En défendant Jérusalem, le Hamas revendique le leadership national palestinien
Un commentateur basé à Gaza a publié sur un groupe que je suis sur les réseaux sociaux : « Après l’annulation des élections [palestiniennes] auxquelles 36 listes devaient participer… le peuple a maintenant mandaté la “liste de la résistance” par un vote ultra-majoritaire, les encourageant à mener à la fois le peuple et la bataille… [la résistance] endosse la légitimité [palestinienne] en défendant la dignité du peuple. »
Contre toute attente, et malgré peut-être les conséquences physiques négatives qui pourraient advenir, une question capitale se pose : l’actuelle épreuve de force rapproche-t-elle le Hamas du leadership palestinien – si ce n’est par des élections, par la « résistance » ? Impossible de donner une réponse simple.
Dans cette atmosphère explosive, les Palestiniens en colère et opprimés n’avaient pas le moindre espoir d’obtenir une aide quelconque d’une Autorité palestinienne paralysée sur le plan politique. Ils ont donc fait appel au Hamas
Les dégâts matériels causés par les roquettes tirées par les factions armées de la résistance palestinienne en direction des villes israéliennes sont faibles, par rapport au nombre de roquettes tirées (plus de 3 000 à ce jour) – ou par rapport à l’ire qu’elles ont déclenchée aux niveaux local et international. Pourtant, les dégâts politiques qu’infligent ces roquettes à Israël, à l’Autorité palestinienne (AP) et à d’autres acteurs régionaux hostiles au Hamas et à d’autres factions de la résistance sont considérables.
Tout le monde a observé la réapparition résolue du mouvement islamiste palestinien de Gaza en tant que défenseur autoproclamé de la cause nationale palestinienne.
De manière plus générale, nous avons vu les partisans de la résistance, y compris d’autres groupes aux côtés du Hamas, comme des protecteurs plus dignes de confiance des droits nationaux palestiniens. De nombreux Palestiniens souscrivent ces jours-ci à cette notion, compte tenu en particulier des échecs de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et de l’AP à Ramallah.
Le fait qu’Israël ait accusé le Hamas d’avoir provoqué des Palestiniens au sein des villes israéliennes – avec des manifestations sans précédent qui ont éclaté en soutien à leurs frères et sœurs de l’autre côté de la Ligne verte – a en fait œuvré en faveur du Hamas. Il en va de même quand l’AP elle-même s’abstient de blâmer le Hamas d’avoir militarisé les manifestations populaires non violentes et réussies à Jérusalem. Les responsables de l’AP hésitent à critiquer le Hamas ces jours-ci, par crainte de la réaction de l’opinion publique.
Énormes retombées
Ainsi, au-delà de l’obsession des médias pour les roquettes de la résistance palestinienne, le changement le plus important au cours de ce cycle de confrontation militaire avec Israël concerne les ramifications politiques, et non les gains ou pertes militaires. Par le passé, l’utilisation de roquettes par les factions palestiniennes se concentrait principalement sur Gaza, visant à faire pression sur Israël pour qu’il assouplisse le blocus, notamment qu’il lève les restrictions concernant la pêche ou autorise davantage d’aide humanitaire essentielle à Gaza, ou afin de riposter après l’assassinat de dirigeants politiques.
Cette fois, les roquettes sont tirées pour une cause nationale plus large : Jérusalem elle-même. Ce faisant, le Hamas en particulier répond enfin aux critiques standard selon lesquelles, depuis sa prise de pouvoir à Gaza en 2007, il s’est absorbé dans des questions locales au détriment de questions nationales à grande échelle, y compris Jérusalem, les colonies israéliennes et les réfugiés palestiniens.
On lui a en particulier reproché que sa puissance militaire soit déployée plus pour consolider son régime à Gaza que pour servir la cause palestinienne dans son ensemble. Cependant, contrairement aux critiques acerbes concernant les roquettes du Hamas lors des actions précédentes, cette fois-ci, les voix critiques sont de moins en moins silencieuses, car le soutien au Hamas a pénétré dans des cercles plus larges.
Lancer des roquettes pour défendre Jérusalem a certainement rapporté énormément au mouvement. Le Hamas a observé de près que Jérusalem s’est échauffée le mois dernier, à la fois en raison de l’installation par Israël de barrières à la porte de Damas que du sort des familles palestiniennes à Sheikh Jarrah, qui sont menacés par des colons qui risquent de prendre leurs maisons avec l’approbation de la justice israélienne. Des centaines de partisans se sont rassemblés chaque jour en soutien à ces familles, et la police israélienne a sévi.
