Justin Trudeau va-t-il changer la politique canadienne au Moyen-Orient ?
L’élection du Parti libéral du Canada signifie probablement un abandon du ton ultra-belligérant adopté par le Parti conservateur de Stephen Harper sur les questions relatives à la politique du Moyen-Orient ; toutefois, peu de changements concrets sont à prévoir. Tout indique que le nouveau gouvernement continuera de jouer un rôle de soutien clé dans l’impérialisme mené par les États-Unis au Moyen-Orient.
L’intention des libéraux d’aborder les affaires internationales de manière agressive est précisée dans leur programme, où ils accusent les conservateurs d’avoir « affaibli [l’armée du Canada] », reprochent au gouvernement Harper d’avoir fourni un financement prétendument inadéquat aux forces armées canadiennes, et promettent de maintenir le budget de l’armée à son niveau actuel. Dans leur programme, les libéraux s’engagent à « moderniser les forces armées et [à] augmenter leur efficacité [...] afin de renforcer les opérations sur la ligne de front » et à « consolider les Forces armées canadiennes » afin qu’elles puissent « constituer une force [internationale] de dissuasion et de combat ». Ces déclarations indiquent une intention non pas de dépenser de l’argent dans l’armée pour le plaisir, mais de faire ainsi dans le but d’employer la force.
Ceci est également prévisible lorsque l’on se base sur les antécédents des libéraux. Au pouvoir de 1993 à 2005, le parti a participé à des attaques dirigées par les États-Unis à la fois en Afghanistan et (contrairement à ce que véhicule la mythologie populaire) en Irak, ainsi que dans des pays d’autres régions du monde tels que Haïti.
Un vote en faveur de l’effusion de sang
Tous les membres du Parti libéral présents à la Chambre des communes ont en outre voté en faveur de la motion présentée au sujet de la participation du Canada à l’intervention de l’OTAN en Libye en 2011. Le Premier ministre désigné Justin Trudeau a voté en faveur de l’extension de l’intervention militaire canadienne en Libye, où la mission de l’OTAN a ensuite fait l’objet d’accusations de crimes de guerre. Ces politiques témoignent de l’engagement à long terme pris par les libéraux pour agir comme auxiliaires de la classe dirigeante des États-Unis dans l’effusion de sang au Moyen-Orient.
Les déclarations faites par Trudeau au sujet des conflits clés indiquent clairement que ce nouveau gouvernement canadien agira de façon similaire. Plus tôt ce mois-ci, Trudeau a indiqué qu’il n’annulera pas un accord d’armement massif signé avec l’Arabie saoudite pendant le mandat des conservateurs. Les Saoudiens présentent un des pires bilans au monde en matière de droits de l’homme, ont envahi Bahreïn pour y écraser un soulèvement, ont un lourd passif en termes de soutien à des groupes sectaires violents dans des endroits comme l’Afghanistan et la Syrie, et ont mené au Yémen une guerre soutenue par les États-Unis qui a déclenché ce que l’ONU qualifie de « catastrophe humanitaire ».
La volonté de Trudeau de vendre des armes aux Saoudiens dans ce contexte constitue un soutien actif à leurs politiques et signale que son parti ne perturbera pas le rôle clé joué par l’État saoudien dans la domination états-unienne du Moyen-Orient.
L’Iran, Israël et l’impérialisme des États-Unis
L’attitude des libéraux envers le Moyen-Orient devient encore plus claire lorsque l’on compare son approche vis-à-vis de l’Arabie saoudite et ses positions au sujet de l’Iran. Lorsque le porte-parole libéral pour les affaires étrangères, Marc Garneau, a exprimé le soutien de son parti à l’accord sur le nucléaire entre le P5+1 et l’Iran, il a déclaré que les libéraux croyaient que l’Iran devait « rendre des comptes pour l’appui qu’il donne aux organismes terroristes, ses violations des droits de la personne commises de longue date, son agression contre Israël et son programme nucléaire ».
