoppe de souvenirs à Moscou, le 3 juin (AFP)
Des silhouettes en carton du président chinois Xi Jinping et du président américain Donald Trump devant une échoppe de souvenirs à Moscou, le 3 juin (AFP)

L’escalade des tensions entre les États-Unis et la Chine a d’importantes conséquences sur l’ordre international : elle suscite des problèmes non seulement pour les puissances occidentales, mais également pour les États plus petits qui tombent dans leurs sphères d’influence.

Cela comprend les pays du Golfe, de plus en plus pris par la concurrence entre ces deux grandes puissances.

Les États du Conseil de coopération du Golfe (CCG) – Arabie saoudite, le Koweït, Oman, le Qatar, Bahreïn et les Émirats arabes unis – sont historiquement ancrés dans la sphère d’influence américaine. Mais ils nouent des relations de plus en plus étroites avec la Chine, tirant soigneusement profit de leurs emplacements géostratégiques, de leurs puissances financières et de leurs ressources en hydrocarbures.

En faisant jouer la concurrence entre les superpuissances, ils prospèrent en tant qu’États « entre les deux » – du moins pour le moment.

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Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis ont promu un ordre international libéral, reposant sur la loi du marché libre.

Cela a bénéficié aux économies capitalistes avancées, surtout aux États-Unis. Mais l’influence de cet ordre libéral, et avec elle, l’emprise américaine sur la dynamique des puissances internationales, commence à décliner.

La Chine offre des alternatives à l’orthodoxie du marché libre occidental, apprenant à adapter efficacement son capitalisme d’État à l’économie mondiale, venant défier efficacement la suprématie américaine dans les secteurs hautement stratégiques en investissant massivement dans la technologie et l’innovation.

Le déclin de l’hégémonie mondiale des États-Unis, si ces derniers venaient à perdre leur position de leader mondial dans le domaine de la technologie, est une inquiétude croissante à Washington.

Cette situation est aggravée par l’isolationnisme et la posture conflictuelle du président Donald Trump à l’égard de la Chine, et la projection de puissance militaire croissante de la Chine dans le Pacifique ouest.

Cependant, les deux puissances répugnent à s’affronter ouvertement sur le plan militaire, malgré cette curieuse confrontation, car leurs économies sont hautement interdépendantes, et que la Chine est profondément impliquée dans les chaînes d’approvisionnement mondiales.

Jusqu’à présent, cela a conduit à un nouveau type de guerre froide, où les deux rivaux s’affrontent dans des arènes par procuration, notamment via des guerres commerciales, le COVID-19, Hong Kong, etc. 

Mais comme lors de la guerre froide originelle, il existe d’autres manifestations moins médiatisées de ce conflit par procuration dans d’autres régions du monde. 

Le Golfe dépend de la Chine pour l’achat d’une part significative de ses exportations d’hydrocarbures, tout comme l’industrie chinoise dépend de ces importations

L’essor de la Chine dans le Golfe se manifeste alors que l’influence américaine décline. Étant donné l’importante présence militaire américaine dans le Golfe, cela ne mène, pour l’instant, nulle part. L’influence américaine dans le domaine de la sécurité restera probablement intacte, grâce à des décennies de formation militaire et d’achats de matériel orientés vers l’Occident. Les centres financiers occidentaux resteront également un centre clé des investissements du Golfe.

Cependant, l’influence de la Chine grandit inexorablement dans les monarchies du Golfe, d’un pied de plus en plus sûr. Le Golfe dépend de la Chine pour l’achat d’une part significative de ses exportations d’hydrocarbures, tout comme l’industrie chinoise dépend de ces importations. S’appuyant sur ce point commun, les investissements chinois à travers les monarchies augmentent.

Le Golfe est un centre important dans l’initiative de la nouvelle route de la soie chinoise, ce qui stimule la rivalité entre les nations du Golfe en compétition pour les investissements chinois.

Les investissements du Golfe se sont diversifiés vers l’est ces dernières années, se détournant de leurs lieux de prédilection traditionnels, les marchés de capitaux et les investissements immobiliers occidentaux.

