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Égypte : tensions autour des lieux de culte chrétiens

Le 6 janvier, Sissi et le pope Théodore II assistent à l’inauguration d’une cathédrale, à l’est du Caire, au cœur de la future capitale administrative. Un événement qui cache mal les tensions grandissantes autour des lieux de culte chrétiens

En Égypte, la construction des lieux de culte chrétiens, notamment des églises coptes orthodoxes, pose problème, et ce, depuis des siècles.

Après 160 ans de restrictions et de contraintes bureaucratiques qui remontent à la période ottomane, une nouvelle loi, censée réglementer et faciliter la construction, la restauration et la régularisation des églises en Égypte a été adoptée le 30 août 2016. 

Des chrétiens coptes égyptiens célèbrent Noël au Caire le 6 janvier 2016 (AFP)

Cette dernière vient abroger une réglementation basée essentiellement sur ce qui a été appelé les « dix règles » de 1934 en vertu desquelles il était notamment interdit de construire de nouvelles églises près des écoles, des canaux, des bâtiments gouvernementaux, des chemins de fer et des zones résidentielles. 

Pendant plus de huit décennies, ces règles ont empêché la construction d’églises dans des villes et surtout des villages qui, parfois, sont habités essentiellement par des chrétiens, en particulier en Haute-Égypte.

Des églises ont encore été la cible de groupuscules extrémistes musulmans : les manifestants reprochent aux chrétiens d’entretenir des lieux de culte en l’absence de permis

Cependant, en traitant exclusivement des lieux des culte chrétiens et non pas de tous les lieux de culte, cette nouvelle loi est jugée discriminatoire par un certain nombre d’observateurs coptes qui estiment qu’elle vient consacrer le statut de citoyens de seconde catégorie qui leur est réservé en Égypte. 

En effet, leur souhait était de voir naître une loi globale, traitant de tous les lieux des culte sans distinction aucune. 

Par ailleurs, dans de nombreuses provinces, les restrictions ont toujours cours et des églises ont encore été la cible de groupuscules extrémistes musulmans ces deux dernières années.  Les manifestants reprochent souvent aux chrétiens d’entretenir des lieux de culte en l’absence de permis. De leur côté, les chrétiens soutiennent avoir toujours cherché à régulariser leur situation en vertu de la loi de 2016. En vain.

Incidents récurrents

Dernier incident en date : l’attaque, la nuit du 6 janvier, d’un édifice privé à Mansheyat Zaafarana, dans la province de Minya, au sud de l’Égypte, par des villageois musulmans qui reprochaient aux fidèles chrétiens d’en faire un lieu de culte en l’absence d’un permis. 

Les troubles ont commencé lorsque plusieurs centaines de villageois ont encerclé le lieu de culte en hurlant des slogans hostiles en présence des forces de l’ordre qui, dans le but de les calmer, ont encore une fois promis aux manifestants de fermer le lieu de culte, ce qui se produisit effectivement. 

Des chrétiens coptes égyptiens assistent à une messe le 24 juillet 2016 dans les ruines d’une chapelle de fortune incendiée quelques mois avant au cours d’affrontements dans le village égyptien d’Ismaïlia (AFP)

Ironie de l’histoire, les événements ont eu lieu quelques heures seulement après l’inauguration de la nouvelle cathédrale de la Nativité du Christ dans la future capitale administrative égyptienne, présentée par les autorités égyptiennes comme la plus grande église du Proche-Orient et comme le symbole de la coexistence des religions en Égypte.

« Il existe des dizaines d’églises dans différentes provinces qui n’ont pas de permis de construction, ni de certificat de propriété car elles ont été construites depuis des décennies », explique Hany Danial, journaliste et ex-membre du Comité de gestion des crises du Saint-Synode (la plus haute autorité ecclésiale de l’Église copte orthodoxe) à Middle East Eye.

Les autorités laisseraient le champ libre à des meutes infiltrées par les salafistes pour dicter leur propre loi, ce qui souvent donne lieu à la fermeture du lieu de culte

Pour lui, le problème concerne davantage les lieux de culte des chrétiens coptes orthodoxes car le ministère de l’Intérieur « appréhende l’octroi des autorisations de construction pour l’Église orthodoxe de peur d’éveiller les sentiments de certains musulmans car la construction de l’édifice implique celle d’un dôme et d’une croix, contrairement aux édifices de l’Église anglicane qui en sont dépourvus ».

Selon nombre d’observateurs, échouant à intervenir de manière ferme pour faire respecter la loi républicaine, les autorités laissent le champ libre à des meutes infiltrées par les salafistes pour dicter leur propre loi, ce qui souvent donne lieu à la fermeture du lieu de culte, voire même à des violences à l’égard des fidèles chrétiens.  

La double posture des autorités

Pour Peter Magdy, journaliste et chercheur spécialisé dans les questions se rapportant aux chrétiens d’Égypte, sollicité par MEE, « il existe un fossé entre le discours des autorités égyptiennes, à leur tête le président Abdel Fattah al-Sissi, qui essaient de promouvoir la tolérance et la coexistence interreligieuse et la vision de larges franges de la société égyptienne qui ont été longtemps habituées à l’hostilité aussi bien discursive que politique à l’égard des chrétiens. D’où les tensions récurrentes, plus particulièrement dans la province de Minya, connue pour les violences à caractère sectaire ».

Depuis son arrivée au pouvoir, en effet, le président Sissi donne des signes d’ouverture et de l’existence d’une volonté politique d’édifier une unité nationale et une plus grande égalité entre les musulmans et les chrétiens au sein de la société égyptienne. En témoignent notamment ses visites régulières aux offices coptes de Noël ces dernières années.

Le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi et le pape copte d’Égypte Théodore II, en 2015 (AFP)

Cependant, l’intolérance sociale à l’encontre des non musulmans, en particulier des chrétiens, est tellement enracinée que ces derniers sont souvent victimes de violences sectaires encouragées par un climat d’impunité et par le recours systématique aux comités de réconciliation informels dont l’aboutissement est souvent le pardon accordé aux auteurs de crimes.

Une militante pour les droits des minorités en Égypte qui a requis l’anonymat affirme que le mode de traitement habituel de ces violences par les forces de sécurité égyptiennes « consiste  à ne pas arrêter les auteurs des violences. Et quand bien même ils sont arrêtés, ils sont souvent rapidement libérés sans procès ».

À LIRE ► La loi égyptienne sur la construction d’églises anéantit les espoirs d’égalité des chrétiens

Ainsi, les violences récurrentes à l’égard des chrétiens en Égypte ces dernières années tranchent avec le discours rassurant entretenu par les autorités égyptiennes depuis l’arrivée de Sissi au pouvoir qui, rappelons-le, a succédé à Mohamed Morsi dont la présence au sommet de l’État a été entachée par des violences contre des églises

Les chrétiens d’Égypte se retrouvent souvent pris en tenaille entre l’influence grandissante des extrémistes salafistes et la complaisance des autorités qui tardent à prendre le problème à bras-le-corps.

Nourredine Bessadi est enseignant-chercheur à l’Université Mouloud-Mammeri de Tizi Ouzou, en Algérie. Il est en même temps traducteur et consultant indépendant. Il travaille sur les questions se rapportant au genre, aux politiques linguistiques, aux droits humains ainsi qu’à la gouvernance Internet. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @NourrBess.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : célébration de Noël copte au monastère de Saint-Samaan au Caire, janvier 2015 (AFP).

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