Trudeau est favorable à la réouverture de la mission du Canada en Iran ; toutefois, selon Kate Purchase, directrice de la communication du parti, « cela dépendrait de plusieurs facteurs » dans la mesure où le régime iranien représenterait « une menace pour Israël, le Moyen-Orient et le monde ». Pour les libéraux, il est clair que les relations avec l’Iran sont subordonnées au fait que ces derniers satisfassent aux critères avancés par les États-Unis et leurs alliés sans que soit compromise leur capacité à vendre des armes à l’Arabie saoudite sans conditions ni critiques, même pour la forme.
Trudeau affirme bel et bien qu’il mettra fin à la participation canadienne aux frappes aériennes de la coalition dirigée par les États-Unis en Irak et en Syrie. Toutefois, les forces spéciales canadiennes resteront sur le terrain dans le cadre d’une mission de « formation ». Comme l’écrit Thomas Walkom du Toronto Star, le président des États-Unis Barack Obama n’a probablement pas émis d’objection au retrait de six avions de combat canadiens dans la mesure où « ce qui est plus important pour Washington sur le plan politique, c’est que les États-Unis ne soient pas le seul pays occidental avec au moins quelques soldats sur le terrain ». Ainsi, alors que le retrait des jets canadiens est bienvenu, cela ne doit pas être pris pour un signe que l’État canadien prend ses distances de son rôle d’auxiliaire de l’impérialisme dirigé par les États-Unis.
Dans ce contexte, il est crucial de constater que Trudeau s’est montré fortement hostile au mouvement BDS et a affiché son soutien à Israël, même lorsque ce dernier s’est lancé dans le massacre de plus de 2 200 Palestiniens à l’été 2014. En conséquence, tout porte à croire que l’État canadien continuera à contribuer à l’oppression brutale des Palestiniens.
La politique canadienne et la puissance du bloc d’entreprises
Si les résultats des élections peuvent être importants, il convient de rappeler que les racines de l’orientation de l’État canadien vis-à-vis du Moyen-Orient vont bien au-delà d’un quelconque dirigeant ou parti. Des facteurs systémiques façonnent la politique canadienne dans la région, et ceux-ci ne sont pas déterminés lors des élections.
Jérôme Klassen, chargé de recherche au Massachusetts Institute of Technology (MIT), démontre dans son ouvrage d’une importance cruciale, Joining Empire, que la politique étrangère contemporaine canadienne, sous les libéraux tout comme les conservateurs, a été guidée par un bloc d’entreprises ayant des intérêts particuliers dans la mondialisation néolibérale et la guerre transnationale, et dont le projet basé sur les classes nécessite un « militarisme disciplinaire à l’égard du tiers-monde ».
Cette dynamique est par exemple évidente dans les relations canado-israéliennes. Les liens entre les élites des deux pays sont profonds et disposent d’une base économique qui transcende les paroles en l’air de Harper ou Trudeau. Comme le montre James Cairns, la classe dirigeante canadienne entretient des relations lucratives avec son homologue israélienne dans des domaines tels que les produits pharmaceutiques, l’énergie et l’armement.
Surmonter ces liens exigera des efforts massifs et coordonnés visant à réorganiser le système politico-économique du Canada à l’échelle nationale et à l’étranger. Tant que les militants pour la solidarité internationale au Canada et leurs alliés dans le monde ne sont pas en mesure de construire un tel mouvement, l’empire dirigé par les États-Unis et leurs partenaires tels que le Canada continuera à déchaîner la violence au Moyen-Orient.
- Dr. Gregory Shupak est un auteur militant qui enseigne l’étude des médias à l’université de Guelph, au Canada.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : le leader du Parti libéral du Canada Justin Trudeau salue un partisan à la fin de son discours lors d’un rassemblement à Ottawa, le 20 octobre 2015, suite à sa victoire aux élections législatives (AFP).
Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.
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