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Hollande et la chute de la République française

François Hollande a l’intention de porter le coup le plus considérable à la démocratie française depuis Vichy. Avant de m’accuser d’alarmisme, observez les faits

La France suit une voie sombre. À mi-chemin de son premier mandat, le président François Hollande s’est hissé au rang de président le plus impopulaire de l’histoire française. Des politiques économiques nuisibles au commerce et à la classe ouvrière, une politique étrangère erratique et une série de scandales sexuels lui ont donné un air incompétent et dépassé.

Maintenant, dans la foulée des attentats terroristes contre Charlie Hebdo et des attentats de novembre à Paris, il se retrouve accidentellement à brandir des pouvoirs d’urgence extraordinaires, bien qu’il n’ait réparé aucune de ses erreurs passées. Juste avant le 13 novembre 2015, la cote de popularité de Hollande pointait à 15 % d’approbation et 82 % de désapprobation, selon le journal Le Figaro. Après les attentats, sa cote a grimpé en flèche, atteignant 25 % à 33 %.

La France est chancelante et confuse. François Hollande a déclaré l’état d’urgence en novembre ; celui-ci vient d’être prolongé par le corps législatif.

Cette mesure induit un droit de censurer la presse, d’interdire les protestations publiques, de fouiller les domiciles des journalistes et de détenir des personnes en résidence surveillée sans mandat, un pouvoir qui a été manifestement employé à outrance pour détenir des militants écologistes pacifistes pendant les pourparlers de Paris sur le climat. Selon les normes américaines, cela équivaudrait à une suspension totale et sans ambiguïté de la démocratie.

Alors que l’état d’urgence a été imposé de nombreuses fois dans l’histoire française récente, l’administration Hollande prend la décision sans précédent d’essayer d’inscrire ces nouvelles mesures dans la Constitution française.

« C’est le terrorisme qui menace la liberté, ce n’est pas l’état d’urgence », a déclaré Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur. Selon les experts des droits de l’homme et l’organe suprême représentant les avocats français, ses propos sont arriérés et délirants.

La Ligue des droits de l’homme a constaté que les milliers de perquisitions et les centaines d’arrestations n’ont abouti qu’à quatre procédures judiciaires jusqu’à présent. L’organisation a lancé une pétition à l’intention des tribunaux français contre ce qu’elle qualifie d’« atteinte grave et manifestement illégale à plusieurs libertés fondamentales ».

Le Conseil national des barreaux a critiqué sans la moindre ambiguïté l’état d’urgence, évoquant « un modèle juridique et social qui rompt [...] avec les principes républicains ».

Les rapporteurs spéciaux de l’ONU ont tiré la sonnette d’alarme et publié le type de déclaration habituellement réservé aux régimes totalitaires : « Alors que la France débat sur le renforcement des mesures dans la lutte contre le terrorisme, et à cet effet s’engage dans une réforme de la procédure pénale, nous appelons à réviser ces dispositions et possibles réformes, afin d’assurer leur conformité au regard du droit international des droits de l’homme. »

Bien que le fait que la France soit critiquée pour un comportement similaire à celui de la Russie ou de la Turquie puisse être assez bouleversant, les parallèles que l’on peut établir avec l’histoire de France même peuvent toutefois être encore plus inquiétants. En dépit d’être exécuté pour trahison, une action parfaitement justifiable selon moi, Pierre Laval, le Premier ministre du régime de Vichy qui a collaboré avec les nazis, n’a pas été déchu de sa nationalité, ni le maréchal Pétain, ni les milliers de Français qui se sont battus pour les nazis sur le front de l’Est.

