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Macron et le Moyen-Orient : les contradictions du président-marketing

La France est, officiellement parlant, sans ambigüité sur les priorités de sa diplomatie. Mais ses pratiques continuent à la mettre en porte-à-faux avec ses principes proclamés
Emmanuel Macron en Égypte, le 27 janvier 2019 (AFP/Ludovic Maron)
Emmanuel Macron en Égypte, le 27 janvier 2019 (AFP/Ludovic Maron)

Le fait pour la France d’avoir été élue membre du Conseil des droits de l’homme de l’ONU pour une durée de trois ans (2021-2023) ne saurait lui donner un blanc-seing et lui garantir une intégrité à toute épreuve en la matière.

La Chine et la Russie sont autant de pays qui ont pu se targuer d’une affiliation à ce conseil, en dépit de la situation tragique voire scandaleuse qui y prévaut à titre domestique.

Les critiques vives que des organisations ad hoc adressent régulièrement à la France en raison des failles concernant le respect de l’État de droit sont fondées, même si elles ne signifient pas pour autant que la France serait un trou noir oscillant quelque part entre Chine et Hongrie.

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Dans le même temps, la volonté de voir la « patrie des droits de l’homme » se conformer à une attitude responsable et éthique conforme à la notion de « respect de l’État de droit » dont elle rappelle souvent l’importance est un fait légitime.

La présidence Macron n’a pas nécessairement favorisé une défense aveugle et sans nuance de ses intérêts à l’heure d’adresser les questions internationales : sa condamnation de l’empoisonnement de l’opposant russe Alexeï Navalny ainsi que de la répression de ses soutiens, sa critique des méthodes répressives utilisées en Biélorussie et son soutien aux manifestations anti-gouvernementales dans le pays, sa critique des sanctions par l’administration Trump à l’encontre de responsables suprêmes de la Cour pénale internationale (CPI) sont autant d’exemples qui sont à porter au crédit de la diplomatie française.

Pour autant, à l’heure d’adresser la situation en vigueur dans les pays du Maghreb, du Machrek, voire plus au sud sur le continent africain – comme au Sahel –, se dégage une impression forte, celle que la France se braque parfois, jusqu’à se contredire.

En affinant la question des « droits humains » prise dans un sens global, trois champs précis – et en quelque sorte interconnectés – permettent de saisir les contradictions de la France : le droit d’expression, le droit à la nation, le droit à la souveraineté.

Géométrie variable

En novembre 2020, dans une interview publiée par la revue en ligne Le Grand Continent, Emmanuel Macron affirmait : « Il n’y a de respect possible que si la dignité humaine se place au-dessus de tout, mais le respect ne doit pas se faire aux dépens de la liberté d’expression. »

Nobles propos par lesquels le chef d’État français cherchait à faire valoir son attachement à des principes angulaires tout en affirmant ne vouloir « choquer personne ».

Mais en réalité, Paris continue à faire montre d’une géométrie variable à l’heure de faire valoir l’importance de cette liberté d’expression.

Avec peut-être une nuance par rapport à ce qui a pu prévaloir sous maintes présidences précédentes : alors que l’attachement de la France à la liberté d’expression a souvent prévalu comme une déclaration de principe que contredisaient souvent les actions de la diplomatie française, le président Macron va jusqu’à utiliser ce même principe au gré de ses relations diplomatiques.

Cela aurait impliqué une critique plus ciblée de la part de la présidence ou de la diplomatie française vis-à-vis de certains de ses partenaires proches qu’elle ne souhaite pas froisser. Mais les règlements de compte ont primé sur les positions de principe

En octobre 2020, à la suite de l’assassinat dans les Yvelines de l’enseignant Samuel Paty du fait d’une polémique liée à l’exposition de caricatures offensives du prophète Mohammed dans l’un de ses cours, maints pays musulmans et arabes (Algérie, Maroc, Jordanie, Koweït, Égypte, Qatar…) se sont opposés à la justification par le gouvernement français de la publication de ces caricatures au nom de la liberté d’expression.