Dans le domaine de la sécurité, la Chine tient un rôle de niche important.

Pas de parti pris dans les querelles régionales

Alors que les réglementations internationales empêchent les nations occidentales de vendre du matériel tels que des drones (bien que les Américains tentent d’assouplir ces restrictions), l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis les acquièrent auprès de la Chine, les déployant dans des conflits tels que les guerres au Yémen et en Libye. 

Ce type de ventes d’armes va probablement se développer mais on estime improbable que l’armée chinoise joue un plus grand rôle dans la région.

Les forces chinoises ne sont pas en mesure de s’impliquer dans la région de manière significative et la doctrine chinoise suggère une réticence à se laisser enliser dans les difficultés régionales – notamment parce que la Chine refusera résolument de prendre parti dans les querelles régionales, notamment entre les États du CCG et l’Iran, autre fournisseur important d’hydrocarbures pour la Chine.

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Être coincé entre deux colosses peut amener à faire des choix difficiles. La transition historique actuelle, avec ces fluctuations géopolitiques, présente toutefois des défis et des opportunités. À ce stade, la position des membres du CCG semble plus favorable que celle d’autres États.

Les pouvoirs économique et politique dans le Golfe ne sont pas toujours nettement séparés comme ils le sont en Europe. Cela contribue à apaiser les tensions qui ont alimenté les divisions au sein de l’Union européenne.

Et si l’Europe représente un atout géostratégique inestimable qui permet aux États-Unis le luxe d’un partenariat qui ne leur coûte pas grand-chose pour l’équilibre à l’étranger, le Golfe a toujours eu besoin de la protection américaine.

Les États du Golfe sont des alliés coûteux, il est donc difficile pour les États-Unis de conserver plus qu’une présence sécuritaire nécessaire tout en continuant à fournir des armements.

Les membres du CCG sont également moins inhibés en ce qui concerne le fait de nouer des liens plus étroits avec la Chine malgré son passif en matière de droits de l’homme et ses actions à Hong Kong.

Les États du Golfe ont même signé une lettre à l’ONU approuvant le comportement de la Chine au Xinjiang, rejetant les allégations selon lesquelles elle persécute sa minorité musulmane ouïghoure.

Les membres du CCG pourraient continuer à récolter les bénéfices sécuritaires d’une présence américaine dans la région tout en profitant de la coopération économique de la Chine

Mais les monarchies du Golfe pourraient être affectées par les tensions croissantes dans la mer de Chine méridionale, étant donné leurs conséquences potentielles sur le transit international de pétrole.

Si le conflit entre les États-Unis et la Chine présente certaines similarités avec la guerre froide, la distribution internationale du pouvoir n’est plus bipolaire, comme elle l’était pendant la guerre froide originelle. Nous sommes plutôt dans un ordre post-américain qui évolue dans une direction fragmentée et incertaine. 

Cela pourrait amener les membres du CCG dans des directions opposées. Ils pourraient continuer à récolter les bénéfices sécuritaires d’une présence américaine dans la région tout en profitant de la coopération économique de la Chine.

Toutefois, si les tensions entre les États-Unis et la Chine continuent de s’accroître à travers le monde, le Golfe pourrait être entraîné, en tant qu’intermédiaire, dans cette nouvelle guerre froide.

Zeno Leoni est chargé de cours en « Défis pour l’ordre international » au département des études de défense au King’s College de Londres, associé au Lau China Institute et chercheur invité à l’Universidad Nebrija. Ses recherches actuelles se concentrent sur la nouvelle guerre froide entre les États-Unis et la Chine.

David B. Roberts est professeur adjoint au département d’études de sécurité au King’s College de Londres. Il est l’auteur de Qatar: Securing the Global Ambitions of a City State.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Zeno Leoni is a Teaching Fellow in "Challenges to the International Order" at the Defence Studies Department of King's College London, an affiliate to the Lau China Institute and a visiting scholar at Nebrija University. He is currently researching on the New Cold War between the US and China.
David B Roberts is Assistant Professor at the School of Security Studies, King’s College London. He is author of Qatar: Securing the Global Ambitions of a City State.
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