Certains ont été exécutés, plusieurs milliers ont été emprisonnés et aucun n’a été déchu de sa nationalité. En réalité, il n’y a qu’un seul précédent moderne de déchéance de citoyenneté pour des citoyens français : le gouvernement de Vichy, qui a contribué à perpétrer l’Holocauste. Les terroristes nés français ne peuvent être comparés en tant qu’êtres humains aux milliers de juifs innocents qui ont été déchus de leur nationalité puis assassinés avec la pleine complicité de l’État français. Mais cela ne devrait pas exister en tant qu’outil dans l’arsenal de toute entité qui se veut être une démocratie.

Le débat sur la déchéance de citoyenneté pour les terroristes est en lui-même assez inquiétant, et même son plus ardent défenseur, le Premier ministre Manuel Valls, reconnaît que cela ne peut pas avoir un impact sur la sécurité. En réalité, il s’agit d’un moyen d’apaiser l’extrême droite qui fait pression depuis des décennies pour en finir avec l’une des institutions les plus sacrées de la démocratie française : le « droit du sol ».

En d’autres termes, la France s’est montrée jusqu’à présent inébranlable quant au fait que toute personne née en France est française. Maintenant que l’État envisage de révoquer la citoyenneté d’assaillants déjà morts, ce droit fait l’objet d’attaques, non pas de l’extrême droite, mais du gouvernement ostensiblement libéral de Hollande.

Hollande offre également une victoire symbolique massive à l’État islamique. Le groupe terroriste a toujours affirmé que les musulmans nés en France ne sont pas français et que Hollande a rapproché la France des pas de l’État islamique sur la question de la nationalité. Déchoir les traîtres de la citoyenneté française équivaut à une reconnaissance de facto de l’État islamique. L’État islamique a dit aux terroristes qu’ils étaient des citoyens du califat et non de la France. Le président Hollande a l’intention d’inscrire la position de l’État islamique dans la loi française.

Christiane Taubira, qui a démissionné de son poste de ministre de la Justice le 27 janvier, est connue pour les attaques incessantes qu’elle subit de la part de racistes d’extrême droite et pour les brillantes réponses qu’elle formule pour les recadrer. Cette ministre franche n’a pas dissimulé son dégoût pour la position du gouvernement actuel sur la citoyenneté des terroristes. Au cours de son mandat, elle a déclaré à plusieurs reprises que la mesure proposée était antidémocratique et idiote sur le plan pratique.

Après sa démission, elle a tweeté : « parfois résister c’est partir ». Cette déclaration pourrait être interprétée comme une référence à l’histoire française en raison du rôle important joué par les démissions. Charles de Gaulle a notamment démissionné du gouvernement français d’urgence en 1940 pour s’opposer à l’armistice face à l’Allemagne nazie. Lorsque de Gaulle a ensuite fui pour l’Angleterre pour former un gouvernement de résistance en exil, Churchill a décrit un homme qui, « dans ce petit avion, emportait avec lui l’honneur de la France ». Aujourd’hui, Christiane Taubira, une enfant des colonies d’esclaves françaises, est la seule ancienne membre du gouvernement qui emporte avec elle l’honneur de la France.

Au lieu d’accorder plus de pouvoirs aux dirigeants qui n’ont pas su prendre la menace djihadiste au sérieux, nous devrions leur demander des comptes sans pitié. François Hollande est entré en guerre contre l’État islamique en 2014, avant les attentats de Charlie Hebdo, dans l’espoir qu’un rôle de soutien purement symbolique pour l’aviation française n’aurait pas de conséquences. Comme nous le savons tous, il avait complètement tort. Hollande se retrouve désormais dans la position inconfortable de devoir déclarer de nouveau une guerre qu’il a déclarée il y a un an.

Ces mesures extraordinaires étouffent également les défaillances techniques et l’incompétence du gouvernement français ainsi que des autres services de renseignement. Lorsque les images du cerveau terroriste Abdelhamid Abaaoud ont été affichées à la télévision après les attentats de Paris, je l’ai immédiatement reconnu depuis une vidéo de djihadistes français et belges qui avait été diffusée à la télévision française un an plus tôt.

