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Séparatismes : pourquoi Emmanuel Macron et ses opposants font fausse route

Le discours du 2 octobre sur les séparatismes pose plus de problèmes qu’il n’est censé en résoudre. Mais les opposants à Emmanuel Macron peinent à convaincre en raison de leurs silences ou non-dits
Le développement concomitant de la nébuleuse islamiste et de gangs de narcotrafiquants dans la France périphérique doit surtout interpeller en raison des conséquences en matière de dépolitisation des populations vivant dans ces quartiers fragilisés (AFP)
Le développement concomitant de la nébuleuse islamiste et de gangs de narcotrafiquants dans la France périphérique doit surtout interpeller en raison des conséquences en matière de dépolitisation des populations vivant dans ces quartiers fragilisés (AFP)

Le discours d’Emmanuel Macron était attendu. D’autant que son « lourd silence » au sujet de l’attaque perpétrée devant les anciens locaux de Charlie Hebdo avait interpellé. Et cela, au moment où se tient le procès des attentats islamistes qui ont frappé Paris en janvier 2015.

Dans un tel contexte où survient, chaque semaine ou presque, une polémique à propos de la question musulmane – comme dans le cas de l’audition à l’Assemblée nationale d’une syndicaliste étudiante voilée ou celui de la cession de la mosquée d’Angers au royaume du Maroc –, les propos du président de la République française n’ont pas manqué d’être abondamment commentés dans le champ politico-médiatique, avec les amalgames, confusions et non-dits auxquels nous sommes désormais habitués.

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Prenons, à titre d’exemple, les communiqués de deux formations situées aux antipodes du spectre politique français, à savoir le Rassemblement national (RN, ex-Front national : 21,30 % des voix au premier tour de l’élection présidentielle d’avril 2017 pour Marine Le Pen) et le Nouveau parti anticapitaliste (NPA : 1,09 % en faveur de Philippe Poutou).

Le RN dresse un constat en demi-teinte. D’une part, il se réjouit de la reprise de mesures portées par son mouvement : « Suppression des Enseignements de langue et de culture d’origine (ELCO), interdiction de la venue de ministres étrangers du culte, fermeture des clubs sportifs qui pratiquent le communautarisme en droit ou en fait, renforcement du contrôle des écoles privées hors contrat ou encore fermeture administrative des lieux où est prônée la haine de la France. »

Des ambiguïtés de l’extrême droite...

D’autre part, la formation d’extrême droite déplore le silence d’Emmanuel Macron sur « l’immigration massive qui est le terreau du communautarisme », « l’interdiction nécessaire des idéologies [salafisme, Frères musulmans...] dont le président constate la volonté séparatiste », « la réforme nécessaire du code de la nationalité », « l’interdiction du financement étranger des mosquées », « l’expulsion des semeurs de haine », « les revendications islamistes dans l’entreprise », etc.

Le parti nationaliste, tiraillé entre sa quête de respectabilité et la fidélité à sa matrice xénophobe, prend soin de ne pas stigmatiser explicitement l’islam ou les citoyens français de confession musulmane pour surjouer le clivage entre nationaux et étrangers associés aux « séparatistes ».

Parler d’« islamisme radical » pourrait laisser entendre qu’un « islamisme modéré » serait plus acceptable alors que c’est bien l’islamisme, en tant que projet de société fondé sur la charia – et compris comme synonyme d’islam politique –, qui est problématique aux yeux des rationalistes

Les voix des « millions de compatriotes d’origine maghrébine, subsaharienne, asiatique », pour reprendre les mots de Marine Le Pen, seront précieuses.

Le communiqué cible donc « l’islamisme radical », « la menace islamiste » ou encore « le fondamentalisme islamiste ». Or, l’emploi de telles expressions témoigne surtout des ambiguïtés entretenues – volontairement ou non – par le RN au même titre que l’ensemble de la classe politique.

En effet, parler d’« islamisme radical » pourrait laisser entendre qu’un « islamisme modéré » serait plus acceptable alors que c’est bien l’islamisme, en tant que projet de société fondé sur la charia – et compris comme synonyme d’islam politique –, qui est problématique aux yeux des rationalistes, indépendamment des méthodes employées par ses partisans. 

La « menace islamiste », quant à elle, concerne en premier lieu les populations musulmanes ou considérées comme telles, ainsi que les dissidents, libres-penseurs, apostats et athées originaires du monde arabo-islamique. Ce constat ne doit toutefois pas conduire à oublier les victimes d’un terrorisme qui n’est pas toujours aveugle, en raison de son antisémitisme forcené.

Enfin, pointer « le fondamentalisme islamiste », c’est faire preuve pour le moins d’imprécision : les adeptes du salafisme quiétiste – aussi « fondamentalistes » soient-ils – n’adossent pas nécessairement leur interprétation littéraliste des textes religieux à une volonté de transformer la société. Ce qui ne contrevient guère à la laïcité.

... aux non-dits de l’extrême gauche

Contrairement au RN, le NPA ne trouve rien à sauver dans le discours présidentiel dont il dénonce avec fermeté les mesures qu’il qualifie de répressives : « Obligation de neutralité étendue aux salariés du privé assurant des délégations de service public ; renforcement du contrôle des associations et des possibilités de les dissoudre ; ingérence accrue de l’État dans le culte musulman, au nom de la volonté de ‘’bâtir un islam des lumières’’ [sic]… ».

