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Élections israéliennes : pourquoi Israël a désespérément besoin d’un changement de régime

La question n’est pas Netanyahou ou Gantz, « droite » ou « gauche », mais l’apartheid ou la démocratie
Une officière de la police des frontières israélienne vote dans un isoloir mobile la veille de l’ouverture des bureaux de vote dans le reste d’Israël le 8 avril 2019 (AFP)

Les élections israéliennes de ce mardi s’annoncent très serrées. Avec le Likoud et la liste Bleu Blanc au coude à coude, le Premier ministre sortant Benyamin Netanyahou est certainement le mieux placé pour former un nouveau gouvernement de coalition – mais son rival Benny Gantz pourrait encore prendre sa place.

L’élection a été présentée comme un match entre Netanyahou et « n’importe qui sauf Netanyahou », entre la droite radicale et l’establishment de la sécurité, ou abordée en termes de « blocs » concurrents à la Knesset, avec la droite et les ultra-orthodoxes d’un côté et les partis de centre-droit et de centre-gauche de l’autre.

Mais que signifient ces affrontements électoraux pour les Palestiniens ? 

Changement de régime

Au cours d’une discussion animée par Novara Media la semaine dernière, l’avocate Salma Karmi-Ayyoub a observé que, du point de vue palestinien, différents gouvernements israéliens se succèdent, mais que le régime reste inchangé, un régime qui, « de manière structurelle, constitutionnellement, pratique la discrimination contre les Palestiniens, les exclut et les dépossède. »

Ce n’est pas une analyse que vous trouverez dans la couverture de la politique israélienne réalisée par la plupart des médias occidentaux, où l’expérience palestinienne est si souvent marginalisée ou effacée.

En fin de compte, ce qui est absolument nécessaire, ce n’est pas un changement de gouvernement, mais un changement de régime. La différence est cruciale

Parfois, cela apparaît entre les lignes – comme dans ce récent article du Guardian, qui notait que la « politique de Gantz à l’égard du peuple palestinien ne semble pas très différente de celle de Netanyahou », ajoutant « il [Gantz] évite de parler d’un État palestinien, et fait valoir qu’Israël devrait garder le contrôle de certaines parties de la Cisjordanie et ne jamais renoncer à Jérusalem ».
    
Ou alors, prenez cette manchette dans Haaretz, pour un éditorial écrit par le rédacteur en chef du journal, Aluf Benn : « Avec Gantz comme rival électoral, Netanyahou se bat contre une ancienne version de lui-même. »

Bien que plusieurs petits partis dépassent le seuil électoral, les sondages semblent clairs sur un point : les représentants du Likoud et de Bleu Blanc constitueront à eux deux environ la moitié de la prochaine Knesset.

Vingt-huit des vingt-neuf membres du Likoud à la Knesset qui sont candidats à leur réélection soutiennent l’annexion de tout ou partie de la Cisjordanie occupée – une perspective à laquelle Netanyahou lui-même fait désormais allusion.

Problèmes de sécurité

Le trio de Bleu Blanc, composé de Gantz, Yaïr Lapid et Moshe Ya’alon, soutient les variations du maintien du statu quo, soit sous l’apparence de vagues projets de « séparation » d’avec les Palestiniens, soit avec le rejet explicite d’un État palestinien.

Comme l’a noté Associated Press, « dans une campagne électorale au cours de laquelle abondent les insultes et manque la substance, parler d’un État palestinien… est inexistant ».

(De gauche à droite) Benyamin Netanyahou ; le rabbin Aryeh Deri, dirigeant du parti Shas ; Yaakov Litzman de l’alliance Judaïsme unifié de la Torah ; le ministre des Finances du Likoud, Moshe Kahlon ; et le ministre de l’Éducation, Naftali Bennett (AFP)
(De gauche à droite) Benyamin Netanyahou ; le rabbin Aryeh Deri, dirigeant du parti Shas ; Yaakov Litzman de l’alliance Judaïsme unifié de la Torah ; le ministre des Finances du Likoud, Moshe Kahlon ;

Lorsqu’on considère les positions des autres partis, la grande majorité du prochain Parlement israélien sera composée de politiciens dont l’attitude envers les Palestiniens se caractérise par le rejet de leur droit à l’autodétermination et le soutien à des politiques brutales et illégales contre une population sous occupation.

