La politique africaine de Macron, une cascade d’erreurs et d’approximations
Les promesses étaient belles. Parfois généreuses, à la limite naïves. Mais avec le temps, elles se sont fracassées sur l’implacable réalité d’une relation France-Afrique difficile à remodeler.
Et c’est ainsi qu’au bout d’un mandat, le président Emmanuel Macron, qui avait promis des bouleversements définitifs dans les relations franco-africaines, doit se contenter de relations très conventionnelles avec ses principaux partenaires, peu enclins à se laisser entraîner par l’éphémère enthousiasme d’un chef d’État qui s’est trompé aussi bien sur les enjeux que sur la méthode.
Le retour au point de départ est d’autant plus douloureux pour Macron qu’il intervient dans une conjoncture dans laquelle la France est contrainte d’admettre qu’elle n’a plus les moyens de ses ambitions, et qu’elle perd du terrain même dans son pré carré traditionnel.
À l’entame de l’année 2023, des pays longtemps considérés comme faisant partie de l’arrière-cour de la Françafrique, le Mali et le Burkina-Faso, se rebiffent, faisant subir un nouvel affront à Emmanuel Macron, en renvoyant les ambassadeurs de France à Bamako et à Ouagadougou, épilogue d’une période de tensions qui dure depuis la prise du pouvoir par les militaires dans les deux pays.
Ces décisions sont les dernières d’une longue série de déboires de la diplomatie française en Afrique.
Quelques semaines auparavant, deux éminents ministres français, la cheffe de la diplomatie Catherine Colonna et le ministre de l’Intérieur Gérard Darmanin, s’étaient rendus à Rabat et à Alger pour rétablir des relations consulaires « normales », après une année de brouille.
La crise avait été déclenchée par une décision française de réduire considérablement le nombre de visas accordés aux Maghrébins pour exiger de ces pays qu’ils reprennent leurs ressortissants illégaux devant être expulsés de France. La mesure a été levée, pratiquement sans contrepartie.
Mal pensée, engagée de manière cavalière, elle était supposée cibler la nomenklatura des pays concernés. Elle s’est révélée sans impact significatif et même contreproductive.
Elle a aussi révélé que ceux qui ont conseillé ce type de décisions avaient une vision caricaturale du système de décision algérien : penser qu’il est possible de faire pression sur les dirigeants algériens par le visa est absurde.
Quel intérêt à rester sous une protection supposée de la France ?
Pourtant, Emmanuel Macron, alors candidat à la présidentielle, avait annoncé de belles perspectives. Il avait parlé d’un partenariat nouveau, de la fin de la Françafrique, d’un avenir commun à tracer des deux côtés de la Méditerranée, et d’un avenir à offrir à la jeunesse africaine en Afrique, pas dans la périlleuse aventure de la migration clandestine.
Pour cela, il fallait investir massivement en Afrique, former, oser de nouvelles pistes.
M. Macron se faisait fort d’être l’initiateur de ce nouveau cap, en établissant ce qu’il considère comme un dialogue direct avec ces sociétés, à travers leur jeunesse, leurs sociétés civiles, leurs artistes, leurs intellectuels, leurs faiseurs d’opinion et leurs élites.
Quelques étapes, très médiatisées, ont émaillé ce parcours.
Au Burkina-Faso, en novembre 2017, six mois après son accès à l’Élysée, Emmanuel Macron est descendu dans une arène d’étudiants pour débattre pied à pied, à l’université, avec des partenaires très remontés.
Dans une ambiance d’assemblée générale d’étudiants, sympathique mais sans impact politique, il a accepté les critiques, parfois acerbes, mais il n’a pas mâché ses mots, au nom d’un parler vrai, pour rappeler ce qui est à ses yeux réalité ou évidence.
Ainsi, interrogé sur les visas, il a répondu à un postulant à l’émigration qu’il était plus légitime pour lui de penser construire son avenir dans son pays que de penser à l’exil.
Quelques jours plus tard, il répétait le même exercice au Ghana, affirmant que « l’Europe doit avoir une politique de coopération pour qu’un jeune Africain puisse se dire qu’il va réussir formidablement dans son pays », plutôt que de rêver à un « eldorado européen ».
Le discours était courageux, osé. Mais Macron n’avait ni les moyens, ni les instruments, ni les partenaires pour réaliser ces projets.
De plus, le discours de Macron révélait un déni du réel difficile à comprendre à ce niveau de responsabilité.
