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Guerre en Syrie : le dilemme de Trump face aux armes chimiques

Rares sont les observateurs qui estiment qu’Assad et ses alliés s’avèreront incapables d’encaisser le choc de frappes occidentales et de s’en remettre

Au début, tout semblait limpide pour Donald Trump. Le lendemain de l’utilisation présumée par le président Bachar al-Assad d’armes chimiques contre des civils à Douma, la banlieue de Damas assiégée, Trump a déclaré sur un ton va-t-en-guerre qu’il répliquerait dans les 48 heures.

La dernière fois qu’il a accusé Assad d’avoir recouru aux armes chimiques, en avril 2017, Trump a lancé une frappe de missiles Tomahawk sur une base aérienne syrienne. La plupart des observateurs s’attendaient à d’autres frappes similaires, surtout après le tweet du président américain mercredi dernier, avertissant la Russie en ces termes : « Gare à vous, les Russes, on en a encore d’autres en réserve ».

La question de la preuve

Pourtant, le délai de 48 heures a été dépassé. Malgré des consultations avec les dirigeants britanniques et français, Trump a semblé rétropédaler jeudi, avec son tweet : « Jamais indiqué quand aurait lieu une attaque contre la Syrie. Ça pourrait être pour très bientôt ou pas du tout de si tôt ! ». Le secrétaire à la Défense James Mattis, quant à lui, a invité à laisser du temps au temps, avec cette mise en garde : la situation pourrait « s’aggraver au point de devenir incontrôlable ».

L’administration Trump vient semble-t-il de s’aviser que la situation syrienne est loin d’être simple et elle se trouve face à un dilemme sur la façon de procéder.  

Premièrement, il y a la question de la preuve. Le président français Emmanuel Macron a affirmé détenir des preuves qu’Assad avait commandité l’attaque, mais les États-Unis disent en être toujours à essayer d’en rassembler. Alors que les capitales occidentales font preuve d’une certaine nervosité à l’idée de lancer une action militaire sans motif suffisant – comme en 2003 en Irak, avec la débâcle qui s’ensuivit –, on peut soupçonner qu’en l’espèce, la recherche de preuves tient plus probablement de la tactique dilatoire.

Malgré les plaidoyers des opposants syriens et de leurs partisans, Trump et les dirigeants occidentaux ont dans l’ensemble démontré qu’ils ne se souciaient en fait guère de protéger les civils syriens – bien plus souvent victimes des armes conventionnelles que chimiques

En avril 2017, Trump a lancé sa frappe de Tomahawk dans les 72 heures suivant l’attaque présumée, bien avant d’avoir obtenu la preuve incontestable de la responsabilité d’Assad.

Compte tenu de sa réaction l’an dernier et de son récent tweet (où il traitait Assad d’« animal »), Trump croit de toute évidence que le président syrien est disposé à lancer des attaques chimiques – et en a la capacité. Le président américain n’a pas eu besoin à l’époque d’attendre des preuves concluantes pour réagir.

Un soldat syrien est assis à côté d’une affiche du président syrien, à l’entrée du camp de Wafideen, le 12 avril 2018 (AFP)

Si l’obtention de preuves concluantes ne fait pas vraiment obstacle, qu’est-ce qui retient Trump ? Voici le premier dilemme : quel serait le résultat d’une frappe de missile, de quelque nature qu’elle soit ? Malgré les plaidoyers des opposants syriens et de leurs partisans, Trump et les dirigeants occidentaux en général ont dans leur ensemble démontré qu’ils ne se souciaient en fait guère de protéger les civils syriens – bien plus souvent victimes des armes conventionnelles que chimiques – et de tenter de modifier l’équilibre du pouvoir pour contribuer à mettre fin à la guerre.

Les dilemmes de Trump

Toute attaque aura donc pour but principal de faire valoir la législation internationale contre l’utilisation d’armes chimiques et de dissuader Assad de recommencer. Mais comment s’y prendre ?

