La descente aux enfers de l’université algérienne
Des enseignant(e)s qui font grève suite à l’agression de l’un(e) de leurs collègues par un étudiant , des étudiant(e)s qui organisent un sit-in pour dénoncer leurs conditions d’études souvent jugées désastreuses ou pour protester contre les irrégularités qui ont entaché la tenue d’un concours d’accès au doctorat : ces scènes sont devenues de plus en plus banales au sein des universités algériennes, symptomatiques d’un mal profond.
Le constat est en effet alarmant. Depuis plus d’une vingtaine d’années, l’université algérienne se débat, en proie à un malaise profond. Au-delà du fait que l’université ne peut être appréhendée en dehors du cadre sociopolitique général et de la qualité d’enseignement dans les paliers inférieurs, de l’avis de nombreux observateurs, les choses empirent. Et ce ne sont certainement pas les classements mondiaux dans lesquels les universités algériennes figurent parmi les dernières en Afrique qui viendront contredire ce constat.
Quels sont donc les ingrédients – multidimensionnels – du désastre ?
La désignation des recteurs et autres directeurs d’établissements universitaires répond beaucoup plus à des considérations d’ordre politique qu’à des critères de compétence ou d’autorité scientifique
Il y a d’abord un problème de gouvernance. En effet, la démocratisation de l’enseignement supérieur qui a profité à des millions d’Algérien(ne)s ne s’est pas accompagnée d’une démocratisation de sa gestion.
Les recteurs et autres directeurs d’établissements universitaires continuent d’être désignés par des arrêtés ministériels sans que l’ensemble de la communauté universitaire n’ait à ce propos aucune voix au chapitre. Des désignations qui répondent beaucoup plus à des considérations d’ordre politique qu’à des critères de compétence ou d’autorité scientifique.
Malgré de nombreux mouvements de protestation initiés par les enseignants, le ministère de tutelle a toujours opposé un refus catégorique à cette revendication de démocratisation. Pour celui-ci, il est autrement plus aisé de gérer des administrateurs désignés par ses soins que d’avoir à composer avec des responsables élus démocratiquement par leurs pairs.
La réforme dite LMD (Licence-Master-Doctorat) a été conçue à la hâte par les experts du ministère de l’Enseignement supérieur sans que soit consultée la communauté universitaire
Ainsi, la réforme dite LMD (Licence-Master-Doctorat), annoncée en grandes pompes en 2004 par le ministère de l’Enseignement supérieur comme une réforme révolutionnaire porteuse de grands espoirs pour l’université algérienne, a été conçue à la hâte par les experts de ce même ministère sans que soit consultée la communauté universitaire et sans que soit engagé un débat profond sur ses tenants et aboutissants.
Voilà plus de treize ans qu’il est entré en vigueur, d’abord dans un nombre d’universités appelées « universités pilotes » avant d’être généralisé. Mais la véritable architecture d’un tel système demeure largement méconnue par les premiers concernés, c’est-à-dire les étudiants.
À une gestion censée être scientifique, on a ainsi préféré une gestion politique de l’université qui n’a pas manqué d’impacter l’environnement général et la gouvernance, dans un secteur pourtant sensible.
Ce mode de gestion qui a fini par instaurer une véritable « logique d’accaparement » à laquelle n’échappe aucune instance, y compris les instances dites scientifiques au sein desquelles on n’hésite pas à s’affronter pour s’emparer des crédits octroyés par le ministère aux différents laboratoires de recherche et bénéficier de stages et autres congés scientifiques, encore une fois selon des règles beaucoup plus clientélistes que scientifiques.
Des enseignants dans le désarroi
Premières victimes de la mauvaise gouvernance : les enseignants du supérieur. Leurs revendications, souvent exprimées à travers le Conseil national des enseignants du supérieur (CNES), tournent essentiellement autour de la revalorisation des salaires, l’élaboration d’un statut particulier, la démocratisation de la gestion de l’université, une prise en charge du problème du logement et la dénonciation de la violation des franchises universitaires. En somme, ils demandent une prise en charge réelle de la situation socioprofessionnelle de l’enseignant.
Il est vrai qu’il y a eu des augmentations de salaires significatives à partir de 2010, mais l’inflation et la chute du pouvoir d’achat ont rapidement eu raison d’elles, et la revalorisation des salaires est à nouveau à l’ordre du jour dans un contexte économique qui, lui, est beaucoup moins favorable.
Pour ne rien arranger, l’absence de politique globale et continue de formation pose problème. De moins en moins préparés, les enseignants subissent de plein fouet, à leur tour, les insuffisances de leur propre formation universitaire parce qu’ils ne possèdent naturellement pas les outils nécessaires qui leur permettraient de faire face à des amphis de plus en plus bondés et de répondre aux exigences d’un enseignement universitaire moderne.
Autres victimes de la gestion de l’enseignement supérieur : les étudiants, qui se plaignent d’une mauvaise orientation, basée uniquement sur la moyenne acquise à l’examen du baccalauréat et n’accordant que peu de place à leurs sensibilités et à leurs vœux. Nombreux sont les étudiants qui se retrouvent contraints de suivre une formation avec laquelle ils/elles n’ont aucune affinité particulière et à laquelle ils/elles ne s’étaient pas forcément préparés.