Tout cela se déroulait pendant le mois sacré du Ramadan, lorsque des dizaines de milliers de Palestiniens vont prier quotidiennement à la mosquée al-Aqsa. La réponse brutale de la police israélienne a fait des centaines de blessés palestiniens, tandis que des images de la brutalité israélienne et de la détermination des familles de Sheikh Jarrah sont devenues virales sur les réseaux sociaux.
Pour aggraver les choses, des groupes de sionistes religieux extrêmes ont afflué dans la vieille ville pour célébrer l’occupation de Jérusalem-Est en 1967. Pour s’opposer à cette marche prévue, des milliers d’autres Palestiniens sont venus d’Israël dans la ville, et les tensions ont grimpé en flèche.
« Épée de Jérusalem »
Dans cette atmosphère explosive, les Palestiniens en colère et opprimés n’avaient pas le moindre espoir d’obtenir une aide quelconque d’une AP paralysée sur le plan politique. Ils ont donc fait appel au Hamas, scandant le nom du chef militaire Mohammed ad-Deif et demandant la « force de son épée ». Ces slogans se sont largement répandus parmi les Palestiniens, faisant monter la pression sur le Hamas.
À Gaza, les manifestants ont également exhorté les factions palestiniennes à intervenir militairement. Deif a finalement répondu par un ultimatum, avertissant Israël de retirer ses forces de sécurité de la mosquée al-Aqsa et de Sheikh Jarrah avant 18 heures le 10 mai. Israël a ignoré l’avertissement, et le Hamas a tiré ses premières roquettes exactement dans les délais prévus, baptisant l’opération « Épée de Jérusalem ».
Le Hamas a visé la périphérie israélienne de Jérusalem. Alors que les sirènes ont retenti à travers la ville, des dizaines de sionistes qui s’étaient rassemblés pour marcher sont partis précipitamment, suscitant un énorme soupir de soulagement de la part des Palestiniens.
Les critiques ont accusé le Hamas d’avoir avorté des manifestations populaires pacifiques et généralisées – détournant l’attention de Jérusalem, au lieu de l’aider. Mais de nombreux signes suggèrent que l’intervention des roquettes a été largement saluée par l’opinion publique palestinienne.
La semaine dernière, alors qu’Israël détruisait des bâtiments résidentiels à Gaza et que le bilan s’alourdissait, un portrait géant des dirigeants du Hamas – dont Ismaël Haniyeh, le chef du bureau politique du mouvement – a été déployé par la mosquée al-Aqsa, une autre revendication symbolique du Hamas au leadership national. Il est difficile de se rappeler quand une image a été déployée au même endroit pour le président palestinien Mahmoud Abbas.
Ce symbolisme reflète l’évolution des réalités sur le terrain. L’essor continu du capital politique du Hamas s’accompagne d’une érosion du soutien à l’Autorité palestinienne. Dans les derniers sondages interrogeant les Palestiniens de Cisjordanie occupée et de Gaza sur leurs préférences à la présidence palestinienne, Haniyeh battrait Abbas de 50 % à 43 %. Fait révélateur, Jibril Rajoub, proche conseiller d’Abbas et secrétaire général du comité central du Fatah, a déploré qu’« aucun dirigeant arabe n’ait appelé le président palestinien lors de l’agression israélienne ».
Un tournant ?
L’épreuve de force des roquettes pourrait marquer un tournant dans le paysage politique palestinien. L’émergence du Hamas de Gaza pour s’occuper des questions nationales mine encore davantage l’AP et défie Israël. Le Hamas a souvent souligné la nécessité de mettre fin au monopole sur le leadership palestinien, appelant à un partenariat avec le Fatah et d’autres groupes de la résistance. Quelle que soit l’issue de cette confrontation, le Hamas engrange encore plus de capital politique et de légitimité.
Cela ne suffira pas nécessairement au groupe pour contrer le soutien régional et international dont bénéficie Abbas. Mais il peut pousser l’OLP et l’AP à replanifier les élections dès que possible, ou permettre une nouvelle direction collective impliquant le Hamas et d’autres groupes de la résistance. De nombreux Palestiniens veulent un partenariat inclusif.
Cela dit, un veto étranger – et en particulier américain – contre l’inclusion du Hamas au sein du leadership palestinien constitue un obstacle difficile. Pour court-circuiter le nouveau capital politique du groupe, les États-Unis, Israël et leurs alliés arabes tenteront probablement de sauver Abbas de l’inutilité, le plaçant au centre de l’aide humanitaire, de l’aide financière et de la diplomatie post-conflit.
Bien que cela puisse dissimuler la situation réelle pendant un certain temps, cela ne changera rien au fait que la légitimité de l’AP s’est érodée à long terme, alors que le pouvoir du Hamas n’a cessé de se renforcer.
- Khaled al-Hroub est professeur d’études du Moyen-Orient à la Northwestern University au Qatar. Il a rédigé deux ouvrages consacrés au Hamas.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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