Vous avez bien lu : le visage de l’assaillant de Paris, combattant dans les rangs de l’État islamique en Syrie, a été diffusé à la télévision française un an avant les attentats. À moins de placarder sur la tour Eiffel une affiche de lui-même avec les mots « Je suis l’État islamique » inscrits en dessous, il est difficile d’imaginer un signe plus évident que quelqu’un doit être arrêté.

Des mandats d’arrêt ont été délivrés pour Abaaoud ; pourtant, un manque de ressources ou un manque d’attention aux détails lui ont permis de passer entre les mailles du filet. Abaaoud s’est même vanté auprès du journal affilié à l’État islamique, Dabiq, d’avoir pu entrer en Belgique en passant inaperçu. « Un frère avait filmé des séquences vidéo de certains d’entre nous avant une bataille, mais il a perdu sa caméra, qui a ensuite été vendue par un murtad [apostat] à un journaliste occidental. J’ai soudain vu ma photo partout dans les médias, mais al-hamdoulillah, les kouffar [infidèles] ont été aveuglés par Allah. »

« J’ai même été arrêté par un agent qui m’a dévisagé pour me comparer à la photo, mais m’a laissé passer en ne voyant pas la ressemblance ! Ce n’était rien d’autre qu’un cadeau d’Allah ! » Sauf si vous croyez aux dires d’Abaaoud, qui martelait que Dieu avait aveuglé les services de sécurité européens, il semblerait que ce soit leur incompétence qui lui ait permis de passer inaperçu.

Sans mesures extraordinaires ni atteintes à la démocratie, Abaaoud aurait pu être arrêté à l’instant où il a posé de nouveau le pied sur le sol européen. Bon nombre des assaillants impliqués dans les attentats de Charlie Hebdo et de l’Hypercacher étaient également connus des services de renseignement ; il est donc hypocrite d’affirmer que les services de sécurité ne disposaient pas des « outils » pour empêcher ces complots.

La rationalisation et la modernisation des services de renseignement français, ainsi que l’établissement d’un système permettant un partage plus efficace des renseignements avec les partenaires européens, constitueraient une bien meilleure occupation que changer la nationalité de traîtres morts. Alors que ces défaillances en matière de renseignement devraient coûter très cher à ceux qui les ont commises, nous mettons pourtant plus de pouvoirs entre les mains des incompétents.

Bien que je ne prétende pas être Émile Zola, je pense cependant qu’il est temps pour moi de lancer dans tous les cas quelques accusations.

J’accuse le président français de lâcheté face au terrorisme.

J’accuse le président français de racisme pour avoir transformé la question de la sécurité en une question d’identité ethno-nationaliste.

J’accuse le président français de totalitarisme pour avoir retiré les droits les plus précieux que sont le droit de protester et la liberté de la presse.

Par-dessus tout, j’accuse le président français d’hypocrisie pour n’avoir pas su nous protéger et pour avoir attribué son échec aux fondements de la démocratie française.

L’État islamique ne pourra jamais conquérir la France, il ne pourra que tuer des gens. La stratégie de l’État islamique a toujours été de provoquer la division et l’autoritarisme dans les démocraties occidentales. Il n’y a pas de plan B à leur vision.

Seuls nos propres gouvernements peuvent leur donner ce qu’ils veulent, et c’est exactement ce que le président Hollande semble avoir l’intention de faire. François Hollande et l’État islamique sont au moins d’accord sur ce point. Si nous laissons Hollande mettre ses plans à exécution, alors l’État islamique a déjà gagné.

- Patrick Hilsman est un journaliste indépendant. Il a produit des reportages directement depuis Alep (Syrie) en 2012, 2013, 2014 et 2015. Il a la double nationalité franco-américaine.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.  

Photo : le président français François Hollande sourit aux journalistes, le 8 février 2016, au Palais présidentiel de l’Élysée, à Paris.

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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