Le taux d’échec en première année à l’université atteint 60 %, notamment dans les filières techniques
Les spécialistes pointent du doigt l’examen du baccalauréat qui, selon eux, ne reflète pas le savoir acquis par l'élève durant son cursus secondaire et considèrent que la moyenne générale obtenue par le candidat à l’issue de cette épreuve est trop simpliste pour pouvoir constituer l’unique critère qui préside à son orientation.
En effet, selon le Secrétaire général du ministère de l'Enseignement supérieur, Seddiki Mohamed Salah, le taux d’échec en première année à l’université atteint 60 %, notamment dans les filières techniques où des élèves majoritairement arabisés découvrent l’enseignement en langue française.
Arabisation et islamisation
Surgit ici la question de la politique linguistique de l’État algérien, notamment dans le secteur de l’éducation. Après avoir suivi toute leur scolarité primaire et secondaire exclusivement en langue arabe, les étudiants se retrouvent face à des enseignements universitaires qui continuent à être dispensés en langue française, plus particulièrement dans les filières scientifiques et techniques.
Il s’agit là d’un véritable choc linguistique subi par les étudiants et dont on ne mesure pas encore assez les répercussions sur la qualité de l’enseignement et sur le niveau des études, et ce, d’autant plus que les enseignants eux-mêmes sont de plus en plus arabisés.
Là encore, et toujours dans la même logique de gestion politique, on a préféré sacrifier l’intérêt des étudiants sur l’autel de considérations d’ordre purement idéologique.
Cette arabisation s’accompagne d’une islamisation avancée de l’université à travers des organisations estudiantines d’obédience islamiste tolérées, voire carrément encouragées par les autorités
Cette arabisation s’accompagne d’une islamisation avancée de l’université à travers des organisations estudiantines d’obédience islamiste tolérées, voire carrément encouragées par les autorités, telle que l’Union générale des étudiants libres (UGEL).
Cette organisation estudiantine, affiliée au Mouvement de la société pour la paix (MSP, parti islamiste), exerce son diktat au sein des campus et des cités universitaires et détient une situation de monopole dans de nombreuses universités après avoir réussi à éclipser toutes les autres organisations.
Dans les campus et les résidences universitaires algérois notamment, rien ne peut être entrepris sans l’aval de cette organisation qui s’invite même aux tables de délibération des concours d’accès au magister et au doctorat.
Mode d’évaluation et violence
En octobre 2013, dans les colonnes du supplément étudiant du journal El Watan, Dr Ahmia Slimane, l’ancien doyen de la faculté de droit d’Alger, regrettait que le faible niveau des étudiants oblige certains enseignants à abaisser la moyenne de réussite afin d’éviter la surcharge des paliers inférieurs d’un côté et le passage des étudiants avec un nombre élevé de modules en dette de l’autre.
En effet, l'administration elle-même n’hésite pas à demander verbalement à la commission de délibération d'alléger les critères de passage et à tirer vers le bas. Un phénomène malheureusement accentué par le nouveau système LMD, caractérisé par un mécanisme de compensation entre différents modules de la même unité d'enseignement.
Autrement dit, la rigueur de certains enseignants qui n’acceptent pas cet état de fait est souvent réduite à néant par le penchant qu’ont d’autres à distribuer les bonnes notes à tout-va.
Par ailleurs, l’ancien mode d’évaluation communément appelé « examen sur table », érigé comme mode quasi exclusif, est totalement dépassé. Il suffit de se promener dans les salles des cours et dans les amphis pour s’en rendre compte, tant les surfaces des tables et des murs sont remplies de textes et de définitions en tous genres qui ne manquent pas, lors des examens, de servir de source de copiage pour de nombreux étudiants.
Ces mêmes étudiants qui, au vu et au su des enseignants surveillants, ne se gênent plus pour tricher, laissant ces derniers dans un total désarroi car souvent mal préparés et ne se sentant surtout pas assez protégés par l’administration pour pouvoir sévir contre les auteurs de ce genre de pratiques.
L’augmentation spectaculaire du taux de réussite au baccalauréat et « la massification de l’enseignement supérieur » qui en a résulté imposent aux responsables d’accorder la priorité à la gestion des flux au détriment du volet pédagogique
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les surveillances des examens et l’attribution des notes sont derrière de nombreuses agressions et intimidations subies par les enseignants.
L’augmentation spectaculaire du taux de réussite au baccalauréat et « la massification de l’enseignement supérieur » qui en a résulté imposent aux responsables d’accorder la priorité à la gestion des flux au détriment du volet pédagogique.
Ainsi, pour garantir la « paix sociale » au sein des campus, lors de conflits opposant enseignants et étudiants, les responsables d’établissements universitaires intercèdent souvent en faveur des seconds par l’entremise d’organisations estudiantines et autres comités de départements asservis et rarement désintéressés.
-Nourredine Bessadi est enseignant-chercheur à l'Université Mouloud-Mammeri de Tizi Ouzou, en Algérie. Il est en même temps traducteur et consultant indépendant. Il travaille sur les questions se rapportant au genre, aux politiques linguistiques et aux droits humains. Il est le fondateur de Babel Consulting, une entreprise de conseil en communication.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : Des étudiants manifestent à Alger, le 14 mars 2011, pour que davantage d’argent et de postes soient attribués au secteur de l’éducation (AFP).
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