La Turquie s’inscrit dans cette tendance, son leader, Recep Tayyip Erdoğan, allant jusqu’à appeler officiellement à un boycott des produits français.

Paris, qui entretenait des relations déjà tendues avec Ankara du fait de désaccords divers autour de la situation en Libye ainsi que d’épisodes de tension relatifs à la situation en Méditerranée, s’approprie l’argument et répond aux critiques du président turc (pour qui la France devait « se débarrasser du problème Macron le plus tôt possible ») en pointant le fait qu’en France, « on n’a pas été assez combattants de la liberté d’expression face à la Turquie de Monsieur Erdoğan ».

Une attitude plus logique aurait peut-être consisté, pour le président français, à faire de la liberté d’expression un tremplin pour l’affirmation de l’attachement de la France non seulement à la liberté d’expression envers et contre tous ses critiques, mais aussi aux relais de cette liberté d’expression, à commencer par les journalistes qui continuent à croupir dans les prisons de pratiquement tous les pays du Maghreb et du Machreq.

Évidemment, cela aurait impliqué une critique plus ciblée de la part de la présidence ou de la diplomatie française vis-à-vis de certains de ses partenaires proches qu’elle ne souhaite pas froisser, comme l’Algérie, l’Arabie saoudite, l’Égypte, les Émirats arabes unis ou encore le Maroc. Mais les règlements de compte ont primé sur les positions de principe.

Droit à la nation

Est-on Français de plein droit, et bénéficie-t-on à ce titre d’une protection garantie par les lois françaises ?

L’article 1er de la Constitution française affirme « l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ».

Mais ce principe se voit contredit dans le cas polémique des « enfants de djihadistes », ces mineurs qui ont pour pères et mères des personnes parties faire le djihad en Syrie et en Irak, à la faveur du Printemps arabe (2011).

À l’époque, la France laissait faire, avant de payer le prix de cet attentisme volontaire quand des attentats interviendront sur son sol (Charlie Hebdo, le Bataclan, entre autres).

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En 2015, l’ex-président François Hollande envisageait de destituer de leur nationalité française les auteurs d’actes terroristes : début 2016, devant la polémique et les divisions générées par cette annonce, il renonçait à cette idée.

Mais dans l’intervalle, Paris pensait avoir trouvé une manière commode de maintenir punis les auteurs d’attentats et leurs familles : en les laissant emprisonnés dans des camps en Syrie, sous la surveillance de ses alliés kurdes syriens.

C’est ainsi que, dans le nord-est de la Syrie, la présidence Macron a trouvé une grande commodité dans le fait que quelque 120 femmes et plus de 300 enfants français soient placés sous la surveillance des forces kurdes syriennes.

Paris, à la suite probablement de maintes pressions de la part de certaines associations humanitaires et de la société civile, s’est déclaré certes prêt à accueillir les enfants d’islamistes armés des rangs du groupe État islamique, mais sans leurs mères.

Une fois encore, la posture de la « patrie des droits de l’homme » interroge. Il n’est pas besoin de tergiverser : en maintenant éloignés des mineurs nationaux par définition innocents, la France perpétue un Guantánamo extra-juridique français en Syrie.

Une attitude qui contredit, entre autres dispositions, l’article 25 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, selon lequel « tous les enfants […] jouissent de la même protection sociale ». Et qu’un pays attaché à l’égalité et à l’État de droit ne peut tout simplement pas justifier.

Souveraineté

Le principe de souveraineté, enfin, est tout aussi allègrement manié par la France en fonction de paramètres contradictoires.

Côté appel à la non-ingérence, celle qui touche à l’intégrité de la France notamment : en mars 2021, Emmanuel Macron, dans une nouvelle référence de sa part au cas de la Turquie, met en garde devant le fait qu’« il y aura des tentatives d’ingérence pour la prochaine élection » présidentielle en 2022.