De Netanyahou à Gantz, en passant par Naftali Bennett et Avi Gabbay, il existe de véritables désaccords sur « ce qu’il faut faire des Palestiniens », des désaccords découlant d’analyses divergentes des relations régionales et internationales d’Israël et des problèmes de « sécurité » internes.

Différences idéologiques 

En outre, il existe des différences idéologiques – mais aussi beaucoup de ressemblances : une conviction du droit d’Israël à toute la terre de la Palestine historique, un soutien à la discrimination institutionnalisée à l’encontre des citoyens non juifs et une opposition à un État palestinien véritablement souverain dans le territoire palestinien occupé ainsi qu’à un seul État démocratique.

Comment fonctionnent les élections israéliennes ?

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Les Israéliens se rendent aux urnes ce mardi 9 avril pour élire les membres de la Knesset, le Parlement israélien qui compte 120 sièges. Ce sera la deuxième élection en quatre ans à peine, suite à la convocation d’élections anticipées par le Premier ministre Benyamin Netanyahou, embourbé dans des scandales de corruption.

Les électeurs voteront pour des partis et non pour des candidats individuels : plus un parti obtient de voix, plus il obtient de sièges à la Knesset.

Cliquez ici pour consulter les profils des partis et candidats.

Après les élections, le président israélien consultera les chefs de parti afin de déterminer la coalition la plus susceptible de former un gouvernement stable.

Le président nommera également le Premier ministre, qui est généralement le chef du parti qui a remporté le plus de sièges.

Il ne s’agit pas de nier les différences probables de stratégie et d’approche entre, par exemple, une coalition « centriste » dirigée par Gantz et une coalition dirigée par Netanyahou redevable aux partis favorables à l’annexion formelle de la Cisjordanie. Les différences sont réelles et présentent des défis distincts et des opportunités de résistance.

En fin de compte, ce qui est absolument nécessaire, ce n’est pas un changement de gouvernement, mais un changement de régime.

La différence est cruciale. Un changement de gouvernement implique le mouvement et les revers de fortunes des partis et des dirigeants politiques. Un changement de régime est quant à lui plus fondamental : la transformation d’un système politique et de ses structures institutionnelles.

Transformation de l’État

Depuis 1948, chaque gouvernement israélien considère les Palestiniens comme un problème à gérer – via un régime militaire, les expulsions, la stratégie du diviser pour régner, la ségrégation et l’exclusion du pouvoir.

Cette déshumanisation fondamentale, enracinée dans le projet du mouvement sioniste avant même la création d’Israël consistant à créer un « État juif » sur une terre abritant une population majoritairement non juive, façonne la politique et les pratiques du régime.

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Dans le cas d’Israël, le changement de régime a donc pour objet de transformer les institutions de l’État qui sont aujourd’hui les moteurs – et les outils – de l’expansion et des privilèges coloniaux des colons en institutions au service des citoyens indépendamment de leur identité ethnique ou religieuse.

Il s’agit d’abroger la législation qui avantage un groupe aux dépens d’un autre. 

La fin de l’ère où le cadre de la solution à deux États façonnait l’engagement international dans le « conflit », et même les relations entre Israël et les Palestiniens eux-mêmes, contribuera à affiner la distinction entre changement de gouvernement et de régime. 

Au fur et à mesure qu’Israël officialisera l’État unique de facto qu’il a créé entre le Jourdain et la Méditerranée, il deviendra de plus en plus clair que la question n’est pas Netanyahou ou Gantz, « droite » ou « gauche », mais l’apartheid ou la démocratie.

- Ben White est l’auteur des ouvrages Israeli Apartheid: A Beginner’s Guide, et Palestinians in Israel: Segregation, Discrimination and Democracy. Ses articles ont été publiés par divers médias, dont Middle East Monitor, Al Jazeera, al-Araby, Huffington Post, The Electronic Intifada, The Guardian et d’autres encore.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Ben White is a writer, journalist, and analyst specialising in Palestine/Israel. His articles have appeared widely in international media outlets, including Al Jazeera, The Guardian, The Independent, and others. He is the author of four books, the latest of which, 'Cracks in the Wall: Beyond Apartheid in Palestine/Israel' (Pluto Press), was published in 2018.
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