En avril 2017, déjà, la culpabilité d’Assad ne faisait guère de doute, mais les frappes de Tomahawk n’ont visiblement pas été suffisantes pour le dissuader à recommencer. D’aucuns ont proposé de détruire l’aviation d’Assad ainsi que les dépôts présumés d’armes chimiques.

Poutine pourrait réagir en ciblant les nombreuses bases dirigées par les États-Unis dans les zones contrôlées par les Kurdes dans l’est de la Syrie, auquel cas on voit mal comment Washington pourrait ne pas réagir

Que faire si ça ne marche toujours pas ? Ces deux moyens militaires peuvent toujours être remplacés et que faire alors en cas de nouvelles attaques chimiques ? En agissant tout de suite, l’administration Trump sait qu’elle s’engagera à l’avenir dans une escalade de ses démonstrations de force, le jour où Assad mettra les Américains au défi d’abattre leurs cartes.

Le deuxième dilemme, encore plus cruel, concerne la réaction de l’allié d’Assad, la Russie. Une frappe occidentale sur la Syrie sera évidemment coûteuse pour Moscou, l’obligeant à remplacer le matériel syrien détruit, et Poutine risque de voir écorner son prestige si ses défenses aériennes s’avèrent aisément dépassées, ou si – ce qui représente le pire scenario pour Trump – des troupes et des équipements russes sont eux aussi touchés.

L’ampleur de la frappe déterminera probablement la réaction de la Russie, mais la Maison-Blanche ne peut ignorer qu’au cours des sept années du conflit syrien, le président russe Vladimir Poutine a démontré une bien plus forte implication que ses homologues occidentaux. Il pourrait réagir en ciblant les nombreuses bases dirigées par les États-Unis dans les zones contrôlées par les Kurdes dans l’est de la Syrie, auquel cas on voit mal comment Washington pourrait ne pas réagir.

C’est précisément ce genre d’escalade qui préoccupe Mattis. Face à un résultat aussi indésirable, on comprend mieux les hésitations de Trump à envisager de frapper Assad.

« Le juste milieu »

Dans ce dilemme, n’oublions pas le paramètre des opinions personnelles de Trump. Il semble obsédé par son souci de ne pas donner l’impression de faire comme Obama, de faire preuve de faiblesse face à Assad et son recours aux armes chimiques – d’où sa frappe d’avril 2017. Assad l’a maintenant ouvertement défié et a déjà démontré que ce genre de dissuasion le laisse de marbre, de sorte que l’instinct de Trump pourrait être d’attaquer.

D’autre part, il a également exprimé sa volonté d’éviter de s’engager davantage en Syrie, déclarant récemment qu’il souhaitait le retrait des troupes américaines ; il répugne par ailleurs à affronter Poutine – or de nouvelles frappes risquent de lui valoir l’une et l’autre de ces deux indésirables conséquences.

À LIRE : Armes chimiques en Syrie : l’hypocrisie de l’action militaire et des « lignes rouges »

La Maison-Blanche de Trump cherchera probablement « le juste milieu » : des frappes militaires d’une ampleur suffisante pour dissuader Assad, sans provoquer toutefois de réactions de la part de Poutine. Or, trouver un aussi délicat équilibre risque de s’avérer difficile pour une administration qui, jusqu’à présent, n’a jamais fait dans la dentelle.

Entre-temps, plus tarderont les frappes, plus Assad et la Russie disposeront de temps pour se préparer. Pour eux, et pour le peuple syrien qui l’endure depuis si longtemps, la guerre continue, armes chimiques ou pas. Une frappe occidentale pourrait avoir un impact temporaire sur le conflit, mais rares sont les observateurs qui estiment qu’Assad et ses alliés s’avèreront incapables d’encaisser le choc et de s’en remettre.

-  Christopher Phillips est maître de conférences à Queen Mary, Université de Londres, et chercheur associé à Chatham House. Son dernier livre, The Battle for Syria: International Rivalry in the new Middle East, est en vente aux Presses Universitaires de Yale.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : le président américain Donald Trump dans la roseraie de la Maison-Blanche, à Washington D.C., le 16 octobre 2017 (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par Dominique Macabies.

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