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Échec cuisant de la sécurité française avant les attentats de Paris

Comme lors des attaques contre Charlie Hebdo, les services de sécurité, en charge de la surveillance de militants suspects connus, ne sont pas parvenus à empêcher les attentats

Au lendemain des attaques terroristes survenues à Paris et ayant causé la mort de 129 personnes, sans compter les centaines de blessés, les hauts fonctionnaires français reconnaissaient déjà que de graves erreurs ont été commises. Les défaillances répétées des services de renseignement combinées à un manque évident de surveillance ont permis à de nombreux citoyens français de s’organiser en commando suicide dans l’objectif de tuer le plus grand nombre possible de leurs compatriotes.

Dans les heures qui ont suivi le carnage de vendredi, un suspect lié aux atrocités a été arrêté par la police avant d’être relâché par erreur. Salah Abdeslam, 26 ans, est, semble-t-il, la personne responsable de la logistique de l’opération, assurant la coordination des activités de trois « équipes » d’individus appartenant au groupe État islamique ayant pour cible le Stade de France, la salle de concert du Bataclan, ainsi qu’un grand nombre de cafés et de restaurants. Il a loué les chambres d’hôtel et les véhicules impliqués dans les attaques en son propre nom, dont un véhicule retrouvé dans la banlieue parisienne et dans lequel se trouvaient trois fusils d’assaut de type AK-47.

Salah Abdeslam a utilisé sa propre carte bancaire pour chacune des transactions, et il a présenté sa carte d’identité lors du « contrôle » routier organisé par les forces de l’ordre sur l’autoroute A2 alors qu’il se dirigeait rapidement vers la Belgique en compagnie de deux collaborateurs non identifiés.

Malgré le fait que le nom de Salah Abdelsam figurait sur la liste des suspects « les plus recherchés » à ce moment-là, « l’ennemi public numéro un » au sein de l’Europe toute entière – une personne susceptible d’avoir toujours des armes en sa possession et capable de frapper à nouveau à tout moment – toutes les personnes présentes dans le véhicule ont été autorisées à reprendre la route, avant d’abandonner le véhicule en banlieue belge et de disparaître.

La police française a depuis reconnu le lien existant entre Salah Abdeslam et les véhicules loués, ce qui aurait dû permettre son arrestation immédiate. Il convient de souligner qu’il existait des raisons impérieuses pour lesquelles Salah Abdeslam aurait dû être constamment sous surveillance, quoi qu’il en soit.

Corinne Narassiguin, porte-parole du Parti socialiste français, fait partie des personnes qui ont dénoncé les « failles chroniques dans le renseignement ». De nouvelles mesures ont été décidées par le parlement afin de renforcer la surveillance, dont la création de 2 000 emplois axés sur la lutte contre le terrorisme, mais Corinne Narassiguin a reconnu le fait suivant : « Malheureusement toutes ces mesures ne sont pas encore entièrement opérationnelles à l’heure actuelle ».

Il est néanmoins intéressant de remarquer qu’il existe des points communs entre les auteurs des attentats du vendredi 13 novembre et ceux ayant perpétré les attaques contre Charlie Hebdo, entraînant la mort de dix-sept personnes à Paris en janvier. Non seulement il s’agit de militants liés à la fois à l’État islamique et à al-Qaïda, mais ils ont été élevés dans des cloaques défavorisés et connus pour leurs taux élevés de criminalité. Parmi les assaillants, de nombreuses personnes ont été incarcérées dans les prisons françaises qui, depuis de nombreuses années, ont la réputation d’être un lieu de recrutement pour les groupes militants.  

Au lendemain des tueries de Charlie Hebdo, le ministre français de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, avait reconnu que la surveillance des frères franco-algériens incriminés dans l’attaque avait été interrompue seulement quelques mois plus tôt.

Chérif Kouachi avait été mis sous surveillance jusqu’à la fin de l’année 2013, et son frère, Saïd, jusqu’à l’été 2014. Les deux hommes avaient été placés sous surveillance dès 2003, lorsque la cellule des Buttes-Chaumont – qui porte le nom d’un parc de Paris – commença à attirer des militants potentiels dans la région de Paris. Chérif avait été arrêté en janvier 2005 au moment où il s’apprêtait à quitter Paris pour se rendre en Syrie, passerelle pour ceux qui souhaitent combattre les troupes américaines en Irak.

Les hauts responsables américains et britanniques ont précisé que les deux frères, Chérif et Saïd, figuraient sur la liste des terroristes à surveiller au sein des deux pays, et qu’ils étaient également sur la liste des personnes interdites de vol aux États-Unis. Mais, en 2015, les autorités françaises ont considéré que les frères Kouachi étaient désormais d’anciens terroristes. Ils étaient tous deux mariés à cette époque – Saïd était père d’un enfant en bas âge – et ils avaient peu de points en commun avec la jeune génération de radicaux présents sur Internet.