Paris ne réagit pas de la même manière selon qu’elle souhaite s’en prendre à des rivaux ou ménager des pays dont elle a besoin, notamment en matière de coopération sur les questions migratoires

Attitude logique et légitime de la part d’un pays tenant à la défense de ses perspectives. Mais on ne peut manquer de noter comment les premières déclarations de l’Élysée relatives à la possible utilisation par le Maroc – pays « ami » de la France et de maints membres de sa classe politique – du système Pegasus pour espionner le téléphone d’Emmanuel Macron ont été accueillies, en retour, par une réaction très prudente de la part de l’Élysée.

Paris ne réagit pas de la même manière selon qu’elle souhaite s’en prendre à des rivaux ou ménager des pays dont elle a besoin, notamment en matière de coopération sur les questions migratoires.

Au-delà des frontières françaises, la notion d’ingérence se décline également au gré des impératifs stratégiques et politiques français.

Cas le plus manifeste, probablement, celui du Liban, où tant Emmanuel Macron que son ministre des Affaires étrangères bâtissent sur des relations historiques et l’idée d’une « amitié » franco-libanaise pour pousser le pays à régler ses problèmes, dont celui de la constitution d’un gouvernement, menaçant de sanctions dans le cas contraire.

Tout aussi manifestes furent, le long de ces dix dernières années, les ingérences directes de la France en Syrie (livraison d’armes à des rebelles syriens) ainsi qu’en Libye, où elle fit notamment lors de la « guerre sur Tripoli » de 2019 le pari d’un soutien en faveur de l’homme fort de l’est, le maréchal Khalifa Haftar, contre le gouvernement internationalement reconnu de Fayez al-Sarraj.

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Sans aller jusqu’à l’ingérence militaire, devant son attachement au rayonnement des libertés et du bien-être en général, la France aurait pu étendre sa conception du juste en étant plus vocale, audible et ferme devant les cas prévalant au Qatar (traitement des travailleurs migrants), en Arabie saoudite (répression des critiques du régime, procès inéquitables…), en Égypte (répression à tout-va des défenseurs des libertés) ou encore aux Émirats arabes unis (atteintes aux libertés, procès iniques…). Pays qui s’avèrent cependant être respectivement les deuxième, troisième, quatrième et cinquième plus gros clients de l’armement français pour la période 2011-2020. CQFD.

La France a évidemment droit à ses biais, tout pays cherchant à faire prévaloir ses intérêts. Néanmoins, la manière par laquelle les principes affichés de la diplomatie française en viennent maintenant à être contredits par des tendances nouvelles, dont l’écartement territorial d’enfants d’islamistes armés, la canalisation de ces mêmes principes sur la base de règlements de compte politiques (Turquie…), ou encore la pratique d’une ingérence très souvent contreproductive (Liban, Libye, Syrie…), exprime encore plus les incohérences d’une diplomatie qui n’a pourtant pas tant à se contredire si elle veut faire la preuve de ses moyens.

Emmanuel Macron a certes décidé, depuis son arrivée à la présidence, de mettre l’accent sur la communication : mais même en termes marketing, vendre du rêve requiert de faire montre de moins de contradictions.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Barah Mikaïl est directeur de Stractegia, un centre basé à Madrid et dédié à la recherche sur la région Afrique du Nord – Moyen-Orient ainsi que sur les perspectives politiques, économiques et sociales en Espagne. Il est également professeur de géopolitique spécialisé dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’Université Saint Louis (Madrid, Espagne). Il a été auparavant directeur de recherche sur le Moyen-Orient à la Fundación para las Relaciones Internacionales y el Diálogo Exterior (FRIDE, Madrid, 2012-2015) ainsi qu’à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS, Paris, 2002-2011). Il est l’auteur de plusieurs ouvrages et publications spécialisées. Son dernier livre, Une nécessaire relecture du « Printemps arabe », est paru aux éditions du Cygne en 2012.
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