Ce n’est pas l’islam qui est en crise. C’est Macron et son gouvernement
Le président français Emmanuel Macron, après trois premières années désastreuses au pouvoir, prépare sa réélection en mobilisant le plus vieux subterfuge de la droite : s’en prendre aux musulmans.
Emmanuel Macron a consacré une grande partie du discours qu’il a prononcé le 2 octobre dernier dans une banlieue parisienne aux mesures qui seront introduites pour protéger la France contre ce qu’il appelle le « séparatisme », brossant un tableau saisissant de la menace musulmane et de la manière dont il prendra le contrôle de l’islam dans son pays – une religion qu’il déclare « en crise aujourd’hui partout dans le monde ».
Même si l’on accepte cette déclaration absolument sans fondement, force est de constater que la confiance du président français en sa capacité à « résoudre » les problèmes qui affligent une religion partagée par plus d’un milliard et demi de personnes à travers le monde est, en soi, tout à fait époustouflante.
Grèves du secteur public
Peut-être qu’il puise dans le personnage qu’il a présenté lors de sa première campagne électorale en 2017, le Macron qui débordait de confiance en lui et montrait aux Français qu’il avait les choses bien en main.
Le problème est qu’il n’a pas vraiment les choses en main. Les grèves du secteur public qui ont eu lieu au printemps 2018 ont été suivies par le mouvement des Gilets jaunes qui a éclaté en novembre de la même année, lequel a été à son tour suivi d’une grève générale des cheminots l’année suivante.
Cela a clairement démontré que les discours en costumes élégants ne suffisent pas à apaiser les personnes aux prises avec une longue crise sociale, aggravée à plusieurs reprises par le gouvernement Macron et ses attaques contre les travailleurs.
Depuis le début de son mandat, le président français fait face à la fureur populaire contre ses réformes du travail, la hausse des prix du carburant et des problèmes plus vastes tels que le chômage
Depuis le début de son mandat, le président français fait face à la fureur populaire contre ses réformes du travail, la hausse des prix du carburant et des problèmes plus vastes tels que le chômage, le manque de logements abordables, la violence policière et plus encore.
La pandémie de coronavirus a été considérée comme un soulagement partiel pour Emmanuel Macron. Elle a signifié l’introduction de lois exceptionnelles, la répression et un confinement total qui lui ont permis de projeter un sentiment de « contrôle » alors que les gens craignaient pour leur vie et celle des autres.
Mais cette période a également renforcé les nombreux échecs de la présidence Macron. De la réduction des aides publiques et des services sociaux au chômage et à la pauvreté, les problèmes ne se sont pas terminés avec le confinement ; au contraire, ils se sont intensifiés, tout comme la colère.
Demander des comptes
L’État français s’est également retrouvé sous le microscope quand le monde occidental a été balayé par les manifestations du mouvement Black Lives Matter. La France a été tenue pour responsable sur la scène mondiale de la mort de nombreux jeunes noirs et arabes aux mains de la police, en particulier celle d’Adama Traoré, un jeune noir d’une banlieue parisienne pauvre tué en garde à vue. Son cas a mis en évidence, une fois de plus, le racisme systémique si tristement célèbre au sein de l’État français, et si profondément enraciné dans son passé colonial.
Des milliers de personnes sont descendues dans les rues de la capitale et d’autres grandes villes du pays pour exiger la fin de la violence et la juste sanction des agents impliqués dans ces meurtres.
Les mobilisations ont porté un coup supplémentaire à l’image de changement soigneusement cultivée par Macron. Alors que les petits-enfants des colonisés se battaient contre le racisme et la violence d’État, toutes les déclarations qu’il avait faites au sujet de la reconnaissance de l’impact négatif de l’histoire coloniale de la France sont apparues comme vides de sens.
Face à une telle période de bouleversements sociaux, d’insatisfaction et de méfiance à l’égard de l’État, la réponse de Macron a défié l’entendement : il s’est contenté de mettre les bouchées doubles en s’attaquant à certains des plus pauvres et des plus opprimés du pays. Cette réponse non seulement gaspille les ressources de l’État, mais échoue à résoudre une crise économique et sociale de plus en plus grave, une augmentation des taux d’infection au COVID-19 et une saturation des services de santé publique.
Au lieu de s’attaquer à ces problèmes, Macron a dans les faits déclaré que la réduction des libertés civiles serait la priorité de l’Élysée. Ses plans ressemblent de plus en plus à l’approche britannique dite de « contre-extrémisme » : surveiller plus strictement les mosquées, mettre fin à l’importation d’imams de l’étranger et scruter leur financement… Emmanuel Macron reproduit ce qui est devenu la nouvelle norme dans toutes les nations qui se sont engagées dans la « guerre contre le terrorisme ».