Les frères Kouachi s’étaient apparemment tenus à l’écart de toute activité susceptible d’attirer l’attention des services de sécurité et des agences en charge de l’application de la loi lorsqu’au moins l’un d’entre eux revint en France après un séjour au Yémen, pays dans lequel il avait fort probablement été formé par al-Qaïda.

Les contrôles judiciaires mis en place pour Chérif Kouachi ont également été considérés comme une mascarade. Des sources juridiques de Paris ont indiqué à MEE que les services de police ignoraient facilement la procédure relative à l’obligation, pour les personnes surveillées, de se rendre régulièrement au commissariat de police. C’est uniquement après trois ou quatre non-présentations que le tribunal est finalement prévenu. Même dans ce cas, il est peu probable qu’un juge dépose une requête suite au non-respect des consignes appliquées aux anciens détenus. Voici une autre raison pour laquelle Chérif a pu contourner le dispositif de surveillance.

À l’époque, Bernard Cazeneuve avait insisté sur le fait que les interceptions des communications téléphoniques ou autres des frères Kouachi avaient pris fin sur ordre de la CNCIS (Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité) – l’autorité indépendante en charge des enquêtes de ce type.

Le lundi 12 janvier, quelques jours après la tuerie de Charlie Hebdo, la CNCIS a rejeté ces allégations, en déclarant : « À aucun moment la Commission a refusé de surveiller les téléphones des frères Kouachi. Les affirmations contraires sont, par conséquence, au mieux, inexactes, au pire, une manipulation ». Pour de nombreuses personnes, le gouvernement français avait déjà commencé à dissimuler des faits.

Il fut découvert, plus tard, que le dossier de renseignement sur Saïd contenait moins de deux pages, et qu’aucun élément n’avait été ajouté au dossier après 2012. Et ce, malgré le fait que le dossier avait été classé « S » pour sécurité d’État, et présentait Saïd comme étant « lié au mouvement islamiste radical international », ce qui signifiait que « ses déplacements à l’étranger sont, par définition, de nature à compromettre la sécurité nationale ». 

Alors qu’il purgeait l’un de ses courtes peines à la prison de Fleury-Mérogis, Cherif a fait la connaissance d’Amédy Coulibaly, auteur de vols à main armée particulièrement violent. Les agents de libération conditionnelle et d’autres responsables avaient informé les autorités qu’Amédy Coulibaly s’était radicalisé, mais aucun dispositif n’avait été mis en place pour surveiller ses activités, une fois sorti de prison. Il est responsable du meurtre de clients juifs et d’une policière en janvier, alors que les frères Kouachi ont tué douze personnes, dont les caricaturistes et journalistes de Charlie Hebdo.

Au lieu de tirer les enseignements qui s’imposent de ces défaillances, les autorités françaises ont permis à d’autres personnes, partageant des points communs avec les personnalités des frères Kouachi et d’Amédy Coulibaly, de mener à bien des attaques encore plus dévastatrices. Ismaël Omar Mostefaï, 29 ans, l’un des autres membres du commando suicide de la semaine dernière, était un criminel notoire condamné à huit reprises entre 2004 et 2010 dans la banlieue parisienne de Courcouronnes, à moins de 30 km des lieux du carnage. Il avait également été classé comme une personne susceptible de se radicaliser il y a cinq ans, a indiqué le procureur français, François Molins.

Les autorités ont à plusieurs reprises affirmé que des complots terroristes ont été déjoués depuis le mois de janvier, mais presque tous concernaient des cas de moindre importance, impliquant généralement des personnes souffrant de problèmes mentaux et des fanatiques en quête de reconnaissance médiatique.

Alors que les agences de sécurité algériennes avaient apparemment lancé des avertissements en lien avec les attaques de Charlie Hebdo dans les jours précédant la tuerie, des informations, d’une importance cruciale, avaient également été reçues d’Irak avant les attentats à la bombe du Stade de France et du Bataclan. Les autorités n'ont pas traité ces informations en priorité en raison de la quantité importante d’informations potentiellement crédibles en provenance de ces pays, et ce n’est qu’après la tuerie qu’elles ont été prises au sérieux.  

De nombreuses raisons sont actuellement avancées suite aux attentats de vendredi, mais il convient néanmoins de mettre en avant un fait indiscutable, à savoir que, pour la seconde fois cette année, les opérations de sécurité menées par l’État français ont connu un échec cuisant. Alors que le président François Hollande a auto-proclamé une « guerre » contre l’État islamique d’Irak et de Syrie en intensifiant les bombardements contre le fief du groupe en Syrie, il devrait reconnaître qu’il est encore plus important de protéger la vie des Parisiens et de ceux qui visitent la ville que de détruire les ennemis à l’étranger.
 

- Peter Allen est un journaliste britannique indépendant basé à Paris, France.

Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : Des personnes allument des bougies à l’extérieur de la boucherie Petard, à Chailles, dans le centre de la France, le 17 novembre (AFP).

Traduction de l’anglais (original) par STiil Traduction.

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