En outre, le communiqué pointe à son tour le silence d’Emmanuel Macron sur un aspect précis : « Alors que pas un jour ne passe sans une nouvelle attaque islamophobe, qu’elle soit physique – agressions, incendies de mosquée – ou verbale – dans les grands médias ou sur les réseaux sociaux –, Macron n’a même pas employé une seule fois le terme ‘’islamophobie’’. Pire : son discours et les mesures annoncées vont renforcer encore un peu plus la stigmatisation et les discriminations contre les musulman.e.s. ».

Le parti d’extrême gauche estime que le président « a aligné les poncifs racistes et islamophobes, sur un ton catastrophiste, jetant la suspicion sur l’ensemble des musulman.e.s. ». Par conséquent, « le NPA condamne cette islamophobie d’État revendiquée, et se joindra à toutes les mobilisations en préparation, notamment à l’initiative du Collectif du 10 novembre contre l’islamophobie ».

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La déclaration de cette formation « menacée d’implosion », qui a, du moins sur ce plan, pris ses distance avec son ancêtre, la Ligue communiste révolutionnaire – où les humanistes, laïques et universalistes étaient jadis prédominants –, témoigne davantage de l’influence des tenants de l’antiracisme politique ou de la mouvance décoloniale au sein d’un microcosme qui se réclame de l’anticapitalisme tout en passant à la trappe l’anticléricalisme.

De fait, l’argumentaire du NPA apparaît compatible avec celui du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), selon lequel le « discours guerrier » d’Emmanuel Macron « instaure une police de la pensée, nourrissant davantage de séparation et de discrimination ».

Le parti d’Olivier Besancenot ne cherche guère à analyser « l’islamisme radical », tout au plus mentionne-t-il le « sentiment de relégation » comme l’un de ses terreaux, validant ainsi la rhétorique présidentielle, sans évoquer les attentats qui ont meurtri la société française ou l’emprise de groupes réactionnaires sur des individus de confession ou de culture musulmanes, pris en étau entre deux logiques mortifères.

Ainsi, au silence du RN sur l’obsession antimusulmane qui travaille des pans entiers de la société, répondent les non-dits du NPA sur les défis posés par l’islamisme aux partisans sincères de l’émancipation, à l’heure où la pauvreté et la précarité s’accroissent.

La campagne électorale a déjà commencé

Si la campagne électorale a déjà commencé, alors le candidat Macron de 2022 sera « bien différent de celui de 2017 » – et c’est précisément ce que déplore le site Al Kanz, destiné aux consommateurs musulmans. Pourtant, par-delà l’enthousiasme du Monde ou les réserves de L’Obs, le discours du président appelle au moins trois remarques conclusives.

La première a trait à la thématique coloniale qui ne concerne pas seulement les « enfants ou petits-enfants de citoyens aujourd’hui issus de l’immigration et venus du Maghreb, de l’Afrique subsaharienne », mais toute la société française. 

Si la centralité refoulée de la question algérienne est avérée, l’éventuelle résurgence d’un « discours anticolonial » ne pose néanmoins pas de problème en soi. Il convient plutôt de s’inquiéter du ressentiment – dont se nourrissent les décoloniaux – qui résulte du désenchantement suscité par les régimes indépendants ou des espoirs déçus par la Marche pour l’égalité et contre le racisme.

La seconde renvoie au trafic de stupéfiants qui, conjugué aux réseaux de « l’islam radical », organiserait l’ordre ou le désordre dans certaines localités ségréguées. 

Or, le développement concomitant de la nébuleuse islamiste et de gangs de narcotrafiquants dans la France périphérique doit surtout interpeller en raison des conséquences en matière de dépolitisation des populations vivant dans ces quartiers fragilisés et du puissant vecteur de pénétration des valeurs capitalistes (profit, violence, exploitation, etc.) qu’il représente, sans oublier la complicité de tous ceux qui peuvent tirer profit de ce nouvel ordre social.

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La troisième, enfin, touche à l’université : des postes seraient créés « sur la civilisation musulmane mais aussi sur le Maghreb, le bassin méditerranéen, l’Afrique ».

Quand on connaît l’opacité du recrutement universitaire et l’état dans lequel se trouve le service public de l’enseignement supérieur, il n’y a pas lieu de se réjouir... 

D’autant que la loi de programmation pluriannuelle de la recherche ne fait qu’aggraver la précarisation des travailleurs ou la mise en concurrence des établissements, au détriment de la production et de la transmission du savoir.

Tant qu’au silence des uns répondront les non-dits des autres, Emmanuel Macron et ses opposants continueront à faire fausse route, qu’ils pourfendent avec vigueur les séparatismes ou qu’ils dénoncent en toute sincérité le racisme.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Docteur en science politique, Nedjib Sidi Moussa est l’auteur d’Algérie, une autre histoire de l’indépendance (PUF, 2019) et de La Fabrique du musulman (Libertalia, 2017). Vous pouvez le suivre sur son site personnel : sinedjib.com
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