En matière de sécurité dans le Sahel, par exemple, Macron met en avant les efforts français, à travers l’opération Barkhane, pour contrer les djihadistes dans la région.
Mais concrètement, la déferlante djihadiste est largement la conséquence de la destruction de l’État libyen à la suite d’une action de l’OTAN, dans laquelle la France de Nicolas Sarkozy a joué un rôle central.
En ce sens, la France a, au mieux, tenté de réparer, sans y parvenir, les conséquences désastreuses d’un choix politique français.
Auparavant, les pays de la région avaient subi un siècle de colonisation suivi d’un demi-siècle de Françafrique. Quel profit en ont-ils tiré ? Certains d’entre eux – Mali, Burkina-Faso, Niger, Tchad, République centrafricaine – sont toujours en tête de la liste des pays les plus pauvres du monde.
Après un tel passé, quel intérêt ont-ils à rester sous une protection supposée de la France, d’autant plus qu’en dehors d’un discours de façade sur la démocratie et les droits de l’homme, la France, y compris celle de Macron, n’hésite pas à composer avec des régimes répondant peu aux critères démocratiques (Égypte, Émirats arabes unis, Arabie saoudite…) ?
Deux publics
Outre ses propres contradictions, Emmanuel Macron a buté sur des écueils, internes et externes, qu’il ne soupçonnait pas. Il y a d’abord l’hostilité des pouvoirs en place, qui ne supportent pas la prétention d’un dirigeant étranger à s’adresser directement à leur opinion publique, passant par-dessus les pouvoirs et les institutions.
Certains pays ont pourtant accepté de jouer le jeu. Macron s’est alors trouvé confronté à deux genres de public.
L’un, conquis, était composé de microcosmes francophiles, de milieux d’affaires intéressés et de demandeurs de visas.
L’autre, le plus nombreux, était réservé, voire hostile. Il exprimait en vrac les récriminations de courants nationalistes, africanistes, panarabistes ou islamistes, parfois ouvertement anti-français, largement répandus au sein de la société.
L’apparition de nouveaux courants africanistes, navigant entre radicalisme et populisme, comme celui incarné par le Franco-Béninois Kémi Séba, président de l’ONG Urgences panafricanistes, complique davantage le tableau.
Comment expliquer cette série d’erreurs d’appréciation, et ce manque de feeling chez Emmanuel Macron ? Le chef de l’État français semble avoir été séduit par des intellectuels et des activistes ayant une forte présence dans le monde médiatique.
Il a d’ailleurs confié à l’un d’eux, Achille Mbembe, une initiative osée : une rencontre avec des « élites » africaines pour contourner les sommets franco-africains traditionnels. La démarche n’a pas eu d’impact, même si Emmanuel Macron a réussi à s’attirer la sympathie de quelques cercles d’intellectuels renommés, mais sans ancrage politique ou social.
Boucs émissaires
Plus terre-à-terre, Macron s’est aussi trouvé confronté à la réserve, voire l’hostilité, de la diplomatie française traditionnelle incarnée par le Quai d’Orsay.
Celle-ci est plus sensible aux véritables intérêts de la France qu’aux principes : des intérêts ici, on ajoute économiques et géopolitique qui imposent de s’accommoder de dirigeants ne répondant guère aux canons démocratiques vantés par Macron lui-même, des dirigeants qu’il faut ménager pour, par exemple, préserver la présence française au Tchad ou la filière nucléaire française grâce à l’uranium du Niger.
Cette perception erronée de la réalité africaine a poussé le chef de l’État français à se chercher des boucs émissaires pour expliquer ses déboires en Afrique.
Il a fini par développer une sorte de fixation, voire de phobie, sur la présence chinoise, russe et turque en Afrique.
Relayé par la plupart des médias français, le discours de Macron met en garde contre le pillage de l’Afrique par la Chine, la tentative d’hégémonie russe ou encore la mauvaise influence turque.
Un discours dérisoire face au réel : y a-t-il eu en Afrique de l’Ouest pillage plus intense que celui de la France coloniale et néocoloniale, hégémonie plus destructrice que l’hégémonie française, influence plus néfaste que celle de la France ?
Même le discours sur le danger de la présence de troupes du groupe russe Wagner est totalement inopérant. Historiquement, l’armée française reste la force militaire étrangère dont l’Afrique a le plus souffert. Brandir une menace virtuelle russe ne peut occulter l’héritage du passé.
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