Même les organisations sportives et les autres types d’associations devraient être sous surveillance pour servir soi-disant de façade à l’islamisme.
Un racisme profondément enraciné
La stratégie consistant à « former et promouvoir en France une génération d’imams et d’intellectuels qui défendent un islam pleinement compatible avec les valeurs de la République » n’est pas nouvelle.
La France a adopté de telles méthodes lors de sa colonisation de l’Algérie, non seulement dans le domaine de la religion, mais aussi au sein des communautés locales, où elle sélectionnait et « éduquait » une petite minorité d’Algériens surnommés « les évolués ». On attendait d’eux qu’ils adoptent et chérissent les valeurs de la République française, puis qu’ils aillent convaincre le reste de la population algérienne de ne pas rechercher la libération de leur pays.
Le racisme de la République est toujours profond, même si Emmanuel Macron a tenté par le passé d’engager des discussions sur les horreurs du colonialisme français. La mission civilisatrice se poursuit. Les musulmans doivent être éduqués, même concernant la manière de pratiquer leur propre religion. Sans quoi ils retomberaient dans leurs vieilles tendances barbares et, pire, se rebelleraient contre l’État français.
Même l’utilisation par Macron de « l’islam » en référence à la soi-disant crise, plutôt qu’aux « musulmans », est une façon de présenter le problème comme étant de nature idéologique, fondamental et lié à la religion dans son ensemble.
Cela sert également à se distancier des 5,7 millions de musulmans français qui seront impactés par sa politique. Il n’a aucun intérêt à aborder leurs difficultés, leur présence disproportionnée dans les quartiers marginalisés sur le plan socio-économique, les discriminations dont ils sont victimes dans l’éducation ou l’emploi, les pratiques brutales de l’État à leur encontre. Son programme politique a exacerbé toutes ces questions ; il est dans son intérêt et dans celui de sa base politique de continuer dans cette voie.
Quand le président français déclare qu’il va « défendre la République et ses valeurs et veiller à ce qu’elle respecte ses promesses d’égalité et d’émancipation », il s’adresse bien sûr de manière subliminale à l’extrême droite, mais c’est aussi un moyen de rassurer l’élite qui l’entoure et dont il sert les intérêts.
Une question de libertés civiles
La question ne se limite pas aux musulmans. Une fois qu’une population accepte qu’un groupe racialisé puisse être privé de ses libertés civiles, sa capacité à défendre celles de tous les membres de la société est ébranlée. Une fois que les enseignants, les organisations, les représentants et les clubs musulmans peuvent être surveillés et espionnés, les autres ne tardent pas à l’être.
Les Français ont exigé mieux de leur gouvernement, ils ont exercé des pressions en faisant grève et en se mobilisant dans les rues, et ils ont montré exactement ce qu’ils ressentaient face à sa politique. Aujourd’hui, leur gouvernement a clairement décidé que cela devait cesser et il se tourne vers ses voisins de l’autre côté de la Manche pour trouver une solution.
Son espoir est de galvaniser la droite française pour qu’elle vote pour lui et de diviser une gauche notoirement islamophobe, juste à temps pour les élections
Peut-être que Macron est encore une fois aveuglé par son orgueil démesuré et leurré par l’image qu’il s’est efforcé de construire de lui-même. Il oublie en effet que de nombreux « évolués » ont trahi la colonie et rejoint la lutte algérienne pour la décolonisation.
Son espoir est de galvaniser la droite française pour qu’elle vote pour lui et de diviser une gauche notoirement islamophobe, juste à temps pour les élections.
Notre espoir est qu’en réponse à un mandat présidentiel pavé de dissidence contre l’État et ses institutions, les Français se soulèveront à nouveau et rejetteront cette tentative d’étouffer les libertés politiques sous couvert de lutte contre l’extrémisme.
Ce n’est pas l’islam qui est en crise. C’est Macron, son gouvernement et le système qu’ils essaient de défendre. L’élection de 2022 présente une réelle opportunité de les jeter dans la poubelle de l’histoire.
- Malia Bouattia est une militante, ancienne présidente du Syndicat national des étudiants britannique (National Union of Students), cofondatrice du réseau Students not Suspects/Educators not Informants et présentatrice-animatrice de « Women Like Us », un programme de la chaîne britannique British Muslim TV.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Traduit de l’anglais (original).
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].